Hervé Moritz, ancien président des jeunes européens et rédacteur en chef du bien connu Taurillon, est candidat à la présidence du Mouvement européen. Quelle est sa vision de l’évolution du projet européen ? Comment le Mouvement européen peut-il y contribuer ? Il répond aux questions d’Henri Lastenouse, secrétaire général de Sauvons l’Europe
Entre l’histoire du Mouvement Européen depuis sa fondation en 1948 (en présence notamment de Winston Churchill, François Mitterrand et Altiero Spinelli), et celle plus récente des Jeunes Européens en France, quel est l’avenir possible du MEF-France ? Denis de Rougemont n’avait-il pas déjà tout résumé dès la clôture du congrès fondateur à La Haye : « Les maîtres du Congrès ont retiré la parole au peuple européen pour la donner à des ministres qui en ont fait l’usage que l’on sait » ?
Depuis sa création à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le Mouvement Européen a bien évolué, y compris en France. Il réunit aujourd’hui de nombreux militants de la cause européenne, pour certains membres d’organisations nationales membres diverses, pour d’autres directement adhérents dans l’une des cinquante sections locales réparties dans plus de la moitié des départements français et enfin plus d’une centaine de personnalités du monde politique, économique, académique ou culturel. Cette diversité de membres fait la force de notre mouvement militant qui s’est donné pour vocation de faire entendre la voix des citoyens dans la construction européenne, la voix de ce « peuple européen » décrit par nos prédécesseurs, et ce à travers une multitude d’actions dans le domaine de la pédagogie, des actions d’animation du débat public sur l’Europe ou de plaidoyer. En cela, les militants du Mouvement Européen et des Jeunes Européens continuent d’œuvrer pour l’idéal de leurs prédécesseurs : l’émergence d’une démocratie européenne, qui place les citoyens au cœur de la construction européenne. L’Europe n’est plus le pré carré des diplomates et des ministres.
Le décès récent du philosophe Bruno Latour coïncide étrangement avec l’émergence d’un consensus sur la centralité du rapport entre politique et écologie. Dernier exemple en date avec la sortie de l’ouvrage de Paul Magnette « La vie large », manifeste éco-socialiste. Comment repositionner votre mouvement sur une thématique qu’il vous faudrait alors articuler avec l’héritage fédéraliste ?
Le Mouvement Européen promeut en effet un projet de nature fédéral pour l’Union européenne. Ce projet garde tout son sens aujourd’hui, car il peut permettre à nos sociétés de trouver les solutions aux défis écologiques et sociaux que pose la crise climatique et de la biodiversité. En effet, j’ai tendance à dire que les écologistes au sein des différents partis politiques ou des organisations de la société civile dressent les constats, pointent les défis de notre temps et esquissent les réponses que nous devons apporter aux crises écologiques que nous connaissons, mais que les fédéralistes ont eux la méthode, celle de la démocratie transnationale indispensable pour discuter et mettre en œuvre les solutions à ces défis mondiaux. A chaque défi mondial, il faut une réponse mondiale, et pour ce faire, nous avons besoin d’une méthode, une démocratie globale s’épanouissant dans un système fédéral. Ceci étant dit, nous, Européens, avons la responsabilité de faire aboutir notre processus d’intégration régionale pour répondre à ces enjeux dans le cadre d’une démocratie continentale pleine et entière à caractère fédéral, en partie réalisée par l’Union européenne, et nous devons promouvoir ce modèle à l’échelle mondiale.
Pour perdurer, tout mouvement doit renouveler ses cadres et adapter sa sociologie. La réponse du MEF-France sur le sujet reste un chantier en devenir, à l’heure où l’engagement militant est partout en crise. Cela d’autant plus que les nouvelles générations portent un besoin de radicalité différent de celle incarnée par le 9 mai 1950…
En effet, comme toute association, et encore plus après la crise sanitaire, nous connaissons une transformation des modes d’engagement qui remet en cause notre modèle associatif et nous devons adapter notre structure interne et nos actions pour permettre aux bénévoles et militants, anciens et nouveaux, de continuer à s’investir pour la cause européenne. Cela peut prendre différentes formes, mais je crois qu’il est nécessaire de s’appuyer sur nos sections locales, qui font la force du Mouvement Européen, et de leur donner des moyens et ressources supplémentaires pour agir, de leur donner davantage la parole sur les orientations et les projets de l’association. Le Mouvement Européen doit être dans la proximité avec ses adhérents, ses sympathisants et les citoyens en général.
