Budget européen : radiographie de la façon dont Bruxelles utilise notre argent

 

Entretien initialement publié le 1er octobre 2.013 dans Atlantico

Un rapport britannique s’est penché sur la façon dont étaient dépensés les près de 160 milliards d’euros du budget européen. On y apprend notamment que 2,4 milliards sont alloués aux dépenses publicitaires – plus que ce Coca-Cola y consacre…

Atlantico : Selon un rapport de l’alliance des contribuables britanniques, le coût de fonctionnement de l’UE s’élève à 37,8 millions d’euros par jour, une somme colossale. Quelles sont les plus grands postes du budget européen et que représentent les dépenses administratives de l’Union dans ce total ?

Henri Lastenouse, Secrétaire général de Sauvons l’Europe : Historiquement, le premier budget reste l’agriculture suivi de l’aide aux pays et aux régions européennes les moins favorisés, aussi appelé fonds structurel, qui est lié à la mise en place par Jacques Delors du grand marché unique. Viennent ensuite les dépenses de recherches et d’innovation ainsi que les aides aux crises humanitaires.

On peut toujours discuter de l’allocation entre ces différents postes, mais il faut bien comprendre que le budget de la Politique agricole commune (PAC), par exemple, se substitue à celui des États membres. Si l’on veut le réduire, il faut soit mettre en place un nouveau budget spécifique dans les pays, soit supprimer totalement les politiques en faveur de l’agriculture dans chaque État. De même, les fonds structurels permettent de créer des infrastructures. En Savoir par exemple, une partie de ces aides est utilisée dans les plan de développement des stations de ski. Enfin lorsque l’UE débloque 100 millions d’aides en Syrie, ce choix fait consensus à mon sens.

Henri de Bresson, rédacteur en chef du magazine Paris-Berlin : Les perspectives financières pour l’UE arrêtées pour les 7 prochaines années représentent un montant global de 960 milliards pour l’ensemble des 27 pays membres (entretemps 28). Par an le budget de l’UE représente environ 137 milliards. Elles ont été décidées le 27 juin. Les dépenses d’administration représentent 6%, c’est pour le budget français 14%. A titre de comparaison les dépenses publiques françaises sont de 1100 milliards par an.

La France est le deuxième contributeur de l’UE avec près de 7 milliards d’euros net dépensés en faveur de l’UE. Comment est réparti le budget européen par pays et comment est décidée cette répartition ?

Henri Lastenouse : Cette répartition tient compte à la fois des PIB, c’est-à-dire des richesses des uns et des autres mais aussi d’autres éléments spécifiques, d’où le fait que certains se sentent désavantagés, comme la Grande Bretagne vis-à-vis de la PAC notamment. Les Britannique ont ainsi l’impression de participer fortement au budget européen sans en bénéficier ni avoir leur mot à dire. On se souvient à cet égard du “I want my money back” de Margaret Thatcher !

Le montant de sept milliards de la contribution française doit être relativisé par rapport à d’autres postes de notre budget national. Ce coût net est aussi une condition de notre “codirection” franco-allemande. Pour diriger l’Union, il est donc normal que ces deux États acceptent de payer une part importante de son budget. Les allemands ont avancé l’idée que ces aides soient conditionnées aux efforts d’économie et de remise au pas des budget des différents États. Mais cela changerait leur nature et les transformerait en contrats engageants des éléments structurels d’économie.

Henri de Bresson : La répartition des recettes se fait au prorata du PNB des pays membres de l’Union européenne. Le montant des perspectives financières fait l’objet d’un accord entre les gouvernements puis d’une négociation entre le Conseil de l’Union et le parlement européen. Les budgets annuels, qui rentrent dans le cadre de ces perspectives financières, doivent faire l’objet également d’un accord entre les États et le Parlement européen.

Certaines dépenses laissent dubitatif comme les 191.000 euros prévus pour la construction d’un centre de désintoxication pour chiens en Hongrie, les 2,4 milliards d’euros de dépenses publicitaires, ou les frais diplomatiques des 44 fonctionnaires européens localisés à la… Barbade. Ces pratiques sont-elles le révélateur de fraudes sur le budget européen qui a par ailleurs été invalidé par la Cour des auditeurs depuis 18 ans ?

Henri Lastenouse : L’invalidation du budget européen par la Cour des comptes est plutôt liée à l’exécution du budget pour des raisons techniques, d’annualisations et de reports, que du nombre de fonctionnaires européens à la Barbade.

Le programme pour les chiens en Hongrie peut sembler bidon, de même qu’il y avait eu un jour un projet pour financer la reconversion des coiffeurs hollandais. Mais ils posent la question de la manière dont on peut dépenser de façon acceptable l’argent récolté à 27 pays, 500 millions d’habitants et presque autant de courants de pensée différents et de priorités ! Plus prosaïquement, il faut comprendre que ces dépenses reposent sur un processus de sélections et d’appel d‘offre dont les réponses correspondent plutôt à une vision anglo-saxonne. Pour nous, ces dépenses peuvent sembler hors de propos, mais il est simplement possible que certaines ONG anglaises soient capables de faire valoir ce type d’enjeux mieux que nous.

