Le chaos démocratique français

A la fin de cette semaine se tiendra un scrutin à l’échelle de l’Europe, pour fixer les perspectives politiques communes des cinq ans à venir. Sauf en France, où cette élection n’aura pas lieu.

Les rites sont respectés bien sûr. Il y a des candidats, quelques débats et des urnes sont installées. Mais de quel exercice démocratique parlons-nous ?

D’après une étude de Théo Verdier, publiée par la Fondation Jean-Jaurès, les médias ont consacré un tiers de temps en moins à cette campagne qu’en 2019. Les Français sont par ailleurs, et de loin, le peuple d’Europe le moins informé de ce qui se passe à Bruxelles. Et nous sommes le seul pays ou à peine la moitié savent reconnaitre le nom de la Présidente de la Commission.

Les trois sujets qui dominent le débat européen et qu’il nous faut trancher sont le Pacte vert, c’est-à-dire la poursuite de la transformation de l’économie européenne vers plus de durabilité, le contrôle des migrations et la guerre en Ukraine. Les deux premiers sujets opposent une alliance européenne allant de LFI à la Macronie, à la droite classique qui cherche à s’allier à une extrême-droite « présentable ». La guerre en Ukraine est la pierre de touche permettant de savoir si l’extrême-droite est « présentable » – le Front national ne l’est pas. Si vous vous êtes infligé un ou plusieurs débats entre les têtes de listes françaises, avez-vous bien compris ces lignes de fracture ? On en doutera.

Il existe, le savez-vous ? des candidats à la Présidence de la Commission : la sortante Ursula von der Leyen pour la droite, le social-démocrate Nicolas Schmit, commissaire au travail et aux droits sociaux, en duo comme toujours pour les verts Terry Reintke et Bas Eickhout (seul à avoir été déjà candidat en 2019) et un curieux trio pour les centristes, avec Marie-Agnes Strack Zimmermann, Sandro Gozi et… Valérie Hayer (mais oui !), ainsi que Walter Baier pour la gauche de la gauche. A l’extrême-droite, on évite l’exercice par principe. Ces candidats espèrent pouvoir s’appuyer sur des partis ou des coalitions majoritaires dans le prochain parlement. Dans une démocratie à peu près fonctionnelle, un débat serait organisé et diffusé. Ce débat a été organisé le 24 avril par l’Université de Maastricht, et diffusé sur Youtube. Il n’a pas intéressé les médias.

Le Parlement européen a organisé un second débat le 23 mai :

Après une vigoureuse interpellation du Mouvement Européen, France Télévisions a annoncé son intention de le diffuser. S’il l’a été, il n’aura pas reçu la même couverture que l’affrontement entre le leader de l’extrême-droite et le premier ministre.

Sauvons l’Europe est fondateur du collectif « Plus d’Europe à la télé » qui dénonçait l’impossibilité d’un choix démocratique en l’absence des débats politiques européens dans les médias. Les citoyens ne connaissent pas les sujets européens qui ne leur sont jamais présentés. Ils ne connaissent pas les acteurs politiques de l’Europe. La campagne a été expédiée pour les candidats français, escamotée pour les candidats à la Commission, et aboutit in fine à un spectacle de mano à mano entre le gouvernement et l’extrême-droite. Les autres listes essayent de continuer à porter leurs messages, pendant que les listes plus petites estiment qu’elles n’en ont jamais même eu l’occasion. Quelle légitimité démocratique attendons nous exactement de cet exercice ?

Il y a déjà dix ans, pour le scrutin européen de 2014, notre mouvement posait déjà l’enjeu de « l’Europe contre les populismes ». Aujourd’hui, voilà l’extrême droite aux portes du pouvoir européen. Non pas un pouvoir jupitérien, à la française, mais une participation diffuse et bien réelle à la complexe alchimie du pouvoir à Bruxelles. La présence d’élus lepénistes ne relève plus d’un coup d’épée dans l’eau politique, mais conforte le projet fou de voir un parti d’extrême droite devenir la seconde force politique du Parlement Européen ! Et ce scrutin n’est pas une urne égarée sur une île déserte. Par une sinistre farce de l’Histoire, la convergence des succès électoraux obtenus par les mouvements d’extrême-droite de Lisbonne à Helsinki semble bien démontrer l’existence de lignes de forces convergentes au sein des demos européens. Comme nous l’écrivions alors : « L’Histoire rappelle que le besoin humain de protection et de bien être peut aussi s’incarner dans un élan vital de prédation : nation contre nation, groupes contre groupe. Nous connaissons le coût tragique des promesses électorales du parti nazi à ses électeurs… ».