Quant à la radicalité qui séduit les jeunes générations, le Mouvement Européen n’est pas en reste. Il a certes une approche pragmatique des enjeux européens, mais n’en est pas moins radical dans la vision de l’Europe qu’il défend, une Europe libre et unie, démocratique et cosmopolite face aux nationalistes et aux partisans de régimes illibéraux ou autoritaires.
L’on oublie trop souvent que le discours de Robert Schuman du 9 mai 1950 qui dessine les contours de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier adopte certes une approche pragmatique, celle de l’Europe des « réalisations concrètes » progressives, mais donne aussi un cap clair et radical, celui de la “Fédération européenne”. A nous de renouer avec la lettre et l’esprit de ce discours.
Cette radicalité des jeunes, je la comprends et la fait mienne, moi qui vous suis depuis assez longtemps déjà et qui me positionne très à gauche sur la vision sociale que je souhaite pour l’Europe et désormais pour une vision réaliste en matière de développements futurs qui devraient changer du tout au tout : moins de bilans bancaires pour plus de bilan carbone, protection de la vie partout et sous toutes ses formes, recyclage de tout ce qui est possible et freinage contrôlé (réfléchi) des multiples inventions qui amplifient le saccage de la planète (la 5G est une horreur en termes de pollution ! Ce sont des scientists qui le disent)
Danielle Foucaut , une vieille dame de 72 ans inquiète pour ses petites-filles…
Bonjour Madame Foucaut, comme je vous comprends. Avec 10 ans de moins je suis aussi inquiet que vous devant l’irresponsabilité totale de celles et ceux qui sont «censés» représenter l’ensemble des français. Je ne parle pas de l’UE qui en est la reproduction à un autre niveau. Le système pseudo-démocratique dans lequel nous évoluons les favorisent, pour l’instant. A nous, citoyens et électeurs de demander un changement des règles pour que ceux qui sont élus nous rendent régulièrement des comptes, voire co-construisent ces règles démocratiques avec une véritable participation citoyenne. Pour celles et ceux qui sont intéressé(e)s je leur suggère de se renseigner sur le site de Fréquence Commune qui travaille sur des projets de démocratie participative au niveau local.
Bien cordialement,
Rahlf
Merci à Hervé Moritz pour cette bonne contribution – dans le cadre de la campagne qui s’ouvre entre trois candidat-es au poste de Président-e du Mouvement européen France
Bonjour.
L’objectif est clair, la mise en place d’une vraie gouvernance européenne, fédérale ou autre, dans le respect de la démocratie sous la forme d’une véritable participation européenne et non d’un simulacre comme on le voit aujourd’hui.
Elle seule pourra agir efficacement pour lutter contre le changement climatique, pour plus de justice sociale et fiscale, pour lutter contre toutes les formes de corruption dont celles des lobbies.
Mais comment agir rapidement et efficacement ?
On ne cesse de lire des articles bienveillant à ce sujet mais qui semblent être « des feux de pailles » ?
Mais que de temps perdu ?
Je rejoins les craintes des commentateurs ci-dessus.
Erratum.
Il faut lire « sous la forme d’une véritable participation citoyenne »
L’histoire de la construction européenne est chaotique ; un exemple trop connu : une intégration économique très poussée, tandis que la politique fiscale restait du seul ressort des États, avec les conséquences catastrophiques que l’on sait. Par ailleurs de nombreuses initiatives en matière réglementaire dans toutes sortes de domaines, qui souvent n’étaient pas du tout prioritaires. Il y a eu aussi de vraies avancées… auxquelles on s’est habitué.
Cette double insuffisance provoque l’agacement chez beaucoup d’Européens, dont je suis, et parait justifier pour certains (dont je ne suis pas) leur opposition à la construction européenne.
Le Mouvement Européen pourrait avoir deux actions, pour essayer de remédier à la courte vue des gouvernements et parfois de la Commission (la dernière me parait avoir évolué dans le bon sens depuis quelques années) :
1. définir un ordre des priorités dans l’intégration européenne, et militer pour que cet ordre soit respecté en insistant sur les vraies urgences ;
2. puisqu’il importe que les États conservent un certain degré de souveraineté, définir ce qui devrait rester de leur ressort et ce qui devrait relever à terme de la compétence de l’Union.