Maybe Not, Theresa

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Jeudi 8 juin, en pleine semaine, les peuples de Grande-Bretagne étaient conviés à un exercice électoral un peu singulier. Le premier ministre, Theresa May, a dissous la chambre des communes afin de disposer de la part du peuple d’un mandat de négociation du Brexit clair et solide.

Du moins tel était la théorie. Les élections étaient appelées en amont du terme du Parlement car chacun anticipait que le ralentissement économique qui devait accompagner l’entrée dans la réalité du Brexit serait une passe électorale difficile pour le gouvernement en place. Convoquer une élection a moment qui semble le plus facile pour le gouvernement est une pratique courante outre-manche. A dire vrai, ce n’est pas démocratiquement incongru : on sait le poids disproportionné de l’état de l’économie dans les six derniers mois d’un mandat, ce qui introduit un élément assez aléatoire dans les élections et renforce la tendance des gouvernements à multiplier les cadeaux fiscaux en année électorale. On observe bien que par ailleurs ceci n’est pas un obstacle aux changements de majorité au Royaume-Uni.

Theresa May, sur le papier, aurait dû l’emporter haut la main. Ses deux principaux rivaux auraient du être hors course : les souverainistes de l’UKIP parce qu’en s’emparant de leur programme avec le Brexit « dur », elle les a vidés de toute vie. Les travaillistes parce que sous la houlette de Jeremy Corbin, ils dérivent toujours plus à gauche et venaient de promettre la renationalisation du rail, de l’énergie, de la poste et de l’eau.Las ! Au lieu d’une majorité confortable pour passer l’hiver au chaud, les conservateurs perdent la majorité au Parlement sans que personne d’autre ne la gagne.

Voici donc Theresa May, hier chantre d’un leadership fort et stable, contrainte à négocier une coalition avec une poignée d’unionistes d’Irlande du Nord pour assurer son siège. Outre qu’ils ont voté contre la version locale du mariage pour tous, ces députés défendent le retour de la peine de mort, souhaitent introduire le créationnisme à l’école et pensent que le réchauffement climatique est une escroquerie. Bonne chance, Theresa !

C’est donc un Royaume très désuni qui apparaît au lendemain de l’élection. Les conservateurs font in fine 42 % des voix seulement, contre 40 % aux travaillistes soudainement revenus des enfers, à moins qu’ils n’y aient été rejoints. Le premier clivage, évident est politique : Theresa May menace en cas de Brexit sans accord d’installer un paradis fiscal aux portes de l’Europe, ce qui ne peut être sans conséquence sur le financement des services publics. Jeremy Corbin propose un retour au Labour des années 70, qui a mis le pays sous administration du FMI. Imaginons un Fillon sans casseroles mais avec moins de leadership, obligé de s’allier à une sorte de « Sens commun » régional pour une majorité de quelques sièges face à un Mélenchon plus terne et moins inventif.

Le pays est divisé géographiquement : l’Ecosse envoie une majorité de députés indépendantistes l’Irlande du Nord n’a élu que des partis locaux, le Sinn Fein ne se donnant même pas la peine de siéger à Londres.

Mais ce que le vote donne à voir, c’est surtout une fracture nationale sans précédent entre générations. Alors que la division politique entre les classes sociales régresse, les plus de 65 ans donnent désormais 55 % de leurs votes aux conservateurs, tandis que les moins de 35 ans votent travailliste à près de … 55 %. L’extraordinaire remontée des travaillistes dans les derniers jours de l’élection (près de 20 points) tient quasiment uniquement à une montée de la participation de 40 % à 70 % dans cette classe d’age. C’est sans doute la clé centrale de cette élection pour l’évolution de la démocratique britannique à terme. L’écart autour de la question du Brexit est environ de la même ampleur, les conservateurs s’étant désormais identifiés comme le parti du Brexit au détriment de UKIP.

Ceci ouvre une question démocratique complexe: quelle est la légitimité de May pour le Brexit? Contrairement à la France, le Royaume-Uni n’a pas fixé sa constitution par écrit. Au lieu de changer de République régulièrement ils ont fait évoluer leurs règles constitutionnelles à chaque crise rencontrée, en particulier pour prendre en compte la montée de l’exigence démocratique dans les rapports entre les institutions élues et non élues. Ils ne se sont ainsi pas posé de règle abstraite comme la primauté de l’Assemblée nationale sur le Sénat, mais un principe (dit convention de Salisbury), que la Chambre des Lords ne peut faire obstacle aux mesures gouvernementales qui ont reçu l’aval du peuple dans le débat démocratique parce qu’elles faisaient partie du programme du parti vainqueur.

Or quelle est le mandat démocratique sur le Brexit à la sortie des urnes? Theresa May n’a pu obtenir de majorité pour son action, et son propre camp est coupé en deux sur la saveur de Brexit qu’il convient de rechercher. L’opinion publique est désormais majoritairement défavorable à la sortie de l’Union si l’on en croit les dernier sondages. Alors que les négociateurs européens font désormais savoir que le processus n’est pas irréversible et que le Royaume-Uni peut reprendre son congé de la maison commune, Theresa May peut-elle, avec pour seul guide les courants des méandres du parti conservateur, engager son pays dans un Brexit dur sans que personne d’autre ne puisse y dire son mot, ni la Chambre des communes , ni celle des Lords, ni les Assemblées locales des nations qui constituent l’Union, dont certaines ont voté en masse pour le Remain?

Ceci est encore si le « leadership » de la Dame de guimauve est incontesté, ce qui n’est pas le cas. Les prétendants se manifeste, n’en citons qu’un: Boris Johnson ferait un joli Premier Ministre. Comment conduirait-il une négociation, alors que ses déclarations de politique étrangère n’étaient jamais compréhensibles qu’en raison des enjeux de la demi-heure en politique intérieure ? Pour les partenaires européens, la négociation avec un Gouvernement de quatrième république écartelé dans une majorité trop fragile et sans aucune ligne de négociation politiquement assumable en politique intérieure sera un exercice délicat.

 

Une première version de cet article à été publiée dans Témoignage Chrétien, à qui va toute notre amitié

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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2 Commentaires

  1. La soutien des jeunes a Jeremy Corbin montrent que la jeune génération est plus lucide que l’ancienne sur l’avenir d’une planète soumise à un néo-libéralisme ravageur et de plus en plus dénué de sens. En laissant croître démesurément les corporations et les banques nous avons engendré des monstres qui, malgré les impressionnantes machinations qu’ils déploient pour parvenir à leurs fins ont un objectif on ne peut plus simpliste: faire chaque année plus d’argent que la précédente, ce qui a proprement parler est une parfaite aberration et constitue une grave perversion de la pratique du commerce. Un commerce doit faire des bénéfices chaque année mais ne devrait aucunement avoir à en faire toujours plus. La fameuse « croissance », moteur de notre système capitaliste et source infinie de bénéfices pour l’actionnaire est une utopie irréalisable qui nous mènent aux pire excès. Il est temps d’en prendre conscience et L’Europe d’aujourd’hui tarde à la faire.

    • Sans doute que les responsables qui devraient pouvoir changer les choses mais qui laissent faire, en tire leur avantage… Je n’arrive pas à me l’expliquer autrement ! C’est le « toujours plus » que vous référez qui pose problème !!!

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