Tout avait pourtant commencé par une mystification : les 60 ans de la signature du Traité de Rome ne constituent pas le 60e anniversaire de l’Union européenne, née en 1992 avec le Traité de Maastricht. Le Traité de Rome n’instituait, lui, « que » la Communauté économique européenne, palliatif temporaire auquel les constructeurs déterminés de l’Europe unie avaient dû se résoudre pour surmonter leur déception du rejet d’une communauté politique et de défense par la France, déjà.
Mais fêter la construction européenne vaut bien tous les petits mensonges.
Donc la fête était belle, l’organisation impeccable, les forces de sécurité italiennes sérieuses et redoutablement efficaces sous leur apparence débonnaire. Bravo !
À Rome, s’était déjà tenue le matin une « convention » au cours de laquelle les éminents intervenants avaient mené tambour battant, comme dans un ballet, une succession éblouissante de dialogues enflammés, entre eux et avec la salle. Rivalisant d’enthousiasme et de force de conviction, ils avaient fait vibrer les cœurs et échauffé les esprits des militants de tous âges. Alyn Smith, eurodéputé écossais, a été l’objet d’une interminable « standing ovation ». Parmi d’autres, Danita Hubner déplorait la pleutrerie de trop de « décideurs » européens qui n’osent plus engager aucune réforme et se gardent de toute initiative parce qu’ils sont a priori convaincus de l’opposition (non exprimée) « des citoyens », tandis que Guy Verhofstadt martelait qu’il faut de toute urgence à l’Union européenne un vrai gouvernement, démocratique, responsable et légitime.
L’après-midi, sous le chaud soleil romain, la marche de milliers de fédéralistes de toutes origines et toutes organisations constitua un éclatant succès. Ces festivités se sont reflétées dans un nombre considérable de villes européennes, jusqu’au Royaume-Uni, où Londres et Édimbourg ont tenu la vedette.
Et pourtant, cette fête laisse un goût amer. Les caméras de presse étaient nombreuses et leurs opérateurs souriants. Mais, plus tard dans la soirée, quand quelques médias clairsemés ont daigné évoquer les manifestations du jour, c’est pour affirmer la division de l’Europe et de ses citoyens. De quelle « tempête » parlent-ils ? Est-ce parce qu’elles sont plus bruyantes, qu’ils ne veulent entendre que des minorités brouillonnes et incohérentes ?
Ils n’ont eu d’yeux que pour l’improbable assemblée de chefs d’État et de gouvernements d’une Europe sous la houlette de leur président et triste porte-voix, Donald Tusk, incapable comme du reste le président de la Commission, du moindre élan rassembleur – quels pauvres tribuns ! A-t-on jamais vu un chef entraîner qui que ce soit avec lui en proclamant la pétaudière et en annonçant l’échec ?
Ils n’ont eu d’oreilles que pour une déclaration savamment édulcorée afin de ne contenir ni promesse ni engagement. Ne sont-ce pas plutôt ceux-là qui renvoient l’image de la division de l’Europe ? Les promesses vagues ne suffisent plus. Nous n’espérons pas forcément suivre un fleuve tranquille, mais nous voulons distinguer clairement une vision positive de notre avenir.
Donc la fête était belle, mais elle reste un échec médiatique, donc un échec tout court, hélas. Que faut-il bien faire, à défaut de susciter leur enthousiasme, pour seulement éveiller l’intérêt, juste un peu, de ces médias ?
Il faut, certes, à l’Union européenne un vrai gouvernement, un gouvernement démocratique (c’est-à-dire fédéral, forcément, …chut !), responsable devant les représentants du peuple, donc légitime. Un gouvernement qui gouvernera en fonction du mandat à lui confié par la majorité des citoyens de l’Union.
Mais cela ne suffira pas.
Il faut aussi remplacer le Conseil de l’Union européenne, dit « le Conseil » (des ministres), par une véritable chambre haute, un Sénat, représentant les États membres et vrai garant de la subsidiarité.
Il faut abolir le Conseil européen et ses « sommets » théâtraux : censé donner l’impulsion, il ne fait que serrer les freins.
Il faut investir une autorité morale du rôle de représenter l’Europe, ses peuples et ses valeurs aux yeux du monde.
Il faut faciliter l’expression de ses citoyens, les laisser, dans leur diversité, épanouir leur(s) culture(s) et affirmer une vision positive de leur avenir commun.
Et ça, les chefs d’État (au singulier, car il n’y en a qu’un) et de gouvernements (sauf le nôtre, puisqu’en dépit de la Constitution, notre chef « d’État » s’arroge le rôle de chef de gouvernement), ça donc, ils ne le disent pas. Ils ne le disent pas, parce que, sous prétexte d’une souveraineté peau de chagrin, ils comptent – combien de temps ? – maintenir l’UE sous leur tutelle. Souveraineté ? Parlons-en.
Tout cela, c’est à nous tous qu’il revient de l’exiger