S’attaquer aux pommes pourries

13 Milliards d’euros! Peste! La Commission a imposé hier le remboursement par Apple de l’ensemble des impôts non payés en Irlande depuis 10 ans. L’affaire est à la fois énorme, ne serait-ce que par l’ordre de grandeur, mais elle fait toucher du doigt les limites du système actuel.

L’heure est d’abord aux superlatifs et à la danse de la joie. Quand l’enquête de la Commission a débuté, il n’était pas certain qu’elle aboutisse à un résultat aussi spectaculaire. C’est un énorme pavé dans la mare de l »‘évitement fiscal » qui remet ce sujet sur le devant de la scène. Le gouvernement américain est furieux, déniant à la Commission un pouvoir de taxation et l’accusant de s’attaquer uniquement aux entreprises américaines. Notons que cette accusation est fausse (nous parlerons du cas belge dans un instant), et que pour le coup les USA ont une manière bien à eux de mettre des amendes record à des firmes européennes mais d’épargner leurs nationaux. Le PDG d’APPLE, Tim Cook, s’est fendu d’une lettre ouverte surréaliste dans laquelle il présente son entreprise comme un modèle de respect des obligations fiscales. Outre faire pleurer dans les chaumières, il avertit que l’innovation et l’emploi en Europe vont mourir. Le Gouvernement Irlandais enfin, suffoque de devoir récupérer 13 milliards et annonce qu’il se battra jusqu’à la mort pour l’éviter.

De quoi est-il question? Apple a dans un premier temps attribué à sa filiale Irlandaise l’ensemble de ses ventes mondiales. Lorsque vous entrez dans un magasin en France et que vous achetez un produit Apple, sachez que la vente ne se passe pas en France, mais en Irlande. L’ensemble des ventes d’Apple dans le monde, à peu de choses près, est donc soumis à l’impôt Irlandais. Mais par ailleurs, en 1991 puis en 2007, Apple a obtenu de l’Irlande deux rescrits fiscaux précisant l’interprétation correcte du droit fiscal Irlandais en ce qui concerne sa situation. Ces deux rescrits acceptaient de considérer que l’ensemble des profits pouvaient être rattachés à une structure de direction qui ne contenait que le Conseil d’administration. Cette structure n’étant territorialisée nulle part, ne payait d’impôts nulle part. C’est ainsi qu’en 2014, selon les calculs de la Commission, Apple n’a payé en Irlande que 0.005% d’impôts.

montage apple

 

La Commission a suivi ici une approche très orthodoxe du droit des aides d’Etat, contrairement à ce qu’on entend dire ici où là. Le contrôle des aides d’Etat a dérivé dans les années 2000 vers un contrôle de la bonne utilisation des deniers publics, les gouvernements étant fortement soupçonnés de ne pas savoir ce qu’ils font. En quelque sorte un compagnon du droit des marchés publics. Mais au départ, c’est un compagnon de la fin des frontières douanières. L’idée était d’empêcher que pour compenser la fin des droits de douane entre pays, les Etats donnent de l’argent à leurs champions nationaux pour prendre des marchés à leurs voisins, ou pour attirer des entreprises à s’implanter sur leur territoire au détriment d’autres territoires. C’est exactement ce qu’a fait l’Irlande avec Apple. Par des décisions individuelles et personnelles à Apple, l’Irlande a accepté un montage abracadabrantesque permettant à cette entreprise de ne payer d’impôts sur la plupart de ses profits nulle part dans le monde. Il s’agit à l’évidence d’une manoeuvre de réduction des impôts d’Apple, qui ne repose sur aucune règle fiscale générale d’Irlande. Spécifiquement, la Commission considère que les profits doivent dans un groupe être généralement attribués à la branche qui les génère, et donc taxés auprès de celle-ci, et que les bénéfices attribuables à l’activité propre du Conseil d’administration sont quasi-nuls. Il y a donc 13 milliards d’impôts à récupérer par l’Irlande sur 10 ans, parce qu’Apple ne s’est pas fait appliquer le droit fiscal Irlandais.

Cette orthodoxie est naturellement la grande force du cas, c’est également sa limite.

La Commission prend bien soin de préciser qu’elle ne remet en cause ni le taux normal d’impôt sur les sociétés en Irlande, ni le montage par lequel Apple déclare ses ventes mondiales en Irlande. La machine folle du dumping est donc toujours en place. Qu’est-ce qui empêche demain Malte d’accepter le même système, mais en promettant un impôt sur les sociétés de 1% pour l’ensemble des entreprises?

