Cette lette ouverte à Clément Beaune de la société civile a été publiée dans les Echos, à l’initiative du Mouvement européen et de l’Association des Journalistes Européens. Nous l’avons évidemment cosignée avec plaisir.
Ce jour où la couverture des élections américaines mobilise des rédactions entières et donne lieu à des cahiers dans les journées contraste avec l’absence de diffusion des débats entre candidats à la Commission lors des élections européennes ou le silence poli qui a accueilli le discours sur l’état de l’Union d’Ursula von der Leyen. Sans méconnaitre l’impact de la superpuissance américaine, rappelons que nos gouvernants se trouvent sur notre continent et qu’il serait sain de leur accorder un peu d’attention.
Parler d’Europe dans les médias ne peut pas non plus être purement quantitatif. A qui viendrait-il l’idée de faire tourner la presque entièreté du débat médiatique sur la France sur un choix pour ou contre la France ? Il faut discuter des décisions, des politiques, des personnes. Quelle démocratie pourrait exister sinon, et en fonction de quoi les citoyens pourraient ils bien déposer leur bulletin ? Or nous avons tout l’échafaudage d’une démocratie européenne: des élections, un Parlement, des candidats avec des programmes pour une Commission fortement issue du résultat des urnes, un Conseil de gouvernements démocratiques. Que manque-t-il pour que ça marche ? Un débat réel, la conscience qu’ont les citoyens de pouvoir choisir, le sentiment qu’ils sont représentés et que la politique suivie est en accord avec ce qu’ils ont exprimé. Le fait est qu’il n’y aura pas de débat en dehors des médias.
De nombreuses propositions émanent du monde pro-européen pour améliorer cette situation, dans cette tribune ou en ce qui nous concerne plus spécifiquement ici par exemple. Saisissons simplement l’occasion ou la communauté pro-européenne se rassemble pour rappeler que la loi sur la communication audiovisuelle, échouée sur la grève de l’épidémie, avait l’objet de nombreuses propositions d’amendement en ce sens. Cet instrument pourrait être partiellement repris pour porter le Pacte pour la visibilité de l’Union Européenne proposé par cette tribune. Nous appelons à une large concertation des acteurs pour définir ce Pacte collectif.
L’épidémie a démontré mieux qu’aucun discours la nécessaire action de l’Union européenne. Les effets de la politique européenne se manifestent aujourd’hui concrètement dans le quotidien des citoyens européens, que ce soit pour gérer le volet économique ou sanitaire de la crise actuelle. Pourtant, en France, l’actualité communautaire demeure la grande absente de la couverture des enjeux politiques réalisée par les principaux médias audiovisuels.
Face aux effets de la pandémie, l’Union européenne a su se mobiliser pour soutenir les économies des pays les plus atteints, initier la coordination des politiques sanitaires nationales ou encore participer au financement du chômage partiel au sein des vingt-sept Etats membres. Le plan « France Relance » bénéficiera également de près de 40 milliards d’euros de financements européens parmi les 100 milliards mobilisés pour retrouver la croissance.
Capitales dans l’effort d’après crise, les réalisations communautaires se voient assignées une place mineure dans l’actualité française. A titre d’exemple, le discours annuel sur l’état de l’Union européenne de la Présidente la Commission européenne, prononcé le 16 septembre au Parlement européen, n’a été diffusé sur aucune chaîne d’information en continu, pas même celle du service public. Surtout, la prise de parole d’Ursula von der Leyen n’a même pas été traitée dans certains des principaux JT français, les 13H de France 2 et TF1 et le 20H de la première chaîne.
La difficile visibilité de l’Union européenne à la radio et à la télévision
L’événement illustre un état de fait persistant : les médias audiovisuels français ne parviennent pas à couvrir largement l’actualité des institutions européennes. Une étude de la Fondation Jean Jaurès et de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) démontrait en 2019 que les journaux d’information des principales chaînes de télévisions et de radios hexagonales ne consacraient que 3 % de leur temps d’antenne aux enjeux européens.
La mise en lumière du débat public européen sur nos écrans constitue pourtant un enjeu majeur. 73 % des Français se déclaraient en 2018 mal informés sur les questions européennes, se plaçant en dernière position parmi les Etats membres de l’Union. Comment espérer que nous puissions être des citoyens européens avertis si nous ne pouvons prendre connaissance de l’actualité de l’Union ? Or, la télévision constitue toujours le premier moyen d’information sur le territoire. 46 % des Français y ont recours en priorité pour se tenir informés de l’actualité nationale et internationale. D’où le besoin d’agir en premier lieu sur ce média pour faire progresser la connaissance de l’Union dans l’Hexagone.
On peut reconnaître que les freins à la visibilité des enjeux européens ne sont pas du seul fait des rédactions. Ces dernières font face à la difficulté de couvrir une actualité communautaire où les décideurs s’expriment en 27 langues différentes et représentent des institutions peu connues des Français. De plus, la langue anglaise tend à devenir hégémonique dans les communications officielles. Charge à l’Union européenne et aux instances nationales de réduire à l’avenir ces freins à la visibilité de la vie politique communautaire, notamment en veillant au respect du multilinguisme dans les communications de l’Union.