Henri de Bresson : La question du siège de Strasbourg suscite chaque année la colère des eurodéputés britanniques, mais la France n’a jamais renoncé jusque là. Les 191 000 euros pour le centre hongrois pour les chiens relève sans doute des projets financés par la politique régionale, cela mériterait des précisions. Quand aux 44 diplomates à la Barbade, il n’y a qu’a vérifier auprès de du Service de Mme Ashton, haut représentante pour la politique extérieure. Peut-il y avoir un bureau qui emploie 44 personnes ? Cela m’étonnerait qu’il s’agisse vraiment de diplomates…

Qui a un droit de regard sur ces dépenses et qui évalue leur efficacité ?

Henri Lastenouse : Tout d’abord, la Cour des comptes vérifie que les règles de dépenses budgétaires soient légales. Ensuite, la Commission européenne, en faisant souvent appel à des auditeurs extérieurs, s’occupe de l’évaluation de chaque programme. Les moyens de leur évaluation doivent même faire partie du projet de départ, de même que la définition des objectifs.

Mais le problème essentiel vient du fait que le budget européen apparaît trop faible pour changer la vie des européen là où ils en auraient vraiment besoin. Avec le budget actuel de 1% du PIB européen, il ne peut agir sur les points essentiels, ce qui crée un sentiment d’impuissance devant certains sujets comme le chômage, etc…

179 millions d’euros sont notamment dépensées tous les ans pour les transports des députés européens et de leurs équipes entre Bruxelles et Strasbourg. Quelles pistes de rationalisation des finances européennes doivent être envisagées en priorité ?

Henri Lastenouse : Il est normal que l’on fasse le procès de l’utilité des dépenses du budget européen mais on ne peut pas dire que son fonctionnement est débridé. Mis à part Strasbourg et ces frais de déplacements mensuels qui sont contestables, des contrôles existent.

On peut trouver que l’Europe passe beaucoup de temps sur des sujets marginaux, mais c’est souvent faute de pouvoir s’occuper du reste. Le débat de l’efficacité de Bruxelles heurte le pouvoir des politiques locaux. Car pour faire plus il faudrait finalement accepter plus de transferts vers l’Europe.

Propos recueillis par Pierre Havez

 

NB Sauvons l’Europe

En addendum a cet entretien, signalons que comme souvent chez nos amis anglais le « rapport » est un peu approximatif. Ainsi, l’affirmation que l’UE dépense plus en communication que Coca-Cola pour le monde entier suprend – ça fait cher de l’invisibilité! En réalité, la source est un rapport d’Open Europe de 2008 sur le coût de la stratégie d’influence de l’UE. Tout y passe, du soutien aux associations qui font du franco-allemand à l’aide au cinéma, en passant par l’entièreté des programmes Erasmus et Leonardo. A ce point là, on ne comprend pas bien pour quoi la politique agricole commune n’y est pas non plus…

 

 

 

 

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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4 Commentaires

  1. Dans une démocratie, c’est au législatif de contrôler l’exécution du budget par l’exécutif. Alors quel rôle joue le Parlement Européen dans ce contrôle de la Commission ? Ce rôle est il suffisant ?

  2. Merci pour cet article. je paratage votre avis et les affirmations du rapport britannique devraient être étayées par des preuves budgétaires. L’absence de références à la PAC cache peut-être que la part qui revient au Royaume-Uni bénéficie surtout à la couronne qui dispose de la plus grande surface de terres cultivées. En tout état de cause cet article participe à l’euroscepticislme cher au Royaume-Uni.

  3. En ce qui concerne l’allusion aux effectifs de fonctionnaires en poste à la délégation de l’UE à la Barbade – et sans préjudice d’une confirmation de leur statut de « fonctionnaires » (les délégations recrutent également du personnel local) – on ne doit pas perdre de vue que cette délégation n’a pas pour mission exclusive de représenter l’UE auprès du gouvernement de ce seul Etat.

    La délégation à Bridgetown joue en effet un rôle de représentation « régionale » par son accréditation auprès d’autres îles des Caraïbes entretenant des relations de coopération avec l’UE: Antigua et Barbuda, Dominique, Grenade, Sainte Lucie, St Kitts et Nevis, St Vincent et les Grenadines. Son champ de compétence s’étend également à trois « territoires d’Outremer » britanniques: Anguilla, les Iles Vierges et Montserrat… ainsi qu’aux relations avec une organisation régionale regroupant plusieurs pays, le CARICOM.

    Tout ce réseau explique que la dénomination officielle de cette délégation soit très précisément « délégation de l’Union européenne auprès de la Barbade et des pays de l’Est des Caraïbes ».

    Des informations complémentaires se trouvent sur le site de la délégation: http://eeas.europa.eu/delegations/barbados/index_en.htm

    Gérard Vernier

  4. merci de ces informations techniques. elles nous seront très utiles avant les prochaines élections de 2014. Le fonctionnement du budget européen est trop opaque pour que le public s’y intéresse, il lui faut des éclaircissements sur les bénéficiaires des subventions, les origines des besoins, des chiffres, des statistiques, pour se construire des opinions.
    moins il y a d’opacité, plus la politique européenne sera comprise et acceptée.

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