Pour Sauvons l’Europe, cette question de la liberté des entreprises à localiser fictivement leur activité économique est la question centrale autour de laquelle s’organise une grande part de l’évitement fiscal. C’est pourquoi nous avons lancé l’initiative Too Big to Tax contre les multinationales trop grosses pour se soumettre à l’impot. La stratégie que nous proposons pour remédier à ce point est la suivante. Tant que des règles communes d’imposition n’ont pas été dégagées au niveau Européen et OCDE, et nous saluons ici l’activité de Pierre Moscovici en ce sens, il faut que les Etats victimes contestent ces pratiques absurdes. Ils peuvent le faire individuellement, comme la France l’a fait pour Google en annonçant un redressement majeur pour 1,6 milliards d’euros. Rappelons que l’amendement que nous avions proposé pour favoriser ces redressements a été repoussé sous prétexte de droit européen, analyse que nous ne partageons absolument pas. Ils peuvent surtout se liguer pour le faire. Le système par lequel Apple ne déclare pas d’activité en France est le même en Allemagne. Plusieurs Etats peuvent donc faire enquête fiscale commune, puis prendre des décisions séparées à son issue. Ceci donnerait une force particulière à leurs décisions.

Parlons un instant tout de même du cas belge. Le 11 janvier 2016, la Commission a considéré que non pas des rescrits individuelles, mais une règle du système fiscal belge spécifique aux multinationales constituait une aide d’Etat pour l’ensemble des entreprises auxquelles elle a été appliquée et a ordonné le remboursement du moins d’impôt pour toutes les entreprises concernées. Très curieusement, la Belgique considérait que quand un groupe transnational a son siège sur son territoire, elle ne peut taxer l’ensemble des profits qui lui sont déclaré car une part forfaitaire est générée par les synergies du groupe, et donc n’est pas « belge ». Ce rabais sur les profits n’était naturellement pas taxé ailleurs dans le monde. Notons que dans le communiqué relatif à Apple (la décision n’est pas encore publiée), la Commission précise que le montant de 13 milliards pourrait être réduit si d’autre pays réclamaient la territorialité des profits concernés. Ceci a été interprété comme un message malicieux aux USA, mais la France, l’Allemagne et les autres ne sont-elles pas tout autant concernées? Et au regard du droit européen, le fait de laisser Apple prétendre qu’elle ne vend rien sur leur territoire n’est-il pas… une aide d’Etat?

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

Soutenez notre action !

Sauvons l'Europe doit son indépendance éditoriale à un site Internet sans publicité et grâce à l’implication de ses rédacteurs bénévoles. Cette liberté a un coût, notamment pour les frais de gestion du site. En parallèle d’une adhésion à notre association, il est possible d’effectuer un don. Chaque euro compte pour défendre une vision europrogressiste !

Articles du même auteur

9 Commentaires

  1. Excellente démonstration pédagogique. Bravo ! Arthur, ton attaché de presse doit vite perndre contact avec l’équipe de « C’est dans l’air ».

    • « C’est dans l’air » se cantonne souvent à commenter la « politique politicienne » et les « petites phrases », au détriment du débat de fond. On s’appuie sur la politique fiction et l’impact des sondages alors qu’il serait vraiment utile d’expliquer le fond de la gestion de la France dans le contexte mondial . Il y certes des exceptions et quelques fois certains invités nous ravissent par leur démonstrations explicatives. Ainsi je crains que la belle démonstration d’Arthur, fasse tache au milieu de la pauvreté des commentaires carriéristes.

      Par ailleurs cet article nous montre à quel point les puissantes multinationales se moquent de la démocratie en biaisant habilement, leurs actions. Cela montre la nécessité de nous fondre dans une Europe harmonisée pour mieux sauvegarder notre souveraineté. Sans une rapide synchronisation des états membres de l’Europe, notre souveraineté est en danger mortel.

  2. Une tempête dans un verre à dents!
    La Commission condamne Apple à rembourser l’Irlande, laquelle n’en veut pas et este devant la Cour de Justice de Luxembourg.
    Le montage fiscal d’Apple est légal, d’autres le pratiquent, et permet de vendre en Europe hors impôts en profitant des différences entre pays.
    L’argument de la Commission est en fait une distorsion à la concurrence par subvention déguisée.
    Pauvre Europe!