On peut toutefois observer que les principaux médias audiovisuels français ne font pas de l’actualité de l’Union une priorité. En témoigne le nombre de correspondants permanents à Bruxelles, deux fois inférieur au nombre de journalistes allemands présents dans la capitale européenne. En ce sens, on note les perspectives encourageantes ouvertes par la chaîne Arte, qui affiche des audiences en hausse constante sur la base d’une ligne éditoriale faisant la part belle à l’Europe et à l’international. Selon l’INA, le journal du soir de la chaîne franco-allemande consacre une proportion près de deux à trois fois supérieure de son temps d’antenne aux questions européennes par rapport à ses concurrents directs, sur France 2, TF1 ou encore M6.
Préparer la présidence française du Conseil de l’Union européenne
Face à ces tristes constats, nous proposons aux acteurs du sujet d’entreprendre une série d’actions destinées à améliorer la couverture des enjeux européens. Et ce, en vue d’initier des progrès concrets d’ici à la présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022.
En premier lieu, l’Etat a les moyens de lancer une dynamique en faveur de la couverture médiatique de l’Union en en faisant l’une des priorités de l’audiovisuel public. Nous encourageons le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le Ministère de la Culture à proposer un « Pacte pour la visibilité de l’Union européenne » à Radio France, France Télévisions et France Médias Monde. Ce mode de fonctionnement est utilisé avec succès depuis 2019 au service de la couverture médiatique des territoires d’Outre-Mer. Il vise à instituer des indicateurs chiffrés permettant de matérialiser les progrès à réaliser par les chaînes.
Les outils de mesure évoqués ici sont à élaborer avec les rédactions pour allier des éléments quantitatifs – relevé du temps d’antenne consacré à l’Europe, nombre de sujets réalisés dans d’autres pays – et qualitatifs, comme le type d’émissions axées sur l’Union et leurs heures de diffusion. Une instance composée d’élus, de journalistes et d’organisations de la société civile pourra suivre la mise en oeuvre de ce Pacte et conseiller les chaînes face au défi que constitue une plus grande couverture des enjeux européens à la télévision et à la radio.
En parallèle, nous appelons également le CSA à se saisir du dossier au titre de sa mission de déontologie de l’information. A l’image de son initiative en faveur de la visibilité du sport féminin, l’instance est en mesure d’imaginer une initiative pour encourager la progression des diffuseurs en ce qui concerne la visibilité de l’actualité européenne dans leurs journaux télévisés. Et ce, via des accords de gré à gré avec les chaînes en vue de la présidence française de 2022, associés à des études régulières de la couverture des enjeux européens sur l’ensemble des chaînes publiques et privées. L’autorité de suivi de l’audiovisuel pourra ainsi valoriser l’engagement des réactions les plus proactives et maintenir une pression positive sur l’ensemble du secteur.
Enfin, car il ne saurait y avoir d’actualité sans journalistes, nous appelons l’Etat à accompagner les médias dans l’emploi de correspondants permanents en charge du suivi des institutions européennes. Un espace de co-working soutenu financièrement par les pouvoirs publics pourrait utilement rassembler les reporters de l’ensemble des rédactions françaises actives à Bruxelles et à Strasbourg. Il s’agirait d’un lieu ouvert conçu pour donner un cadre de travail favorable aux équipes de journalistes suivant ponctuellement ou de manière pérenne la politique de l’Union. Et ce, sans influer sur les projets éditoriaux. Les pouvoirs publics favoriseraient ainsi sur les plans logistique et financier l’implantation de nouveaux correspondants européens, tout en renforçant la visibilité du corps de presse national auprès des institutions communautaires.
Cette tribune est à retrouver en version courte dans Les Échos (versions papier et numérique) et dans sa version intégrale en pdf ici.
