Le 14 janvier dernier, la Commission européenne lançait en grande pompe le plan d’investissement pour un Green Deal (appellation plus usitée semble-t-il que « Pacte vert ») et le mécanisme pour une transition juste et promettait de mobiliser 1.000 milliards d’euros en dix ans.
Pourtant, si cette somme paraît astronomique, à y regarder de plus près, le compte n’y est pas. La communication de la Commission européenne s’apparente plus à un tour de passe-passe avec les chiffres qu’à une réelle ambition pour faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone d’ici 2050. De manière générale, il faut d’abord rappeler que, pour atteindre cet objectif de la neutralité et respecter les engagements européens définis dans l’Accord de Paris, l’Europe devra selon les chiffres même de la Commission investir 260 milliards d’euros par an soit, 2,6 fois plus que ce qui est promis aujourd’hui! Encore ce calcul est-il plus prudent qu’un rapport publié en septembre 2017 par la Cour des comptes européenne qui estimait à 1.115 milliards d’euros… par an la facture d’une diminution de 30% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.
Au-delà de l’effet d’annonce et de la lecture quantitative des chiffres, la mise en œuvre du financement du mécanisme pour une transition juste soulève des interrogations en termes de valeur ajoutée par rapport aux dispositifs existants.
Le mécanisme pour une transition juste est en effet une construction financière composée de trois piliers: un fonds, un volet « vert » du Plan Juncker ou InvestEU et une ligne de prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI) pour le secteur privé. Pour le Fonds pour une transition juste, la Commission propose de mettre 7,5 milliards d’euros « frais » sur la table. Il est facile, pour l’exécutif européen, de proposer une augmentation du budget pluriannuel de l’Union européenne. Il sera beaucoup plus difficile de persuader les Etats membres, qui ne réussissaient déjà pas à se mettre d’accord sur la proposition initiale de budget déjà peu ambitieuse de la Commission, de consentir à l’augmenter. En d’autres mots, il y a un risque important que l’argent « frais » du Fonds de transition juste soit en fait ponctionné sur les autres budgets d’investissements de l’Union européenne, probablement en priorité sur celui de la politique de cohésion, qui finance déjà à hauteur de 25% de son enveloppe une transition écologique juste (sic).
En second lieu, la Commission européenne annonce que, grâce à ces 7,5 milliards d’euros, il sera possible de mobiliser entre 30 et 50 milliards d’euros. Cela s’explique dans le règlement de ce fonds qui impose de cofinancer 1 euro du fond de transition avec entre 1,5 et 3 euros des fonds structurels et d’investissements de la politique de cohésion. Non seulement ce cofinancement augmente les contraintes en termes de programmation mais en plus il ne permet d’anticiper qu’entre 18 et 30 milliards d’euros d’investissements alors que les euros additionnels mobilisés étaient déjà majoritairement fléchés vers la transition écologique. Voilà pour le fonds: 7,5 milliards d’argent « frais » pas si frais que ça mobilisant 30 milliards d’euros (et non cinquante) qui étaient déjà fléchés vers la transition écologique.
Qui plus est, les moyens du Fonds de transition juste doivent faire l’objet d’un exercice de programmation différent des fonds structurels et doivent être programmés selon la Commission à un niveau territorial différent: au niveau dit NUTS 2 (régions) pour les fonds structurels et au niveau NUTS 3 (départements) pour le Fonds de transition juste.
Le deuxième pilier du mécanisme de transition juste équivaut en fait à une labellisation verte du « Plan Juncker » (dont l’appellation officielle est « InvestEU »). Ce plan a certes obtenu des résultats mais les études ont montré d’une part, qu’il avait un effet anti-cohésif – c’est-à-dire qu’il renforçait les inégalités au niveau européen en concentrant les financements dans les pays les plus développés ayant la capacité administrative et financière de mobiliser ce type d’instruments financiers complexes. D’autre part, il semblerait qu’il ait financé plutôt des projets d’ores et déjà « banquables » ne nécessitant pas son intervention. Il aurait ainsi constitué un effet d’aubaine pour les investisseurs privés. Ce nouvel avatar vert du Plan Juncker saura-t-il mobiliser les investissements nécessaires à la transition écologique dans les domaines de l’efficacité énergétique du logement, de la mobilité du quotidien, des services publics locaux? Rien n’est moins sûr.
Enfin, le troisième volet du mécanisme n’est rien d’autre qu’une ligne de crédit pour le secteur privé. Ces 30 milliards d’investissements « supplémentaires » dépendront donc de la bonne volonté des entreprises à financer la transition écologique. Or, comme le développent Michael Vincent et Nancy Yuk dans une note pour la Fondation Jean-Jaurès, l’investissement privé a besoin d’impulsion et de direction politiques et publiques et pour dépasser l’aversion au risque et la « tragédie des horizons ».
L’indigence du fonds d’investissement pour une transition juste au niveau financier reflète la trop faible volonté politique pour relancer les investissements publics en Europe. Ce déficit est une véritable dette cachée qui fait sentir ses effets tant au niveau électoral, avec la progression des votes antisystème, qu’au plan social et de la cohésion territoriale – avec une fragmentation de la société toujours plus importante. Et de fait, le moment de vérité sur le financement du Green Deal est encore à venir. Ce sera lorsque la Commission se décidera à proposer une refonte du Pacte de stabilité et de croissance (qui fait la quasi-unanimité des économistes contre lui aujourd’hui) et du Semestre Européen pour y intégrer un traitement différencié des investissements cofinancés par l’Union européenne en fonction de leur contribution à la mise en œuvre des Objectifs du Développement Durable et en faveur d’une transition juste. Il n’y a pas de temps à perdre pour cela.
[author title= »Nicolas Lété et Matthieu Hornung » image= »http:// »]Nicolas Lété, administrateur au Comité Européen des Régions Matthieu Hornung, Co-animateur de Sauvons l’Europe en Belgique[/author]
Bonjour, je pense qu’on devrait tout d’abord souligner l’effet d’annonce que ce plan va avoir : je suis en train de lire le livre de Jeremy Rifkin sur le Green New Deal, et il explique bien que l’Europe est la pionnière dans la transition, et qu’elle a déjà passé (depuis 2017) le point à partir duquel le changement énergétique devient inéluctable (14%), bien avant la Chine (qui a été tirée par l’Europe dans cet effort) et les Etats-Unis qui n’y sont pas encore, même si ça progresse plus que ce qu’on croit.
Evidemment il faut rester vigilant, mais c’est maintenant aux citoyen.ne.s européen.ne.s de se mobiliser pour que cet effort s’étoffe de plus en plus pour arriver à ce qui est nécessaire (selon Diem25 le besoin était de 500 milliards d’euros par an pendant dix ans, soit 5 000 milliards…) Il y a encore du chemin à faire, mais on avance.
Essayons de ne pas trop nous déprimer avec ce qui nous déçoit, et au moins acter les changements, même symboliques : le fait que la nouvelle commission mette le sujet à l’ordre du jour dès le début de son mandat est un bon signe.
comme les britanniques sauvons NOUS de l’europe !!!!!!!
[…] communique elle aussi sur le « mille milliards », on sent que ça manque de souffle, https://www.sauvonsleurope.eu/1000 milliards d’euros annoncés par la Commission Européenne pour …. En effet, cette somme est sur la durée du mandat et en plus elle inclut le recyclage de crédits […]