Karin Kneissl, la danse russe continue

Karin Kneissl, citoyenne autrichienne et ancienne ministre de l’Europe, de l’intégration et des affaires étrangères de son pays, s’installe en Russie. Elle doit, selon plusieurs organes de presse, y assumer la direction d’un think-tank qui doit se préoccuper des questions géopolitiques et qu’elle aurait contribué à créer, l’Institut Gorki. On appréciera l’effort d’imagination pour faire « coller » un nom illustre de la culture russe et celui d’un « institut de réflexion » encore mal connu, mais que l’on dit proche du régime poutinien. Et en effet, on imagine difficilement qu’il sera question de littérature, même russe. Au passage, Mme Kneissl s’est dite « très reconnaissante » envers l’armée de l’air russe pour avoir assuré le transport de ses deux poneys depuis la Syrie jusqu’en Russie – ça ne s’invente pas.

Mais au fait… Karin Kneissl ? Qui est-ce, encore ?

Pour celles et ceux à qui le nom n’évoque (plus) rien, l’image peut servir de moyen mnémotechnique : Karin Kneissl est la femme qui, lors de son propre mariage, a dansé avec, puis s’est à peu près agenouillée devant Vladimir Poutine. Poutine, « simple invité » à la noce, aurait pu insister pour s’incliner devant la mariée. Après tout, une certaine forme de galanterie surannée et maniérée, ça « va » bien, quand on prêche les valeurs ancestrales, la famille traditionnelle et le moralisme réactionnaire. Mais non. Là, c’est la mariée qui s’incline devant l’invité, c’est déjà frappant.

Qui plus est, et on en vient à la question centrale, à ce moment-là, Karin Kneissl est ministre des affaires étrangères en exercice (membre du gouvernement droite/extrême-droite autrichien dirigé par Sebastian Kurz). C’est ce qui fait tousser : une femme en train de servir son pays et l’Union européenne fait la révérence à un homme dont tout le monde sait déjà à l’époque qu’il dirige un régime autocratique et kleptocrate, vis-à-vis duquel il faut a minima prendre quelques précautions. La scène se passe en août 2018. Et en 2018, Boris Nemtsov, Anna Poliktovskaïa, Sergeï Magnitski et d’autres sont déjà morts depuis des années, les Pussy Riot, en tant que dangereuses « hooligans », ont déjà purgé la peine de prison qui s’imposait, et la Crimée est déjà russe, sur le plan militaire. Lorsqu’elle danse avec Poutine, Karin Kneissl ne peut pas, en tant que ministre des affaires étrangères, ne pas être au courant de tout cela, tout comme des lamentables et systématiques bourrages d’urnes lors d’élections russes, qui n’ont d’élections que le nom. Il y a d’ailleurs une excellente raison à ça : celles et ceux qui se rendent coupables de ces fraudes électorales massives ne débranchent pas les caméras de sécurité et ne confisquent pas les enregistrements. C’est vrai, pourquoi se donner cette peine…

De la politique européenne aux intérêts russes

Mais cette danse faussement ingénue valait peut-être la peine. Depuis qu’elle ne dirige plus l’action extérieure de son pays, Mme Kneissl a fait un passage au conseil d’administration du conglomérat étatique Rosneft (la presse autrichienne informait ses lecteurs d’une rémunération annuelle de 500 000 dollars). Or, depuis mai 2022, les citoyens européens ne peuvent plus occuper de telles positions. La voilà donc maintenant bombardée à la tête d’un institut de réflexion fraîchement créé. Ceux qui verraient, dans l’une ou l’autre de ces nominations, un retour d’ascenseur de la part du Kremlin ont sûrement l’esprit mal tourné.

L’épisode a le mérite de rappeler comment s’articule le conflit politique et moral de Vladimir Poutine contre le modèle démocratique européen. Car, ce qui concerne Mme Kneissl vaut également pour d’autres. Quinze mois avant cette valse autrichienne, en mars 2017, Marine Le Pen s’envole pour Moscou pour un entretien médiatisé avec le président russe, présenté comme un « adoubement ». Et M. Poutine d’assurer qu’il ne veut « en aucune façon influencer » le cours des évènements et de la démocratie française. Il l’a sans doute dit sérieusement, mais la rencontre, uniquement accessible aux médias russes, a tout de même eu lieu à cinq semaines des présidentielles… Il faut reconnaître à Vladimir Poutine qu’il soutient ses clients : on reconnaît sans doute un bon parrain à cela qu’il sait défendre son clan.

