Le congrès du PSE (Parti socialiste européen) à Berlin revêtait quelque chose d’historique. D’abord, il voyait le passage de témoin entre Sergei Stanichev, son président depuis une dizaine d’années, un record inédit de longévité à la tête du Parti et l’ancien leader suédois, ex syndicaliste et Premier ministre Stefan Löfven.
Ensuite, par l’anniversaire qui permettait de faire le bilan de trente ans d’évolution qui sont l’occasion de s’interroger sur la nature, les contradictions et les possibilités d’un mouvement social-démocrate à l’échelle continentale, au-delà des désirs des uns – une base militante europhile – des réserves des autres, grands partis ou dirigeants désireux de subir le moins possible l’effet de débats collectifs qui conduisent à dépasser les intérêts nationaux notamment.
Le PSE, des réussites et des contradictions
Sur les trente ans du PSE, j’ai assisté durant une bonne quinzaine d’années à de nombreux événements, des heures de réunions et participé à de longues discussions, ce qui offre un point de vue assez bien renseigné, ayant évolué de l’émerveillement des débuts au réalisme d’après : l’exotisme charmant, pour un Français de discuter avec un travailliste britannique proche de Tony Blair, un Néerlandais qui ne jurait que par Wouter Bos, un ancien communiste italien séduit par Matteo Renzi, un social-démocrate suédois ou un vieux militant roumain francophone étant capable, à force de dialectique, d’expliquer les choix compliqués à comprendre dans son pays…
Le PSE a profondément été changé par le couple Rasmussen Cordery entre 2004 et 2012.
Poul Nyrup Rasmussen, qui fut Premier ministre du Danemark de 1993 à 2001, à l’époque où une majorité d’Etats membres de l’Union européenne étaient dirigés par des gouvernements de gauche – et le secrétaire général, le français Philip Cordery, ont œuvré à la politisation du Parti socialiste européen, que certains nomment encore Parti « des » socialistes européens. L’idée consistait à renforcer non seulement la coopération entre partis socialistes travaillistes ou sociaux-démocrates, mais aussi à créer de nouveaux outils favorisant une expression politique propre.
C’est ainsi que, sur la production des idées, la Fondation européen d’études progressistes (FEPS), présidée par Massimo d’Alema puis par Maria João Rodrigues ou encore le Forum progressiste mondial virent le jour comme autant d’outils permettant de ne pas limiter le travail à la coopération entre parlementaires européens ou entre chefs d’Etat et de gouvernements dans le cadre communautaire.
Très tôt, on constata que la nature des clivages au sein du PSE ne se situe pas tant entre une aile gauche et une aile droite qu’entre partis au pouvoir et partis dans l’opposition et, surtout, par aires géographiques de façon plus ou moins nette. Ainsi retrouve-t-on des partis latins généralement plus intégrationnistes, des nordiques – néerlandais et scandinaves – plus frugaux et réservés sur le transfert de pouvoirs vers Bruxelles et Strasbourg, un SPD souvent tiraillé entre les deux tendances et les partis d’Europe Centrale et Orientale défendant leur logique propre, encore que pas toujours uniforme et montrant de vraies différences selon les pays.
Le mode de fonctionnement – réunions de coordination, de la présidence, des leaders, des réseaux thématiques – sur des textes préparés par une équipe très compétente – permettait de déceler la nature des nuances ou des désaccords de fond, mais de ne les résoudre que dans des compromis d’écriture qui pourraient être plus dynamiques qu’incapacitants alors qu’il aurait été intéressant de les approfondir.
C’est une des limites du PSE à laquelle beaucoup de socialistes français ont du mal à se résoudre : un parti de partis n’est pas comme un parti de militants et l’idéal internationaliste se retrouve vite douché par des choses plus brutales : les traditions politiques ou les cultures militantes d’un parti à l’autre, du fait de l’Histoire par exemple, ça ne se dépasse pas comme cela.
