Qu’est-ce qu’être européen ?

L’Europe aujourd’hui est une communauté de valeurs démocratiques, un état de droit et un espace économique intégré comportant une union économique et monétaire, fondés sur une histoire largement commune.

C’est aussi une société avec des catégories sociales propres tenant en partie leur identité de l’Europe : en sont des exemples les opérateurs du marché européen, les participants aux politiques communes, les étudiants Erasmus, le personnel expatrié des entreprises européennes, les migrants et personnes immigrées, les fonctionnaires, tant européens que des Etats membres, et bien d’autres, tous associés de fait à la construction européenne. Par ailleurs, les habitants de l’Union sont unis par certaines réalisations concrètes comme l’euro.

Il y a ainsi une sociologie européenne, comme il y a une économie et une politique européennes. Ces groupes sociaux constituent les éléments fondateurs de l’existence de l’Europe aujourd’hui et un facteur dynamique d’intégration. C’est par eux que l’Europe est une « union étroite » de peuples et non une simple superstructure de réseaux d’intérêts divers.

Dans ce contexte d’une construction européenne entrant dans la maturité, il serait dangereux de laisser perdurer, voire s’aggraver le fossé qui sépare les populations des autorités européennes, tout comme il sépare ces mêmes populations de leurs autorités nationales. Il est tout aussi essentiel de clarifier certains points relatifs à la question de notre identité.

  1. L’identité européenne s’appuie sur des valeurs communes, exprimées (tant bien que mal) par les conventions du Conseil de l’Europe et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : droits de l’Homme, respect de la vie des autres, état de droit, respect des minorités, respect de la diversité culturelle et linguistique, respect des croyances, liberté d’information, droit à la protection sociale, solidarité organisée par les Etats.
  2. L’identité européenne existe de fait : elle est un résultat plutôt qu’une essence ou une trace génétique. Elle résulte de la croyance profonde qu’après des siècles de jeux d’équilibres et de conquêtes, la guerre n’a plus sa place dans le monde, et les relations entre nations doivent être basées sur le droit international ou le droit que les nations européennes développent entre elles sous forme de droit commun européen.
  3. L’identité européenne est une invitation à construire une union toujours plus étroite, ambitionnant une croissance équilibrée, des échanges profitables à tous et une solidarité entre tous.
  4. Elle est ce supplément dont nous jouissons dans le monde quand nous voyageons avec l’euro en poche, en tant qu’étudiants portés par l’immense popularité du programme Erasmus et l’immense aspiration à la mobilité et à l’apprentissage qui est celle des jeunes (trop peu nombreux), en tant qu’agriculteurs désormais identifiés comme groupe économique protégé par des mécanismes de marché et un budget commun à 27, …
  5. L’identité européenne nous porte vers le monde tout autant qu’elle nous protège dans nos racines. Elle est la garantie que nous ne sommes pas à la périphérie du monde mais que le consensus issu des années quarante sur les équilibres économiques et sociaux, la juste répartition des richesses, la complexité de la réalité (humaine, culturelle, sociale et non seulement économique) permet de faire entendre notre contre-voix, quoiqu’insuffisamment.
  6. L’identité européenne est ouverte : ouverte aux immigrants d’autres pays, source d’émigration vers le reste du monde. On ne peut que trop souligner que la politique de fermeture hermétique des frontières est contraire à l’esprit de la construction européenne.
  7. L’identité européenne n’est pas, sur la grande scène du monde, la somme orgueilleuse de souverainetés théâtrales et défensives qui ne mène à rien. Rien, sauf un théâtre d’ombres. Ce n’est qu’en renonçant à la gestion jalouse de nos territoires et en partageant avec intelligence nos intérêts communs que nous continuerons d’exister.
  8. L’identité européenne est la croyance profonde, dans un monde qui se rétrécit sous l’effet de la globalisation des échanges et l’uniformisation de la pensée dans le concert international, que la seule chance de survie de l’humanité est une concertation entre tous les acteurs, une solidarité accrue au niveau mondial. Elle est notre seule chance de contester les poncifs qui conduisent à la catastrophe (économique, environnementale, sociale) et faire entendre d’autres références que le profit, la compétitivité, la concurrence, la baisse des coûts. Notre originalité principale dans le monde reste un équilibre relatif entre préoccupations économiques, sociales et environnementales, mieux réalisé que sur d’autres continents. C’est une condition aujourd’hui à la survie du globe.
  9. L’identité européenne, inachevée, incertaine, est donc un défi à l’heure de mutations majeures où nous pourrons de moins en moins : dépendre de la protection militaire américaine, faire des économies à courte vue grâce à la main d’œuvre chinoise pour augmenter artificiellement notre compétitivité, nous reposer sur les lauriers des industries du passé (l’automobile par exemple, le nucléaire plus tard car nous avons tardé gravement à engager les mutations énergétiques) et se contenter d’inégalités sociales majeures qui gangrènent nos sociétés.
  10. L’identité européenne est une voie incontournable car nous voyons aujourd’hui le prix de notre inaction et de notre suivisme sur les grandes orientations du monde. Il n’est pas d’alternative à la volonté de forger notre avenir sur des bases plus saines, en coopération plutôt qu’en concurrence.
  11. « La langue de l’Europe, c’est la traduction », disait Umberto Eco récemment. Pour l’identité européenne, l’affirmation a son importance. La langue nous inscrit dans le rapport à l’héritage, la langue stratifiée dans laquelle nous sommes nés et dans le rapport à l’autre vers qui nous écrivons ou nous parlons. Nous sommes donc loin d’une essence introuvable mais d’un travail, intérieur autant qu’extérieur, pour exprimer ce qui nous est le plus intime mais qui nous échappe tant que nous n’avons pas quelqu’un à qui le dire. L’identité européenne admet une multitude d’expressions linguistiques, tant au niveau des nations la composant qu’au niveau régional (y compris dans les langues d’expression des migrants ; elle est fondée, essentiellement, sur une pluralité de cultures).
  12. L’identité européenne ne s’arrête pas aux frontières dessinées par les aléas de l’histoire et par les hauts signataires de quelques traités. Elle est ouverte à tous ceux qui souhaitent se joindre, et en particulier à ceux qui partagent ses valeurs. Elle ambitionne de créer la paix chez ses voisins, de leur servir de modèle ainsi qu’au reste du monde pour organiser leurs intégrations régionales.
  13. L’identité européenne est l’affirmation d’une confiance dans la construction d’un futur ensemble, impliquant la mise en commun de moyens mais aussi d’une éducation à la conscience de ce que nous avons en commun ; un travail patient et laborieux dans le dialogue entre nous, Européens, et avec les autres, non Européens, qui ont tant de choses à nous apprendre sur nous mêmes. Elle découle de la dure leçon de l’interdépendance.
Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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