Quels dépôts garantir?

 
Dans mon article du 8 avril sur « La moralisation de la finance », j’avais déjà proposé, comme condition préalable à la réalisation de l’Union Bancaire (3ème pilier), de limiter les garanties des dépôts accordées par les Etats Membres à un seul compte par contribuable, quitte à envisager une augmentation du montant de base garanti.

J’aimerais revenir sur ce sujet, plus en détail, pour montrer en quoi cette suggestion devrait réunir les suffrages tant de l’opinion public que des gouvernements (et l’opposition des banquiers). En France, en particulier, elle conforte plusieurs « promesses » faites par le Président Hollande pendant sa campagne électorale.

Il s’agit d’abord d’une mesure « juste » : pourquoi les Etats devraient-ils – aux frais du contribuable – dédommager préférentiellement ceux qui ont les moyens de multiplier le nombre de leurs comptes ? Cette garantie vise à préserver l’accès aux moyens financiers nécessaires à poursuivre sans entraves les payements de la vie courante. Son montant pourrait être porté à € 150.000 pour les couples augmenté de € 25,000 par personne à charge. Elle protège la très grande majorité des citoyens (comme, par exemple, François Fillon qui a déclaré une épargne de €76.000).

La garantie devrait porter uniquement sur un compte ouvert dans le pays où le bénéficiaire est domicilié fiscalement de façon à ne pas faire peser sur le contribuable national la garantie de déposants étrangers (Chypre, Islande).

Cette limitation réduirait très considérablement le « risque » souscrit par l’Etat et faciliterait la mise en place au sein de l’UEM, d’un système de mutualisation du risque, requis pour la finalisation de l’union bancaire. Elle éviterait l’utilisation de « paradis fiscaux » pour abriter des transactions douteuses en dissuadant une clientèle à la recherche de placements hors normes (Islande, Chypre, etc.).

Ensuite, mieux que n’importe quelle loi, que ce soit concernant la « supervision », la « réglementation » ou la « moralisation » de la finance, cette mesure inciterait les banques à une grande prudence dans les risques assumés car celles-ci devront justifier la solidité intrinsèque de leurs bilans pour bénéficier de leur confiance auprès de leur clientèle fortunée respective (la plus rentable).

Les banques feront évidemment valoir que, privées de cette source bon marché de financement (injustifiée), elles ne pourront s’acquitter de leur rôle de soutien de l’économie. Mais, si la mesure entraînait une diminution des opérations de marché trop risqués, elle engendrerait, sans la nécessité de légiférer, le but recherché d’une réorientation de l’activité bancaire vers un profil plus conforme à celle de « banque de dépôts » traditionnelle. Ainsi, il serait possible aux banques gérées avec prudence de regagner progressivement la confiance du déposant dont la perte leur est entièrement imputable par les excès, dénoncés à juste titre, où les profits exceptionnels étaient « privatisés » (dividendes, bonus etc.) et les pertes « socialisées ».

Les déposants, eux aussi, devront chercher à protéger leur patrimoine, ayant perdu la couverture étatique au-delà du montant unique garanti. Mais il est évident, que l’inventivité proverbiale du secteur bancaire créera des instruments de gestion qui répondront pleinement à ce souci de sécurité.

Par exemple, il pourrait proposer que les montants dépassant le seuil garanti soient investis en « bons du Trésor » avec des échéances étalées sur 3, 6, 9, 12 mois, (renouvelés) permettant l’alimentation régulière du compte ordinaire (garanti) selon les besoins. Le déposant bénéficierait de la même garantie d’Etat que celle accordée aujourd’hui à des dépôts séparés. Cela permettrait de simplifier la gestion des comptes en réunissant l’ensemble des avoirs dans un, ou un nombre limité, d’établissement(s) en fonction de contingences objectives telles l’accessibilité près d’une résidence secondaire, ou de filiales de sociétés implantées sur plusieurs sites.

Pour l’Etat, au lieu d’une garantie accordée gratuitement aux déposants avec les risques y afférents, ce transfert vers des bons du Trésor constituerait une source de financement supplémentaire considérable. Elle contribuerait à maintenir les taux de financement de la dette publique à des niveaux plus bas ; elle pourrait être réinvestie, en partie, à plus long terme sans grands risques (dans la BPI, par exemple, pour compenser une baisse des moyens bancaires), une bonne partie du montant ainsi récolté pouvant être considéré comme « stable » pour autant que les finances publiques soient gérées avec « rigueur ».

Au sein de l’Eurozone, ce système contribuerait puissamment à lutter contre la fragmentation des marchés, réduisant d’autant les dangers d’une implosion de la monnaie unique. Les modalités de son extension à l’ensemble de l’UE et ensuite au niveau mondial devraient être étudiées et mises en œuvre dans la foulée.

La limitation des garanties d’Etat aux seuls « résidents fiscaux » d’un territoire réduirait l’attrait des paradis fiscaux, notamment ceux situés dans des pays développés (Royaume-Uni, France (pour les Qataris), Belgique, Autriche, Luxembourg, etc.). Complétée par les mesures d’échange obligatoire d’informations, qui semblent enfin réunir un consensus de plus en plus large, cette mesure simple et aisément compréhensible par l’opinion publique serait très efficace. Faisant ainsi preuve d’une volonté politique capable d’affronter un secteur bancaire discrédité, cette mesure permettrait, plus que tout autre, de restaurer la crédibilité des pouvoirs publics et assainir un système au bord de la faillite, tant financier que moral.

Paul N. Goldschmidt

Directeur, Commission Européenne (e.r.) ; Membre du Comité Consultatif de l’Institut Thomas More.

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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4 Commentaires

  1. Curieux ! L’article précédent, aussi brilliant soit-il, reflète-t-il vraiment les positions de notre association ?
    Bangor

  2. Bonjour Bangor,

    Nous publions sur notre site des articles d’opinion, comme celui-ci, qui n’engage pas l’association, mais uniquement son auteur. Mais c’est aussi le but de Sauvons l’Europe : engager des débats !

  3. C est une mesure essentielle dont les effets sont systémiques.
    La restauration de la confiance des particuliers en même temps que le retour en responsabilité réelle des acteurs financiers constituerait une rupture radicale a la situation actuelle.
    C est une des propositions les plus prometteuses qu’il m ait été donné de lire, avec l instauration d un revenu universel.
    Évidemment, ça pourrait sauver l Europe

  4. c’est un peu compliqué et un peu confus, selon moi. Les paradis fiscaux sont une opportunité pour les très riches; les plans d’épargne sont une tout autre réalité, surtout aux taux dérisoires (inférieurs à l’inflation réelle et nominale) où ils sont rémunérés.
    Je trouve donc l’article assez maladroit car la limitation du nombre de comptes d’épargne détenus par les particuliers rate la cible, du point de vue économique et du point de vue éthique. En tout état de cause, la lutte contre les paradis fiscaux nécessite une régulation claire et déterminée, pas la construction alambiquée qui est proposée.
    S’il s’agit par ailleurs de traiter la multiplication des statuts de non résidents dans les pays y compris européens, là aussi il y a des manières d’agir plus directes et plus convaincantes

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