En 2006 sont lancés les « Activistes ». Ces Militants du PSE sont des groupes de militants qui obtiennent d’exister au sein du Parti, hors des seules directions nationales ou des représentations officielles. Ils ont leurs conventions, leurs débats et la possibilité d’assister aux Conseils ou aux congrès. Mais la capacité à peser sur les décisions internes, comme par exemple, les textes ou le leadership n’existe pas pour le moment. Force est de constater que toutes les initiatives visant à intégrer davantage les activistes au sein du processus décisionnel sont restées lettre morte. Pire encore, le poids réel des activistes a diminué ces dernières années par rapport à la période Rasmussen.
De leur côté, l’organisation féminine PSE Femmes dont la présidente est la même depuis le début, l’énergique Zita Gurmai, ou le réseaux LGBTQI+ Rainbow Rose complètent une nébuleuse active qui se penche sur beaucoup de sujets, alimentant la réflexion du PSE qui garde évidemment via le réseau Solidar, la Confédération européenne des syndicats ou les groupes socialistes au Parlement européen et au Comité européen des régions, un œil bien renseigné et averti.
Poul Nyrup Rasmussen avait une grande disponibilité pour l’ensemble des partis membres, ce qui l’a même conduit à participer à la campagne du « oui » au traité constitutionnel lors du référendum interne au PS.
Mais la crise financière de 2009 déboucha sur un moment de tension au sein du parti qui reflétait des débats non tranchés et des préjugés non dépassés.
Alors que l’Europe se fracturait entre nord et sud, le PSE n’échappa pas, dans ses débats internes à cette division. Les partis souvent au pouvoir dans le nord ou soucieux de leur opinion publique, ne partageaient pas l’idée de la mutualisation de la dette par exemple, et on sentait bien que du côté du Pasok, des partis socialistes portugais et espagnols ou du Parti démocratie italien, confrontés à la crise financière, comme certains le seraient plus tard en première ligne dans la crise migratoire, l’internationalisme avait vécu. La même situation se reproduisit lorsqu’il fallut trouver des solutions aux conséquences de la crise sanitaires.
Beaucoup de grands partis n’avaient rien à redire à l’austérité, voire la préconisaient ouvertement, et on ne compte pas les heures de discussions autour de ce mot qui résumait bien le choix à faire, formulé à l’époque par Henri Weber : « Il vaut mieux guérir vivant que mourir guéri ».
Le poids de l’Histoire… et de la géographie
Comme on l’a dit, le PSE n’est pas divisé entre une aile gauche et une aile droite, mais entre partis forts et partis faibles et aussi entre aires culturelles façonnées par l’histoire et la géographie dans lesquelles s’opèrent des solidarités ou des influences qu’il faut toujours prendre en compte.
Par exemple, les nordiques ont des traditions politiques communes entretenues dans des rencontres régulières au sein du Samak, une confédération originale qui rassemble des partis et des syndicats.
Le PSE est aussi confronté à un niveau de développement inégal de ses partis membres. Une trentaine de partis divers par leur histoire, certains issus de social-démocratie qui domina le mouvement ouvrier, d’autres, résultats de la déstalinisation des partis du bloc soviétique voire, à l’instar du Parti Démocrate italien, une fusion entre des anciens communistes du PCI et des anciens démocrates-chrétiens, deux partis antagonistes qui dominèrent la vie politique italienne 50 ans durant. La volonté d’intégrer les formations issues du PCI (depuis 1991, plusieurs partis se succédèrent avant le PD) qui se substituèrent au Parti socialiste italien – un cas qui n’existait que dans l’ex-bloc communiste – fut telle que le PSE changea le nom de son groupe parlementaire (en alliance progressistes des socialistes et démocrates). En 2014, croyant surfer sur la vague Renzi, le PSE envisagea même de changer de nom, mais face à la réticence des Français, il se contenta de faire évoluer son logo en rajout discrètement « socialistes et démocrates » sans que cela ne voie trop. D’habilleurs que reste-t-il du « renzisme » aujourd’hui dans le PD ?
La transition amorcée au début des années 90 n’est pas achevée. On l’a vu avec le SMER – SD en Slovaquie, mais aussi en Bulgarie ou en Roumanie. Il faut y ajouter la faiblesse structurelle de la gauche en Pologne. En Hongrie, le MSzP a pu incarner une gauche de gouvernement crédible, mais les années Orbán n’ont pas provoqué l’union salutaire des gauches autour des socialistes.
