L’Ukraine à la croisée des chemins

Comme en 2004, l’Ukraine hésite. Comme en 2004, elle hésite entre son envie d’Union européenne et un rapprochement avec le grand frère russe.

Hier, environ 100 000 personnes se sont rassemblées à Kiev pour réclamer la démission du président Victor Ianoukovicth après que ce dernier ait décidé de ne pas signer l’accord de partenariat et de libre-échange avec l’Union européenne, évoquant des pressions de la part de Moscou. Suite à cette annonce, de nombreux Ukrainiens sont descendus dans la rue pour dénoncer la volte-face de Ianoukovitch et sa volonté de se rapprocher une nouvelle fois de la Russie.

En agissant de la sorte, le président ukrainien a sans doute manqué une occasion historique d’arrimer son pays à l’Union européenne, une union rêvée par nombre de ses compatriotes. A ce propos, je me rappelle de mes amies ukrainiennes, mes camarades de promo au Collège d’Europe qui exprimaient souvent leur euroromantisme et le souhait de voir un jour leur pays rejoindre l’Union européenne. L’accord de libre-échange et de partenariat, à défaut d’ouvrir réellement la voie à une telle hypothèse, aurait pu marquer une étape déterminante dans les relations entre Kiev et Bruxelles et surtout réaffirmer la volonté de rapprochement entre les deux parties.

Mais en refusant de signer cet accord historique, Viktor Ianoukovitch a pris le risque d’ouvrir une crise politique majeur au sein de son pays bien qu’il ait rassuré sur le fait qu’il comptait signer l’accord de libre-échange dans un avenir proche. En réalité, la position ambivalente de l’actuel chef de l’Etat ukrainien est symptomatique de l’hésitation et du manque d’assurance qu’à ce pays vis-à-vis son rôle et son poids géopolitique. Depuis bientôt dix ans, le pays hésite entre une stratégie pro-occidentale et une fidélité sans faille à la Russie quitte à adopter une stratégie ambivalente, pour ne pas dire ambiguë, dans le but de ne fâcher personne.

Une stratégie adoptée notamment par Viktor Ianoukovitch souvent présenté comme un pro-Russe, proche de Vladimir Poutine et surtout partisan d’une ligne conservatrice et nationaliste. Pourtant dès son élection en mars 2010, ce dernier a voulu afficher quelques bonnes volontés et gages notamment vis-à-vis de l’Union européenne considérant qu’une éventuelle intégration n’était pas à exclure. Malgré cela, la volte-face de ce dernier risque bien de jeter un discrédit durable sur la volonté de l’Ukraine de s’affranchir totalement et définitivement de la Russie et donc s’en tenir au statut quo actuel. Une position intenable pour Viktor Ianoukovitch qui s’en retrouve affaibli politiquement et qui doit faire face à une opposition hétéroclite mais globalement pro-Européenne et qui ne manquera pas cette occasion inespérée de remettre en cause un système clientéliste et autocratique. Qui plus est, le Parti des Régions, le mouvement nationaliste et pro-Russe de Ianoukovitch est lui-même partagé sur la stratégie à adopter vis-à-vis de la Russie comme de l’Union européenne, certains députés considérant que l’accord de libre-échange avec l’Europe était essentiel pour le pays.

Dès lors, les marges de manœuvre semblent très étroites pour l’actuel président ukrainien qui a publiquement condamné l’usage de la force pour disperser les manifestants pro-Europe, le week-end dernier à Kiev. Face à une opposition déterminée et un parti divisé, Viktor Ianoukovitch a surement commis une faute politique. Il a surtout sous-estimé la farouche volonté d’Europe de ses compatriotes qui considéraient l’accord de libre-échange et d’association comme le début d’un processus devant faire de l’Ukraine, un membre à part entière de l’UE. On est (très) loin et tout dépendra de la capacité de ce pays de garantir la démocratie et les principes les plus élémentaires du droit, notamment en ce qui concerne le rôle réservé aux opposants comme le rappelle si justement la situation de Ioulia Timochenko, l’égérie de la Révolution orange et ancienne Premier ministre de Viktor Ioutchenko, actuellement emprisonnée. En clair, le pays est clairement à la croisée des chemins et il devra faire face à ses contradictions pour aller de l’avant, avec ou sans la Russie, avec ou sans l’Union européenne.

 

gilles johnson

 

 

Gilles Johnson

 

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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9 Commentaires

  1. Pourquoi ne pas imaginer la création de deux entités : une Ukraine orientale, russophone, et une partie occidentale, plus proche de l’Europe. D’ailleurs, cette situaion a déjà existé, puisqu’en 1917, au moment de la révolution russe, les Soviétiques ont créé une république soviétique d’Ukraine avec Kharkov comme capitale, et les nationalistes ont créé une république d’Ukraine indépendante avec Kiev comme capitale. L’histoire ne peut-elle pas se répéter?

  2. La position ambigüe de la Commission et de certains États membres vis à vis des relations de l’UE avec l’Ukraine ne facilite pas la situation interne de ce pays. Laisser croire que l’Ukraine aurait « vocation » à devenir membre de l’UE, même à moyen ou long terme, ne peut que créer de faux espoirs et/ou de fausses craintes.

    Il en est de même avec les autres États membres du « partenariat oriental ».

    Il serait temps de supprimer des négociations commerciales avec les pays tiers toutes références à des « vocations » ou « perspectives » européennes qui nourrissent cette ambiguité. Des formules telles qu’une « coopération toujours plus étroite avec l’UE » (cf. la déclaration finale du sommet de Vilnius) devraient être plus mûrement réfléchies.

