Sauver l’Europe

Quittons, si vous le voulez bien, le débat stérile sur les primaires socialistes, désormais émaillé de sondages quotidiens qui ne veulent rien dire – on ne connaît ni le corps électoral, ni les candidatures effectives, l’échéance est très lointaine – et de déclarations approximatives. Martine Aubry a rappelé, utilement, notre calendrier : déclaration de candidatures en juin, primaires à l’automne. Chacun sait, maintenant, qu’il ne sera pas bousculé : c’était ma position, j’en suis donc satisfait. Prenons plutôt conscience que l’inquiétude de nos concitoyens est ailleurs, que leurs préoccupations sont tournées vers des questions plus essentielles – la précarité, qui explose, les inégalités, qui s’aggravent, le chômage, qui perdure, bref les difficultés économiques et sociales du pays, qui nous assaillent tous les jours, et dont la résolution sera le vrai sujet des échéances politiques à venir. C’est là-dessus, d’ailleurs, que les aspirants-candidats devraient concentrer leur effort.

La crise française a bien sûr des composantes nationales, elle renvoie toutefois aussi à la mondialisation et à l’Europe. Je ne minimise pas, au contraire, l’impact délétère des politiques suivies par la droite française depuis 2002, et plus encore depuis 2007. Les allégements fiscaux à contretemps et favorisant la rente ont à la fois dégradé considérablement les finances publiques de notre pays et laissé croître un puissant sentiment d’injustice, l’Etat a perdu l’essentiel de ses capacités d’investissement et ne fait plus face à la demande, légitime, de services publics dans les domaines essentiels – sécurité, éducation, justice – l’effort de relance a été mince et ses effets sont lents à se faire sentir. Il faudra, dans la conduite de la politique budgétaire, retrouver demain des marges de manoeuvre, reconstruire une redistribution plus équitable, redonner la priorité à la préparation de l’avenir, à la justice sociale, au travail. Nous reparlerons de tout cela. Chacun sent bien, toutefois, que toute solution purement nationale a ses limites, que le protectionnisme – qui tente certains, même à gauche – n’apporte aucune solution, que le repli sur soi n’est pas une issue. C’est l’Europe, c’est la régulation financière et monétaire internationale que la crise appelle, c’est à cette échelle que doivent s’élaborer les réponses exigées par les peuples, choqués des dérives de l’hyper-financiarisation de la fin du 20ème siècle et du début de ce millénaire.

Or c’est là, précisément, où le bât blesse. L’Europe, vous le savez, est au coeur de mes engagements, j’y ai consacré une grande partie de ma vie politique, je l’ai fait avec conviction, avec passion. Je suis aujourd’hui un Européen préoccupé. Car l’Europe va mal. Elle ne se porte pas bien sur le plan économique : elle est devenue, dans un monde où grandit l’influence des pays émergents, où la Chine et l’Inde prennent une place chaque jour plus considérable, une zone de croissance faible, donc de chômage élevé, elle est contestée dans son leadership en matière d’innovation et de recherche. Ses relations sont distendues avec son partenaire américain – l’administration Obama est remarquablement indifférente à notre continent. Elle est politiquement affaiblie, du fait de la dispersion de ses centres de décision et de l’inefficacité de ses dirigeants, tentés par une fuite en avant dans l’inter-gouvernementalisme, elle n’a plus de grands projets. Elle est confrontée au doute de ses peuples, qui savent qu’il n’y a pas d’alternative à la construction européenne, mais ne se contentent pas du statu quo. Surtout, elle est secouée par la tempête monétaire et financière qui a atteint l’Irlande après la Grèce, qui menace l’Espagne et le Portugal, dont les embruns n’épargnent pas la France. Les Européens, j’en ai parlé ici à propos de la crise grecque, ont réagi tardivement et en ordre dispersé à ces difficultés, ils l’ont fait laborieusement – mais ils l’ont fait. Chacun sent bien, pourtant que le point d’équilibre final n’a pas été trouvé.