Or cette montée de l’extrême-droite se combat mal par sa dédiabolisation. Sa croissance des dernières années confirme qu’il ne s’agit pas d’un parti classique, que l’on pourrait attaquer en démontrant ses incohérences ou l’incompétence visible en débat de ses représentants. L’extrême-droite ne se nourrit pas de raison, mais de ressentiment. Elle canalise les haines. Pour parvenir au pouvoir, il lui suffit de se renier sur quelques tabous comme l’Euro, le Frexit ou demain l’Ukraine qui sait ? Puis de dire tout et n’importe quoi et d’attendre de capter les colères. Pour lui faire face, il faut que les électeurs trouvent leur compte ailleurs, dans un débat démocratique sain.

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7 Commentaires

  1. En Belgique, ce n’est pas mieux. Les élections européennes se déroulent le même jour que les élections fédérales et régionales. C’est dire que les enjeux européens comptent peu. La Flandre va envoyer un important contingeant d’extrême droite, climatosceptique, raciste et eurosceptique au Parlement européen.

    • Disposant d’un observatoire privilégié à Bruxelles, je ne peux que souscrire à votre commentaire. En allant un peu au-delà, il pourrait être intéressant de faire un survol global des résultats chez les 27 après le 9 juin face à la tendance que vous évoquez.

  2. Bonsoir.

    La montée de l’extrême droite en Europe est la conséquence de l’incompétence de la
    classe politique actuelle.
    Ils n’ont pas cessé de nous mentir, de nous manipuler, de faire preuve de cupidité, d’être
    corrompus, d’être soumis aux lobbies de certaines grandes entreprises et de certains états, de
    ne pas faire le travail qui incombe à leur fonction.

    En nous prenant pour des idiots, ils ont ouvert la boîte de pandore, beaucoup de citoyens vont faire l’impensable, à cause d’eux.

    Derniers exemples, notre fameux ministre de l’économie et des finances qui s’époumone à nous faire croire que la baisse de la note par une agence de notation n’est pas si grave que ça, il veut nous faire croire également qu’il ne s’en prendra pas aux retraites après les élections, oui il nous prend pour des …… ?

  3. C’est en effet très décevant cette façon française de ne pas nous permettre de nous informer et de nous intéresser à la campagne.
    On n’a jamais eu plus besoin d’Europe qu’aujourd’hui et même si celle-ci est imparfaite, votons dimanche!
    Concernant le phénomène de montée des extrêmes droite et des populistes, je recommande le livre: « Les ingénieurs du chaos » de Giuliano da Empoli.

    • J’ai lu aussi et j’ai apprécié. Par contre, je n’ai toujours pas bien compris pourquoi ces ingénieurs du chaos agissaient ainsi, quelles étaient leur motivations : pour des dollars ? pour une idéologie ? pour les marchands d’armes ? Je n’ai pas trouvé de réponse.

      • Bonsoir Monsieur PADIOU.
        Vous posez la bonne question, pourquoi ?
        La réponse n’est-elle pas dans l’étude du passé, de l’histoire ?
        Dans le jeu des dominants et des dominés, ceux d’hier et d’aujourd’hui seront ‘ils les mêmes demain ?
        Ces ingénieurs du chaos ne sont-ils pas un des outils alimentant la lutte auxquels se livrent les grandes puissances actuellement ?

        La faiblesse de l’organisation de notre Europe, incapable d’avoir une véritable défense européenne, l’incompétence et la cupidité de nos dirigeants actuels ne les favorisent t’il pas ?

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