    En pratique, la nouvelle Commission serait bien avisée de séparer la gestion des procédures d’adhésion officiellement avalisées de celle des accords de nature proprement commerciale. On peut même s’interroger sur l’opportunité de maintenir en son sein un Commissaire « chargé de l’élargissement » et une Direction Générale dédiée. JGG

  3. Je rejoins le commentaire ci-dessus, tout en m’interrogeant sur l’opportunité d’envisager de futurs élargissements de l’UE, dans la mesure où la situation de l’UE est assez compliquée politiquement et économiquement.
    L’abstention prévisible, voire l’élection de députés europhobes en mai prochain, seront une indication forte vis à vis du désamour français vers cette institution.
    Aussi une éventuelle ouverture vers des pays en grande difficulté économique et politique ne serait surement pas de nature à raviver l’envie d’Europe chez nos concitoyens

  4. Mais voyons l’Ukraine a au contraire beaucoup à apporter à l’Europe et donc à l’Union Européenne compte tenu de sa culture et de son histoire. Mais encore faudrait-il que les Français, et plus largement les membres de l’UE28, soient conscient de quoi. Il y a donc des progrès aussi à faire de notre côté. Et j’exprime un « optimisme mesuré » pour la suite…

    Depuis l’Antiquité, le fleuve Don était considéré comme la frontière séparant l’Europe de l’Asie. A l’époque de Pierre le Grand, puisque cet Empereur a étendu la zone d’influence de la Russie vers le Nord en créant Saint Pétersbourg, ville souvent considérée comme la vitrine européenne de la Russie, et vers le Sud et l’Ukraine car les Cosaques d’Ukraine avaient rempli l’essentiel de leur mission historique pour la Russie en débarrassant cette dernière des avancées dangereuses et répétées de « la Horde d’Or », une nouvelle convention retenue par les géographes concernant les frontières à l’Est de l’Europe situait celles-ci non plus sur le Don, mais dans l’Oural la barrière de moyennes montagnes et région très industrielle. De cette façon, Pierre le Grand devint populaire en Europe, alors qu’il fut sans doute un souverain aussi « dur » qu’Ivan le Terrible, tous deux vraisemblablement surpassés sur ce chapitre par Boris Godounov.

    En conclusion, le grand pays l’Ukraine est exactement à l’épicentre d’une zone qui se situe entre les frontières géographiques aujourd’hui reconnues de l’Europe selon la majorité des géographes, et ses frontières politiques qui sont la cause de la Construction Européenne dont les Pères Fondateurs furent SCHUMAN, DE GASPERI, MONNET, en particulier. On comprend donc qu’elle est parfaitement consciente de son importance géopolitique centrale, qui n’est d’ailleurs plus à prouver, et que entre le « tout commercial » et le « tout stratégique », il faut continuer à manifester les forces du Dialogue qui font la réputation de la Construction Européenne et son horizon…

  5. Ah que la Démocratie est difficile à vivre, lorsqu’on est désinstruit de ce qu’est la vie en société. C’est autre chose que la vie personnelle ou que la vie familiale. Dans ces deux-là, les émois et sentiments ont une part importante. Dans la vie en société, c’est de l’analyse et de l’Intelligence qu’il faut en priorité. Et cela à une époque où on enseigne à donner la primauté aux émois. Il y a même une publicité du groupe de presse La Vie-Le Monde qui affirme que la clairvoyance et l’intelligence ne doivent jamais prendre le pas sur le cœur ! Allez faire vivre la Démocratie avec cela ! C’est impossible.

  6. difficile de se mettre sous la domination allemande,chefs d’europe,pour devenir un pion de plus dans cette domination… ceux qui crient le plus fort pour vont peut-etre se retrouver les premiers a le regretter encore un pays de plus de s’endetter pour financer les exportations allemandes et peut-etre quelques retraites de plus d’anciens SS qui a gagné la guerre?

  7. L’EUROPE n’est pas qu’une idée mais une réalité économique, un peu trop pour les fonctionnaires, l’aspect humain est souvent embrumé par la politique alors qu’il est primordial… à quand une identité EUROPÉENNE claire et riche de la différences de ses peuples et de sa culture… Le folklore est, entre autre, une des raisons de mon attachement à l’EUROPE des REGIONS, parce que l’économie et la culture vont de paire et sont indissociables et au moins l’un est éminemment populaire.

  8. Si au moins le budget autonome de l’EUROPE n’était pas en diminution pour la période 2014-20 par rapport à la mandature précédente – c’est la première fois que cela arrive depuis les années 1950′ – on pourrait à la limite essayer de « poser nos conditions » dans le cadre d’une éventuelle négociation…

    Comme ce n’est pas le cas je propose de laisser se développer une pédagogie plus honnête auprès des membres de l’UE28 sur l’histoire et la culture de l’Ukraine. L’Ukraine qui depuis l’an 1000 (naissance de KIEV…] a été le berceau de la Russie: ne pourrait-elle pas être le berceau de l’Union Européenne du XXI siècle…

  9. Gilles Johnson écrit : « En clair, le pays est clairement à la croisée des chemins et il devra faire face à ses contradictions pour aller de l’avant, avec ou sans la Russie, avec ou sans l’Union européenne. »
    Et si, plutôt que d’une vision exclusive, il fallait avoir une vision inclusive des grands ensembles !
    Pour ma part, je suis persuadé que l’histoire et la géographie de l’Ukraine lui donne vocation à appartenir à deux grands ensembles : l’Union Européenne et l’ ensemble Russe…
    De même que la France a vocation à appartenir à l’Union Européenne et à l’Union pour la Méditerranée…

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