Angela Merkel, 16 ans au pouvoir

Angela Merkel, femme puissante dans un monde masculin aura été classée dix fois « femme la plus puissante du monde » par le magazine Forbes… Elle est partie, ce 6 décembre, au sommet de sa popularité : son style incarnant une stabilité rassurante, d’où son surnom affectueux de « Mutti », « Maman ». Une popularité qui tient aussi à sa capacité à surmonter de nombreuses crises durant ses quatre mandats : la crise financière en 2007, les printemps arabes, la guerre en Ukraine, la crise des réfugiés en 2015, enfin la pandémie de Coronavirus à partir de 2020.

A l’origine, son destin politique est avant tout construit sur un meurtre politique, celui d’Helmut Kohl. C’est en se débarrassant de son mentor, qui aimait à la surnommer la « Mädchen » (demoiselle), qu’Angela Merkel a réellement gagné sa crédibilité sur la scène politique allemande. En 1999, Helmut Kohl, qui a perdu la chancellerie est empêtré dans un scandale politico-financier. Il s’entête dans ses dénégations. Voyant la faille, Angela Merkel n’hésite pas à assumer le rôle de « Brutus ». Le 22 décembre 1999, elle organise seule la mise à mort politique du père de la réunification allemande. Dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, elle tire à vue : « Les processus mis en place par Helmut Kohl ont nui au parti. L’avenir ne peut être construit que sur des bases solides. Le parti doit apprendre à marcher seul, à se faire confiance, à engager le combat…sans compter sur son vieux destrier( comme Helmut Kohl aimait se définir lui-même) » Cet assassinat politique « lui ouvrira les portes du pouvoir. Le 10 avril 2000, elle est élue présidente de la CDU, première femme à accéder à ce poste, avant de devenir Chancelière en 2005.

Peu d’observateurs se souviennent d’ailleurs de sa première campagne électorale ratée de 2005. Elle était alors passée à deux doigts de la défaite lors d’un scrutin pourtant jugé comme imperdable pour la CDU. Angela Merkel avait alors commis l’erreur, quasi fatale, de se présenter comme une idéologue de droite, néo libérale et thatchérienne. On ne l’y reprendra plus. Cette victoire à la Pyrrhus -qui l’a contraignait à une alliance non désirée avec les Sociaux-démocrates, constituera, avec le recul, l’acte fondateur de sa longévité. Se muant alors en dirigeante centriste et pragmatique, elle aura souvent le génie politique de s’approprier des réformes sociales réclamées par le SPD, avec lequel elle gouvernera durant 3 de ses 4 mandats.

Ainsi, ces seize années au pouvoir portent  avant tout la marque d’un pragmatisme à tout épreuve. En 2012, elle s’approprie ainsi l’introduction du salaire minimum, proposé par les sociaux-démocrates et à laquelle elle était opposée. Elle fait aussi preuve de flexibilité, malgré ses convictions personnelles, sur le mariage pour tous, en 2017. Elle aura également changé d’avis sur le nucléaire, annonçant, il y a dix ans, son abandon, d’ici à 2030, choquée par l’accident de Fukushima. Elle a aussi ratifié le « Green deal » européen et fixé la « neutralité climatique » comme objectif de l’Allemagne à l’horizon 2045.

Ensuite, elle fut l’incarnation au féminin d’une Allemagne enfin capable d’occuper sa place parmi les cinq principales puissances économiques mondiales. Surfant sur l’action économique de son prédécesseur le social-démocrate Gerhart Schroeder, Angela Merkel aura finalisé la mue d’une Allemagne, un temps considérée comme le « malade de l’Europe ».

Malgré tout, son obsession budgétaire l’aura conduit à délaisser les infrastructures de transport et accumuler le retard dans le domaine de l’innovation numérique. De même, son intransigeance face aux pays d’Europe du Sud lors de la crise financière de 2007-2008 lui a valu aussi des inimitiés au sein de l’UE. Angela Merkel consentira finalement à recourir à la dette publique pour financer la riposte à la pandémie de Covid-19; acceptant, dans ce cadre, le plan de relance européen. Par cette initiative commune avec Emmanuel Macron, elle rejoint sur le tard les pères fondateurs de l’Europe.