Le tableau ne serait pas complet sans l’évolution des sociaux-démocrates danois depuis plusieurs années où le durcissement des positions sur l’immigration n’échappe pas aux observateurs avisés qui ne se limitent pas à admirer la politique nordique « à la Borgen »…
Si le PPE a eu à gérer le cas Orbán avant que celui-ci ne quitte le parti – les eurodéputés français du PPE ne votant pas unanimement pour l’exclusion du Fidesz – le PSE a réussi à ne pas être « éclaboussé » par la situation slovaque lors que le leader Robert Fico forma par deux fois une coalition avec un parti nationaliste. Il fut quand même sifflé – fait unique – par des militants lors du congrès du PSE de Budapest en 2015. En cause, ses positions xénophobes, anti migrants, anti-Roms et son positionnement populiste qui n’a rien en commun avec la social-démocratie.
La crise avec les partis d’Europe centrale et orientale fut marquée par leur absence, à l’exception des Hongrois, des discussions sur le Manifeste du PSE pour les élections européennes de 2019. Un précédent fâcheux.
Le PSE n’a pas été capable de mettre Fico durablement à l’écart. Dans la mesure où le commissaire européen slovaque vient du SMER-SD, il pense équilibrer la situation avec un deuxième parti, le Hlas SD, qui veut redorer la bannière des sociaux-démocrates slovaques en incarnant une gauche débarrassée de ses déviances xénophobes.
La social-démocratie européenne à l’épreuve des radicalités
Le Parti socialiste européen a toujours évolué dans un environnement où le principe de coalition va de soi et la fragmentation du champ politique accroît cette nécessité de passer des compromis. Mais la montée des populismes de droite et de gauche a placé la social-démocratie du côté du « système » à remplacer. Si elle a vocation à répondre aux exigences de citoyens confrontés aux inégalités, elle ne peut pas ignorer la colère et la violence latente qui montent.
Le PSE n’a jamais vraiment posé la question stratégique d’alliances nouvelles, rassemblant prioritairement la gauche et les écologistes, même si de telles alliances ont existé ou existent en France ou en Suède par exemple. Il faudra adopter une position claire pour ne pas être à la merci des nationaux populistes qui ont le vent en poupe et qui séduisent y compris à droite.
Voilà pourquoi la tâche de Stefan Löfven ne sera pas simple, mais l’expérience de son pays, dans son rapport à l’Europe est utile : la Suède n’a jamais été tentée par l’hégémonie, aussi, l’euroscepticisme dominant dans ce pays – présent également chez les écologistes nordiques – procède du souci de préserver le modèle scandinave d’Etat providence que tout le monde aimerait avoir. D’autre part, le fait d’avoir un leader issu du monde ouvrier et venant du syndicalisme peut jouer un rôle dans l’objectif prioritaire que doit être la reconquête des classes populaires. La nouvelle direction du PSE devra choisir entre une coordination de partis ou un pôle progressiste capable d’agir au niveau des Etats-membres via les partis, au Parlement via le groupe et au sein de la Commission.
Il ne faudra ni brusquer ni ménager les « frugaux », mais il sera essentiel de donner à la social-démocratie tout sa puissance face au centrisme, version « Re new » qui est un néo-libéralisme maquillé en « progressisme », et surtout face au bloc conservateur lui-même concurrencé par l’extrême droite.
C’est tout l’enjeu du congrès qui s’est achevé et qui concerne l’ensemble des partis et dirigeants sociaux-démocrates européens.
Bonjour.
Le PSE est le reflet parfait des divers partis socialiste européen et d’autres, il ont perdu leurs âmes.
Nous vivons des moments très compliqués, nous sommes dans l’urgence, il faut qu’il se réinvente avec tous les autres, qu’ils redonnent un sens au mot social, qu’il établit et qu’ils établissent un nouveau projet de société, ils en sont loin ?
Les ténors et les vieux routiers en politique bloquent toute évolution, ils sont attachés à leurs seules prérogatives, l’égoïsme, la soif de pouvoir et la veulerie dominent, ils se moquent de nous en nous faisant des promesses qu’ils ne tiennent pas, en arrêtant pas de nous mentir.
Tant que les socialistes Français auront une vision franco française de l’Europe, ce dont témoigne cet article, ils ne pèseront rien