Comment sauver l’Europe ? Comment la relancer ? Ces questions sont vitales. Elle concernent d’abord la zone euro. J’approuve, pour ma part, les signaux – tardifs peut-être, hésitants sans doute au démarrage, mais finalement nets – donnés aux marchés et aux spéculateurs, aussi bien par les institutions européennes ou les gouvernements que par la Banque centrale européenne (BCE) : la spéculation n’emportera pas l’euro, la solidarité s’imposera. Je reste en effet persuadé que la défaisance de l’euro – qui tente Nicolas Dupont-Aignan, mais aussi Jean-Luc Mélenchon – serait dramatique, et appauvrirait encore les pays concernés, tout en recréant de la spéculation entre les monnaies nationales, entre celles-ci et l’euro. La gestion de la monnaie doit être politique, elle le devient enfin : tant mieux. Soyons toutefois conscients, comme citoyens et comme responsables de gauche, que le discours dominant n’est pas convaincant, et surtout qu’il est profondément erroné : il ne peut pas, ne doit pas être le nôtre. Car, comme l’ont justement expliqué Michel Aglietta et Lionel Jospin, l’austérité, la rigueur généralisée, prônées par les gouvernements conservateurs qui dominent aujourd’hui l’Europe, comme par la BCE, ne sont pas une bonne réponse. Elles risquent – comme l’a montré le FMI – eh oui, celui-ci n’est pas l’ « affameur des peuples » que certains caricaturent, il porte aussi une logique keynésienne – de faire mourir le malade guéri. Leur impact sur la croissance, l’emploi et in fine le rétablissement des finances publiques, menacé par le tarissement des rentrées fiscales, est délétère, elles condamnent la zone euro à la stagnation au mieux, c’est à dire à un recul réel dans un monde qui change. La gauche doit être responsable, elle doit porter une ambition européenne et défendre l’euro, elle ne peut se contenter de prôner une rigueur peinte en rose.

Nous devons au contraire proposer une vision à la fois plus ambitieuse et plus généreuse. Je n’ai pas la place, dans ce blog, de développer largement celle-ci. J’envisage plutôt de lui consacrer une large place dans un livre dont je commence la rédaction, à paraître en avril. Mais elle comporte, pour moi, cinq axes, elle implique cinq grandes propositions, que je soumets à votre jugement :

* la solidarité européenne doit être sans faille. La création, maintenant décidée, d’un Fonds monétaire européen doit être accélérée, celui-ci doit être doté des ressources nécessaires pour lui permettre de faire face aux attaques portées contre les Etats-membres de la zone euro. Il est également souhaitable que la politique monétaire de la BCE, sans céder au laxisme ou encourager la résurgence de l’inflation, montre une détermination de la même nature. J’ai soutenu et je soutiendrai toute initiative allant dans cette direction.
* la dette publique est l’ennemi de l’efficacité et de la justice, l’ennemie de la gauche. Elle interdit toute stratégie de développement et compromet la pérennité des services publics. La fuite en avant dans l’endettement est à la fois vaine et erronée, elle débouche toujours sur ce qu’elle vise à conjurer : le rationnement économique et financier. C’est pourquoi la gauche, doit être, avec force, l’ennemie de la dette. Si nous revenons aux responsabilités en 2012, nous devrons désendetter le pays – évidemment en envisageant un partage de l’effort radicalement différent de celui qu’imposent Nicolas Sarkozy et la droite.
* la gauche doit aussi proposer la relance de la demande européenne. Pour éviter l’enlisement, l’Europe doit rallumer les moteurs de la croissance – la consommation, qui dépend du partage des revenus, et l’investissement public. Les choix budgétaires et fiscaux nationaux, comme à l’échelle de l’Union européenne, doivent être adaptés à cette finalité.
* la coordination des politiques économiques est plus que jamais à l’ordre du jour. L’Europe a sans arrêt eu un coup de retard dans la gestion des crises qui ont affecté telle ou telle de ses nations. Elle n’a ni anticipé, ni même réagi avec promptitude et efficacité. Le temps d’une coordination renforcée, reposant sur une gouvernance économique – un gouvernement économique, pour tout dire – de la zone euro est venu.
* Enfin, la gauche devra proposer une nouvelle étape dans la construction de l’Europe politique. Il ne s’agit pas tant, à mes yeux, de reprendre le débat institutionnel – qui nous a fait beaucoup de mal – que de mieux habiter les nouvelles institutions européennes, de les aider à définir à nouveau de grands projets mobilisateurs – je pense aux droits sociaux, à la culture, à l’écologie, à la défense… – et de renouer le lien avec des citoyens auxquels l’Union se contente de demander une adhésion passive sans leur offrir de motif de mobilisation et d’enthousiasme.

Bref, vous m’avez compris : la gauche, en 2012, devra s’armer d’une proposition européenne forte, nouvelle et complète. A défaut, elle sera condamnée à agir à la marge, à subir le courant dominant et donc à échouer ou réussir petitement. Je reviendrai sur ce thème – mais serais heureux de recueillir votre avis.

Pierre Moscovici

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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