Liste des signataires :
Gian-Paolo Accardo, Président Vox Europe
Véronique Auger, Journaliste, Présidente de l’Association des Journalistes Européens
Théo Verdier, Vice-Président, Mouvement Européen-France
Fabrice Pozzoli-Montenay, Journaliste, ComPol, CourrierCab
Laurence Aubron, Journaliste, Fondatrice et Dirigeante d’Euradio
Eric Andrieu, Député européen, Socialistes et Démocrates
Jean Arthuis, Ancien Député Européen Renew Europe
Yves Bertoncini, Président du Mouvement Européen-France
Aymeric Bourdin, Président, Atelier Europe
Martine Buron, Présidente, Fédération Française des Maisons de l’Europe
Marie Caillaud, Présidente, Jeunes Européens-France
Jean-Marie Cavada, ancien Député Européen et ancien Président de Radio France
Ilana Cicurel, Députée européenne, Renew Europe
Amandine Clavaud, Responsable Europe, Fondation Jean Jaurès
Arthur Colin, Vice-Président, Sauvons l’Europe
Karima Delli, Députée européenne, Verts / Alliance libre européenne
Michel Derdevet, Président, Confrontations Europe
Daniel Desesquelle, Journaliste, Radio France Internationale
Dominique Deshayes, Présidente, Association Internationale des Anciens de l’Union Européenne
Laurence Farreng, Députée européenne, Renew Europe
André Gattolin, Sénateur, La République En Marche
Edouard Gaudot, Vice-Président, Europe Citizen Campus
Jean-Dominique Giuliani, Président de la Fondation Robert Schuman
Corentin Guérin, Secrétaire Général EuropaNova
Sylvie Guillaume, Députée européenne, Groupe S&D
Nora Hamadi, Journaliste, Arte
Fabienne Keller, Députée européenne, Renew Europe
Olivier Klein, Président, Ligue Européenne de Coopération Économique
Stéphane Leneuf, Journaliste, France Inter
Jean-Baptiste Letondeur, Journaliste, Rédacteur en chef adjoint Radio France Internationale
Sébastien Maillard, Directeur de l’Institut Jacques Delors
Marie-France Mailhos, Présidente, Association européenne de l’éducation – France
Martine Méheut, Présidente d’honneur, Citoyennes pour l’Europe
Olivier Mousson, Président, Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale
Ophélie Omnes, Présidente, Union des Européens Fédéralistes France
Fabien Perrier, Journaliste
Aline Robert, Journaliste, co-fondatrice de Climatico
Hermano Sanches Ruivo, Adjoint à la mairie de Paris en charge de l’Europe
Sabine Thillaye, Députée, Présidente de la Commission des Affaires européennes
Catherine Trautmann, ancienne Maire de Strasbourg et ancienne Ministre, Parti socialiste
Véronique Trillet-Lenoir, Députée européenne, Renew Europe
Marie-Pierre Vedrenne, Députée européenne, Renew Europe
Chrysoula Zacharopoulou, Députée européenne, Renew Europe
Je suis entièrement d’accord avec votre texte.
Cependant, vous écrivez d’une part: la langue anglaise tend à devenir hégémonique dans les communications officielles.
Et d’autre part: Un espace de co-working
Même pour vous la langue anglaise prends le pas. Il faudrait veiller à utiliser des mots plus conformes à notre langue.
Nous ne pouvons que partager votre souhait. D’une certaine manière au travers d’une initative d’éducation populaire nous contribuons à mieux faire connaître l’Union européenne. le site de l’Université populaire européenne de Grenoble en atteste (UPEG)
Je suis tout à fait d’accord avec votre texte.
Maurice Guyader
Pourquoi n’y a-t-il même pas une chaîne de TV européenne? Pourquoi n’y a-t-il même pas un quotidien européen écrit en plusieurs langues (comme « Courier iInternational »)?
Dans les JT n pourrait avoir un « tour de table » européen pour savoir et connaître ce qui se fait chez nos voisins.
Il existe bien une monnaie commune!
Pourquoi ces propositions relativement faciles mettre en place n’existent-elles pas afin de donner un sentiment d’appartenance européenne à l’ensemble des habitants?
Claude Rochat
L’absence de l’Europe ou son peu de traitement dans les différents médias français est un non sens. Une bonne information sur ce qui se passe en Europe est un des éléments indispensables à une communauté européenne.
En France on vient de supprimer RFO sur la TNT, pourquoi ne pas consacrer ce canal à une chaine Europe?
Je trouve l’idée d’un chaine TV Europe séduisante, cela permettrait de shunter le discours de politiques nationaux qui font porter sur l’Europe les maux qui peuvent accabler nos différents pays. il est temps que l’Europe s’exprime à part entière.
Une langue commune – ne remplaçant pas les langues nationales contrairement à la monnaie commune, et autre que l’anglais vu le brexit – pourrait y aider : signons la pétition à
https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives/i-238
» […] Devant les difficultés [en particulier en Europe] de communication internationale au moyen des langues « naturelles » habituelles, beaucoup de nos concitoyens renoncent à utiliser des langues étrangères. Depuis 2020, grâce au soutien de la Commission européenne, il est possible d’utiliser l’espéranto dans toutes les écoles primaires de l’Union européenne comme méthode introductive au multilinguisme.
Pour ces raisons, nous demandons que l’apprentissage de l’espéranto soit organisé dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. »
« Depuis 2008, il est possible de passer une certification reconnue par l’Union européenne en espéranto pour les niveaux B1, B2 et C1 du cadre européen commun de référence pour les langues (CECR).
L’espéranto, qui a reçu le soutien de l’UNESCO par deux résolutions […] est inscrit sur les listes nationales du « Patrimoine culturel immatériel » polonais (2014) et croate (2019). »
Christian Lavarenne
Vous avez raison de soulever la question! J’en connais désormais plus sur le mode de scrutin de la Pennsylvanie que sur celui de la Slovénie. Je n’en peux plus des journaux télévisés et de tous leurs journalistes partis là bas!! Tout le reste de l’actualité passe à la trappe.
Excellent. Entièrement d’accord.