Le débat européen du 15 mai : première historique

Jeudi 15 mai avait lieu le grand débat présidentiel européen diffusé avec les mêmes moyens techniques que l’Eurovision. Se faisaient face les candidats: Martin Schulz (socialiste), Jean-Claude Juncker (droite), Guy Verhofstadt (centre), Ska Keller (écologiste) et Alexis Tsipras (gauche radicale).

Que retenir de ce débat?

1) Des médias traditionnels passés à côté de l’événement

Le choix de France 2 de ne pas diffuser ce débat pour privilégier un documentaire sur l’euro montre tout le paradoxe de cette campagne. Le service public audiovisuel a mis en place un beau dispositif pour suivre dans les trois dernières semaines les élections européennes, mais ne diffuse pas le grand débat présidentiel organisé par l’EBR (dont fait pourtant partie France 2).

A contrario de 2009, notre vote va changer quelque chose puisque si la droite ou la gauche arrive en tête, nous n’aurons pas la même personnalité à la tête de la Commission. Les partis politiques européens présentent un candidat. Il y a enfin une véritable personnification de l’Europe choisie par les citoyens. Voter à gauche, cela enverra Martin Schulz à Bruxelles, à droite Jean-Claude Juncker.

Les médias traditionnels sont encore enfermés dans un schéma national où l’événement ce sont les leaders nationaux des partis nationaux qui parlent. Et tant pis si le sujet est européen…

2) Un débat où on respectait la parole de l’autre

Avoir un débat où on ne se coupe pas la parole, nous en avons peu l’habitude en France. Quand sur le plateau (de radio, de télé ou du web) sont invités plus d’une personnalité politique, il est très difficile de développer un propos jusqu’au bout. La culture du « celui qui a le plus parlé a gagné le débat » en France nous prive de beaucoup de clarté. De plus, laisser l’autre finir sa phrase en entier, c’est prendre le risque que, si le propos est pertinent, cela soit ce moment-là qui soit retenu pour résumer le débat dans les reportages futurs.

Cette fois-ci, les intervenants politiques avaient un temps limité pour répondre. Mais existait tout de même la possibilité d’un joker pour réagir deux fois à des propos adverses. Quand on a cinq candidats en plateau avec un égo typique des personnalités politiques de premier rang, voilà peut-être un système à retenir?

3) Un débat dynamique mais avec trop de sujets différents

Une minute pour répondre à la question posée, c’est une bonne idée sur le papier. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » a-t-on coutume de dire. Cependant, il faut apporter un bémol: il y a eu trop de sujets différents abordés et les candidats ont pu rester en surface la plupart du temps. Il aurait fallu probablement pouvoir relancer les candidats sur un point précis de leur intervention.

Au final, en dehors des jokers utilisés pour répondre, les sujets enchaînaient trop vite et les questions étaient souvent soit trop générales, soit trop précises. Au moins, les candidats ont eu le maximum de temps de réponse malgré le fait d’être cinq sur le plateau. Il faudra probablement s’inspirer des débats américains qui ont l’habitude pour les primaires d’avoir beaucoup de candidats.

4) Un vrai choix le 25 mai pour les citoyens

Même si les sujets étaient très diversifiés, les tendances politiques de chaque candidat sont bien apparues:

– Alexis Tispras (GUE – soutenu par le Front de gauche) dénonce la responsabilité d’une Europe privilégiant les banques aux citoyens.

– Guy Verhofstadt (ADLE – UDI-Modem) défend mordicus tout ce qui a trait aux libertés individuelles.

– Martin Schulz (PSE – PS) pointe du doigt la responsabilité des Conservateurs qui ont trop privilégié l’austérité au détriment de la relance.

– Jean-Clude Juncker (PPE – UMP) se veut le candidat de la responsabilité, il serait de ceux qui ont sauvé l’Europe de la catastrophe au plus fort de la crise et qui veulent de la relance « mais avec des milliards qu’on a vraiment dans nos budgets ».