Reste cette capacité particulière des seuls très grands politiques à saisir l’instant. Particulièrement, le tournant du « Nous allons y arriver » (« Wir schaffen das ») de 2015. Angela Merkel ouvre les portes de l’Allemagne aux réfugiés syriens. Une décision influencée par son éducation de fille de pasteur et sa jeunesse dans l’Etat autoritaire de RDA. 800 000 personnes seront accueillies et leur intégration, parfois improvisée, est plutôt réussie. Le coût en sera politique avec la montée du parti d’extrême-droite, l’AFD, soit l’arrivée de près d’une centaine de députés d’extrême droite au Bundestag…

En quittant le pouvoir, Angela Merkel laisse son camp conservateur sans véritable héritier, les différents candidats ayant été au fil des années écartés par une chancelière qui a fait le vide autour d’elle. Au point qu’elle semble avoir sécurisé que nul Brutus ne sortira sa dague à son égard…

Henri Lastenouse
Henri Lastenouse
Vice-Président de Sauvons l'Europe

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3 Commentaires

  1. Merkel est surtout dépourvue de convictions personnelles, elle a cédé à la pression de l’opinion publique (Fukushima, salaire minimum) ou encore des experts en économie. En effet, l’Allemagne a besoin de travailleurs faciles à exploiter pour financer son industrie (voire l’affaire Tönnies) ainsi que son agriculture qui dépend de travailleurs de Roumanie et Pologne très mal payés et pratiquement sans droits. En même temps, elle a contribué à augmenter la pauvreté des couches sociales faibles (baisse des aides sociales, sanctions contre les chômeurs de longue durée, contrats de travail de courte durée).
    Elle est tout simplement une tacticienne, qui a su éliminé l’ un après l’ autre ses concurrents comme Friedrich Merz. Elle a repris régulièrement les idées des autres partis politiques, contre l’avis de ses confrères, simplement pour rester au pouvoir, à tout prix.

    Malgré tout, on peut relever le fait qu’elle a favorisé la carrière d’ un certain nombre de femmes dans son parti conservateur. Reste à voir si son successeur aura le courage de changer le cours politique et combattre la dégradation sociale tout en relevant le défi de la crise climatique. Que de difficultés en vue!

  2. Bonjour.

    Oui, Angela MERKEL a su surfer pour arriver au pouvoir et s’y maintenir, peut-on vraiment le lui reprocher alors qu’en France on cultive l’opportunisme à outrance;

    Toujours est-il que l’Allemagne fait parti des grandes puissances économique, que le pragmatisme allemand et le sien a permis à son pays de dominer l’Europe depuis des décennies.

    L’Allemagne est l’un des pays qui connait le mieux les institutions européennes actuelles et qui y participe le plus et sait en profiter.

    N’incarne t’elle pas la simplicité et l’humilité dans la gouvernance d’une nation, nos politiques prétendant à l’investiture suprême ferait bien de s’en inspiré.

    Oui, en effet, l’Allemagne profite d’une main d’œuvre dans certains secteurs peu chère, qu’aurions nous fait si nous avions eu ces pays à bas cout à proximité de nos frontières, n’a t’on pas délocaliser certaines de nos entreprises pour en profiter au nom de la sacro sainte compétition internationale ?

    Des pays comme l’Italie et l’Espagne ne profitent t’il pas de ce type de main d’œuvre ?

    Nous même, ne connaissons nous pas une crise de la main d’œuvre parce que certains d’entre nous ne veulent pas se salir les mains, ils préfèrent profiter d’un système d’indemnisation en restant dans leur fauteuil ?

    Je sais de quoi je parle puisque je le constate personnellement.

    Le reproche que je lui ferai, c’est sur l’EUROPE en tant qu’ETAT, elle n’a pas su s’élever au dessus de son pays pour avoir un destin européen qui aurait pu être unique.

    Elle seule par son envergure avait cette possibilité, elle est passé à côte et là n’a pas fait preuve de pragmatisme au regard de l’histoire, dommage.

    Au passif de son action, on ne peut pas faire l’impasse sur l’absence réelle de lutte contre la pauvreté de la part d’un pays aussi riche mais je peux m’empêcher de dire « mais quelle femme ! « 

  3. Petit détail : « das Mädchen », ce n’est pas la demoiselle (qui serait das Fräulein), mais la fille (avec un champ de connotations aussi vaste que l’équivalent français, quoique pas tout-à-fait identique). Je suppose qu’en français Kohl aurait plutôt dit « la gamine ». Il s’est joliment planté …

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