Et maintenant, quelles urgences européennes ?

L’Europe a été très présente lors de cette élection présidentielle. Elle est effectivement un enjeu central. A un point tel qu’une partie de la classe politique a souhaité cristalliser les choix entre des candidats « pour » l’Europe et d’autres « contre ».

Toutefois, nous devons faire attention. Présenter les alternatives de vote ainsi expose l’Europe à des risques majeurs. Pour beaucoup, cela signifie qu’être opposé à la directive détachement des travailleurs ou hostile aux délocalisations d’entreprises rentables avec l’appui de fonds européens encourage à voter contre l’Europe. Pire en encore, en période de tensions économiques, chaque citoyen se demandera avant de voter « pour » ou « contre » l’Europe s’il sera la prochaine victime de ces politiques ?

En d’autres termes, si être pour l’Europe consiste à accepter, à ne pas s’engager contre ces politiques… alors à quoi bon effectivement être pour l’Europe ?

Il est bon de rappeler que l’Europe est un cadre politique. En ce sens, c’est un acquis. Ce sont les décideurs politiques européens, pas l’Europe, qui sont responsables des législations européennes.

A l’échelle nationale, si nous appliquons ce raisonnement, cela reviendrait à voter contre la France en cas de désaccords avec … par exemple la loi travail ?

Une différence fondamentale oppose toutefois le cadre national au cadre européen. En France, les citoyens sont égaux devant la loi et l’impôt, pas en Europe. A ce titre, il faut tordre le coup aux discours sur une France trop centralisée, à tout le moins sur ce point en tout cas. Malheur à qui remettrait cette égalité en cause ! Lionel Jospin s’y est essayé en 2002 avec une tentative de statut particulier en Corse et nous en avons vu les conséquences.

Il serait d’ailleurs paradoxal de démanteler cette unité nationale en aspirant à la créer sur un plan européen.

(Et oui !!!), l’Europe est toujours un cadre en construction. Consolider et parachever cet édifice n’est possible que s’il est bénéfique pour tous. L’urgence est d’en corriger les travers manifestes. Par la mobilisation en France, nous pouvons sortir de cette schizophrénie politique : être contre l’Europe alors que nous étions pour… au motif que nous avons été trop absents des processus d’adoption de ses politiques. Le problème européen est d’abord français.

En France, personne ne peut défendre sérieusement les délocalisations et la désindustrialisation. On ne peut pas concevoir l’avenir de l’Europe ainsi. Tout repose sur la capacité des Français à porter d’autres idées en Europe et, c’est essentiel, à se donner les moyens de les défendre.

Proposons donc d’agir en urgence avec les moyens dont nous disposons actuellement dans le cadre européen. Voici quelques pistes à l’appui du budget européen souvent décrit comme « faible » mais qui en réalité constitue une « arme » redoutable.

Urgence 1. Mettre un terme à l’octroi de fonds européens pour installer une usine quand c’est un transfert pur et simple d’activités d’un Etat membre vers un autre !

Les fonds européens sont un mécanisme de solidarité entre les territoires développés et ceux qui le sont moins. Pour que ces aides perdurent, elles ne doivent pas habiller une économie locale en en déshabillant une autre afin d’accompagner des logiques d’optimisation peu recommandables. Mettre un terme à ces pratiques relève d’une modification rapide et simple des règlements des fonds structurels.

Urgence 2. Conditionner l’octroi des fonds européens à des critères de convergence fiscale et sociale.

Sauf à rechercher des distorsions de concurrence – ce qui est toujours difficile – , il n’est aujourd’hui pas possible de forcer un Etat membre à modifier des pratiques de dumping fiscal et encore moins de dumping social.

En revanche, il existe une multitude de rapports de force possibles. Rien n’interdit d’allouer les fonds européens selon des critères progressifs qui dépendront des efforts de convergences sociales et fiscales opérées. Plus la convergence sera forte, par exemple vers un niveau de salaire minimum élevé, plus l’aide européenne augmentera !

Nous avions proposé ce type de mécanisme en 1998 au Parlement européen. Son utilisation actuelle via « l’éco-conditionnalité » dans le but de punir un Etat qui ne respecterait pas ses engagements montre qu’il est possible.

Urgence 3. La commande publique en Europe doit servir l’économie européenne, en particulier quand elle mobilise des fonds européens et dans les secteurs « stratégiques ».

Ce qui est déjà possible dans le domaine de la défense et de la sécurité – d’ailleurs insuffisamment utilisé – devrait être étendu. Les Etats membres devraient bénéficier de davantage de souplesse dans la commande publique au bénéfice de l’économie européenne. Dans certains secteurs, comme celui de la défense et de la sécurité, une obligation d’acheter européen devrait être systématique.

Urgence 4. Créer un fonds souverain européen afin d’entrer au capital des entreprises, des coopératives,… pour les sécuriser et accompagner les politiques européennes d’innovation.

La question du capital est essentielle. L’Europe doit être actionnaire de son économie. Elle la défendra ainsi bien plus efficacement. Certes, il existe déjà de nombreux outils d’ingénierie financière. Quel dommage que la France les utilise si peu ! Ces dispositifs sont bons, mais le temps est venu d’aller au-delà via l’UE en direct ou via les Etats membres.

Un fonds souverain européen rendrait les Européens détenteurs de leur économie. Cette détention mutualisée du capital protégera nos activités économiques de prédateurs sans scrupules et nuisibles à la construction européenne autant qu’elle pourra aider l’économie européenne à innover et à prospérer plus avant.