Alexis Le Coutour
Alexis Le Coutour
Passionné par la coopération avec nos amis allemands et par la transition énergétique.

Soutenez notre action !

Sauvons l'Europe doit son indépendance éditoriale à un site Internet sans publicité et grâce à l’implication de ses rédacteurs bénévoles. Cette liberté a un coût, notamment pour les frais de gestion du site. En parallèle d’une adhésion à notre association, il est possible d’effectuer un don. Chaque euro compte pour défendre une vision europrogressiste !

Articles du même auteur

8 Commentaires

  1. Nos présidents ont reçu et accompagné l’ex président menteur, agresseur et criminel G. W Bush sur les plages de Normandie…

  2. La double passion de la transition énergétique & de la collaboration avec nos amis allemands parait favorable à l’ engluement sur la voie des banalités biaisées anti – russes.

  3. Un petit épisode de propagande anti russe qui ne change en rien du brouet de mensonges et d’omissions des medias mainstream. En attendant de plus en plus de gens commencent à se rendre compte que les problèmes ne viennent pas du soi disant infâme Poutine mais bien plutôt de l’ouest, des néo-cons + toute la racaille de Davos, BlackRock et compagnie, encore en train de rêver à leur hégémonie mondiale et qui n’ont pas hésité à nous faire péter NordStream pour être sûr de bien continuer à nous vassaliser. France réveilles toi, secoues toi les puces.. NO NATO NO WAR. En attendant sur Sauvons l’Europe pas un mot sur le procès en cour sur les sms de VDL , du bon lavage de cerveau dans les règles.

  4. La corruption, le mensonge et la désinformation sont consubstantiels au régime poutinien et au système russe en général depuis au moins 1917.

    • Certes. Mais, plus spécifiquement, si l’on saisit la balle au bond en considérant la précision « système russe en général », on évitera de réduire à une simple parenthèse la contribution de Gorbatchev à la lutte contre les dérives que vous dénoncez à juste titre. En outre, si, pour reprendre l’expression de Trotski, certains personnages sont voués aux « poubelles de l’Histoire », le commentaire signé « Robump21 » montre que la logorrhée stalinienne a encore des adeptes. Pauvre peuple russe, qui ne mérite pas le sort qu’une fois de plus lui réserve une certaine oligarchie, cette fois-ci complice d’un dénommé Poutine !

      • Oui, Gorbatchev aurait pu sauver la Russie de ses vieux démons. Mais Poutine l’a accusé de l’avoir détruite. Il est mort dans l’indifférence quasi-générale. Paix à son âme.

        • Vous pouvez imaginer à quel point je puis partager vos regrets.
          Pour compléter la réflexion, je me permets, accessoirement, de renvoyer à un article que SLE avait publié le 8 mars 2022 (soit peu de temps après l’invasion de l’Ukraine) sous le titre: « Tsar Wars: PalPoutine, le côté obscur de la force ? »

  5. Bonjour.

    Ce nouveau beau spectacle est la conséquence de la volonté de nos politiques de ne pas finaliser la construction politique de l’UE, et ce n’est qu’un début.

    Il faut également balayer devant notre porte, la corruption, les manipulations, les reniements ne sont pas que l’apanage de la seule RUSSIE.

    En reniant l’objectif suprême à atteindre, à cause de leur cupidité, en voulant maintenir la forme de pouvoir qu’elle exerce, la commission européenne avec la complicité des chefs d’états actuels fait courir un fort risque d’implosion.

    Après l’ITALIE, la SLOVAQUIE rejoint le groupe de pays qui risque de poser de gros problèmes à l’Europe, on veut en plus en accueillir d’autres qui sont du même acabit avec en plus un risque de dumping social ?

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

A lire également