  3. Article intéressant d’où il ressort et lu ailleurs et dans des commentaires ici même que Apple a agit légalement vis à vis de l’Irlande. La Commission européenne ne peut attaquer que sous un angle de distorsion de concurrence puisque nous sommes incapables défaites la même législation fiscale pour tous les états membres.
    Je propose une révolution : l’économique in fine est au service de l’homme . Donc libérons les entreprises des impôts, posons salaires payés =salaires net + charges sociales et patronales. Supprimons la tva et le maximum d’impôts et reportons tout sur l’impôt sur le revenu:nouveau salaire, loyers,dividendes etc.
    Les boîtes pourront se consacrer à faire des affaires : c’est leur but. On allège l’état, on supprimer des monceaux de cas juridiques, on facilite l’équilibre du budget (après il faut le faire baisser). Cette libération décentralisée est accompagné de vraies mesures sociales et de simplification encore: revenu minimal universel remplaçant moultes allocations autres que santé et chômage.
    On paie que la différence entre le revenu total de la personne et ce
    rmu.
    Ça ça decoifferait . À débattre.

  4. Lorsque les Américains (USA) infligeait une amende colossale à la Société Générale ,le gouvernement de ce pays considérait cela comme « normal » mais pour eux la réciproque n’est pas vrai et de ce fait j’approuve tout à fait la décision française d’interrompre le « Tafta » qui n’aurait été qu’un marché de dupes au seul profit du commerce US.. » Seigneur protégez moi de mes amis..mes ennemis je m’en charge! »

  5. Bonjour, la proposition de F Pelletier est effectivement à débattre. Notamment sur le fait des taxer les salaires. Si l’on veut combattre le chômage la logique veut que le travail ne soit pas taxer. Voir qu’ il bénéficie de crédit d’impôts. Plus une entreprise à de salariés moins elle paie d’impôt à revenu équivalent.
    Irlande et Apple: pourquoi ne pas reverser les amendes de cette nature au budget européen. Si des pays contribuent à la distorsion de concurrence en proposant aux multinationales des montages financiers les exonérant d’impôt sur les sociétés, c’est qu’ils n’ont pas besoin de ces revenus. Autant les remettre à la disposition du plus grand nombre….

  6. Soyons précis, il ne s’agit pas d’amende mais de remboursement, à l’Etat les ayant autorisées, d’aides indues ayant provoqué discordance de concurrence (compétence de la Commission au contraire de la fiscalité compétence des Etats)

  7. Bravo. L’Europe ne s’en sortira que si on harmonise plus la fiscalité et si l’on trouve le moyen de faire en sorte qu’il n’y a pas de « Too Big to Tax ».
    Le marché que représente l’UE a assez de poids pour que même l’Oncle Sam soit obligé de s’incliner devant nos volontés de faire fonctionner l’économie pour les humains et non pour toujours plus de finances dans les paradis fiscaux.

  8. Pas mal de choses dans votre article ne tiennent pas debout. Un principe général veut que les taxes sont payés là ou’ les profits sont genérés. Mais il faut que la présence de l’entreprise soir réelle. En Irlande la présence est fictive ou non? Vous dites que non, et en même temps que Apple a crée en nombreux emplois en Irlande. Si la présence réelle existe, attention à faire le procès aux multinationales US.! Le Groupe PSA Peugeot Renault , par ex.: vous êtes surs qu’il paye toutes ses impôts en France? Cela m’étonnerait. Et de quelles taxes on parle? Certainement pas la TVA versée dans le pays des ventes. Et si on a des pertes en Roumanie et de profits en Italie, l’entreprise chef de groupe a-t-elle ou non le droit de compenser? Vous dites l’état « victime »: quel état « victime »? L’état est le seul éventuellement « coupable » ! Pas la multinationale dont le but est de faire des profits pas de la bienfaisance, ni l’ U.E. car sauf erreur la fiscalité est encore compétence de chaque état membre. Tout le monde sait que la France est un « paradis fiscale » au moins pour implanter une entreprise. On pourrait continuer ainsi, mais le problème est que pour un journaliste est bien simple séntencier sur la fiscalité! De toute manière personne y comprend rien.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

A lire également