Cette liste est bien évidement non exhaustive. Elle mérite d’être complétée avec d’autres urgences pour constituer un agenda des demandes françaises dans l’UE. Nous démontrerons ainsi qu’être pour l’Europe n’est pas cautionner des politiques avec lesquelles nous sommes en désaccord.

Nous nous adapterons aussi aux pratiques politiques européennes qui voient les citoyens de tous les Etats membres demander à leurs élus d’œuvrer avec les acteurs économiques et sociaux de leur pays afin de porter des messages forts en Europe.

[author image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2017/05/Nicolas-Ravailhe.jpg » ]Nicolas Ravailhe, en charge des « Affaires européennes » au sein du cabinet Euraegis, a une longue pratique des institutions européennes[/author]

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6 Commentaires

  1. Oui, mais le bon sens est-il UE?
    Les réglements, les habitutes, les intérêts, sont de très lourds obstacles au bon sens, c’est à dire à de nouvelles voies.

    • Depuis longtemps, je me pose la même question que vous au sujet de l’ « UE »: en vous prenant au mot, je serais enclin à penser qu’une réflexion sur un « Frexit de bon sens » consisterait à ne pas exclure de revenir plutôt à l’idée de « Communauté » impliquant des liens plus étroits entre un nombre plus restreint d’Etats membres (un maximum de 12 à 15), qui serait un objectif à atteindre dans la perspective d’une moindre surcharge pondérale par rapport à l’UE actuelle.

      De mon point de vue, la surcharge tient en effet davantage à ce gigantisme paralysant qu’au poids de la réglementation. Certes, chacun peut avoir en tête les caricatures qu’ont représentées les prescriptions en matière de courbure des concombres ou de normalisation des cuvettes des wc. Suivant en cela la sagesse de la Cour de justice de l’UE,qui avait ouvert la voie par une jurisprudence fondamentale amorcée au sujet de l’importation de cassis, le législateur communautaire avait privilégié la méthode de la « reconnaissance mutuelle » des normes entre Etats membres plutôt que l’harmonisation millimétrée pour la réalisation du « grand marché » à l’horizon de 1993. On peut toutefois se demander si un tel bon sens inspire toujours ledit législateur.

      Il convient en outre d’ajouter que, contrairement à une des nombreuses idées reçues au sujet de l’UE, le poids de sa réglementation (à l’élaboration de laquelle concourent les gouvernements des Etats membres) incorporée dans les législations nationales représente une moyenne qui reste inférieure à un ordre de grandeur de 30 %, comme l’ont montré des études dont le sérieux peut difficilement être mis en doute. Certains jugeront que c’est déjà trop. Tout dépend de la manière dont on regarde le verre…

      J’en profite pour attirer l’attention sur un ouvrage paru récemment sous le titre « Les salauds de l’Europe » et conçu par son auteur, Jean Quatremer (le correspondant de « Libé » à Bruxelles), comme un « guide à l’usage des eurosceptiques ». Loin de négliger les travers de « Bruxelles », il n’en remet pas moins les pendules à l’heure face à des critiques infondées ou exagérées à l’égard de la construction européenne, critiques tenant pour une bonne part à la méconnaissance de ce laborieux chantier.

  2. Cela me semble devoir être acceptable par tous les peuples Européens.
    L’avez vous transmis à M. MACRON?
    Ne serait-il pas souhaitable de les inscrire sur une pétition à faire circuler, tant en FRANCE qu’en EUROPE?

  3. Tout ce que vous dites est bel et bon, mais c’est à mettre en pratique partout en Europe. que dites-vous de l’optimisation fiscale à outrance ? Trouvez-vous juste que le siège d’une grosse chaîne de supermarchés au Portugal soit établi en Hollande, parce que la fiscalité y est plus clémente ? Ne serait-ce pas plus juste que toute activité ayant lieu sur un territoire dût payer ses impôts sur ce territoire ? Quant aux paradis fiscaux « en Europe », ils sont toujours lá et ien actifs quoi qu’en isent les gouvernants…Mettezde la justice dans toutes ces constructions truquées et je ne dirai plus jamais rien contre l’Europe que j’appelle de mes voeux, pour que ce soit l’endroit du monde où l’on soit en démocratie, dans un contexte de vie acceptable pour tous les Européens. Même s’il en coûte aux privilégiés de tout poil des systémes pour l’instant existants.
    plus d’Europe oui, mais MIEUX d’Europe!

  4. Nicolas,
    Merci de positionner le débat sur les véritables enjeux de l’Europe…. Mais il ne faudrait pas y envoyer des députés européens hostiles à tout, y compris à une construction qui amène pour les populations des changements économiques, sociaux, capables d’engranger des bénéfices significatifs.
    Merci de rappeler que ce sont les représentants des États membres qui participent à orienter les priorités communautaires….
    Je commençais à douter de nos cours de droit.. ..
    Tu sais que tu as une jolie plume.
    Bises.
    Yvane.

  5. La première urgence pour sauver l’Europe serait de ne plus laisser une partie des pouvoirs de l’Europe dans les mains d’un ancien chef de gouvernement de paradis fiscal ; la deuxième serait de enfin interdire les perturbateurs endocriniens sans se laisser faire par les lobbyies de l’agrochimie et du pharma ; ne pas oublier que l’Europe a été condamnée pour le retard apporté à ce problème.

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