Enfin, Ska Keller pour les Verts aura été la révélation de la campagne: dynamique et très sûre d’elle, elle a fait souffler un vent frais sur ce débat, au contraire d’un Jean-Claude Juncker très ampoulé. Si le candidat de la droite n’a pas fait de grosse erreur, les personnalités gagnantes sont Ska Keller pour la découverte politique, Guy Verhofstadt pour le rôle de trublion habitué aux joutes européennes et Martin Schulz pour le discours cohérent entre la relance et le respect des règles de solidarité financière entre Etats membres.

5) Un événement… sur Internet

Il y a eu plus de 1 000 tweets à la minute selon les organisateurs. Logique quand on sait que le débat était diffusé dans plusieurs pays en même temps. Il y aurait eu selon des outils comme Topsy 80 000 tweets publiés avec le hashtag officiel de l’événement #TellEurope. A des années lumières de #RomanEuro pour suivre le documentaire sur l’euro de France 2. Il y aura donc probablement un décalage entre les audiences de France 2 et LCP (qui diffusait le débat hier soir avec I-Télé) d’un côté et l’intérêt sur les réseaux sociaux de l’autre.

Cependant, il faut aussi apporter un bémol: le fait que les médias traditionnels n’aient pas traité ce débat comme un événement très important a contribué à en donner un suivi confidentiel. A titre de comparaison, le hashtag #soma à propos du terrible accident impliquant des mineurs à Soma en Turquie est largement plus suivi selon les mêmes outils avec plus de 800 000 tweets dans les dernières 24h. En tous les cas, malgré une couverture anecdotique, le hashtag #TellEurope a été 2,5 fois plus utilisé que celui #Cannes2014…

6) Des problématiques européennes et non plus nationales

Dernier enseignement de ce débat, le niveau européen semble être le bon levier pour enclencher des politiques cohérentes sur plusieurs sujets: relance de l’économie européenne, gestion de l’immigration, lutte contre le changement climatique, indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, défense contre les spéculateurs mondiaux…

Par opposition, deux sujets ont été clairement définis comme n’étant pas du ressort de la Commission européenne: la laïcité et les référendums sur l’indépendance d’une région. En dehors de Guy Verhofstadt estimant que le traitement de la liberté religieuse était une valeur commune à toute l’Europe, les autres candidats ont privilégié le savoir-faire national de chaque Etat en la matière. De même pour les questions des indépendances catalanes ou écossaises potentielles de cette année, c’est aux Etats de gérer ces dossiers… Cependant, les critiques ont fusé sur le comportement de l’actuelle Commission prenant le parti des Etats dans la perspective d’une future adhésion à l’Union européenne en cas de déclaration d’indépendance.

Au final, nous avons eu un débat dynamique et riche avec des personnalités qui sont sorties du lot. La plupart des citoyens qui auront regardé ce débat auront pu faire leur choix sur le futur président de la Commission. Ils ne leur restent plus qu’à voter le 25 mai. Quel dommage que les médias traditionnels soient passés à côté !

 Article publié initialement sur le site de l’Express

FabienCazenave

 

 

Fabien Cazenave, @FabienCazenave

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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3 Commentaires

  1. merci de cette analyse; effectivement, c’était un débat réussi et la démocratie, comme on le sait, vit de la confrontation.
    J’ajouterais une touche sur les langues: le débat a bien montré que la diversité des langues qui ont été utilisées est un plus; outre que l’interprétation a bien joué son rôle (ce sont des professionnels), c’était un bon message que les candidats européens puissent parler la langue de leur choix (pour 2 d’entre eux).
    Les débats ont été bien suivis dans les pays du Sud, disent les analystes, et en français ou en allemand. Une leçon à retenir…

  2. Enfin un débat:
    – Vraiment audible,
    – Un débat au niveau européen,
    – Un débat où chacun respecte tous les autres,
    – Un débat à partir duquel chacun peut esquisser un vote,
    – ……
    – Un débat à partir duquel il doit être possible de perfectionner pour tous les auditeurs de l’Europe les débats à venir,

  3. Bien, un beau débat, les élections ont eu lieu, et maintenant commence le temps des tractations au sein du conseil pour le choix du futur président de la commission…
    Pourtant, à écouter tous les européistes convaincus, c’est notre vote qui devait déterminer qui serait le président de la commission, nous aurait on menti durant les semaines qui ont précédé le vote ???

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