« L’Europe puissance est à portée de main, nous avons besoin d’une coalition des proeuropéens pour la saisir »

Grand entretien avec Guillaume Klossa. Le président d’EuropaNova et du Conclave est l’ancien conseiller spécial sur l’intelligence artificielle du président de la Commission européenne. Ancien sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe au Conseil européen, il a dirigé l’Union européenne de Radiotélévision et est aujourd’hui à la tête d’une entreprise de technologie.

Les noms proposés pour les principaux postes européens au prochain Conseil européen de cette semaine sont tous des partisans de la transformation de l’UE en puissance. Vous avez fortement mis en avant cette vision dans le rapport « Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd’hui. Co-construire une puissance globale, durable et responsable » du Conclave que vous avez présidé. Quels sont aujourd’hui les enjeux et perspectives ?

Nous vivons une accélération de l’Histoire sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale caractérisée par une concurrence croissante et violente entre les Etats-Unis et la Chine qui, les uns comme l’autre, visent au leadership géopolitique, technologique et scientifique et considèrent l’Europe comme leur terrain de jeu, même s’il n’y a pas d’équivalence entre les Etats-Unis, notre partenaire stratégique, et la Chine, notre principal rival systémique. Une majorité de chefs d’Etat et de gouvernement considère désormais, et les travaux du Conclave ont pu y contribuer, que la seule manière d’éviter d’être pris en étau entre les deux superpuissances est de transformer rapidement l’Union européenne en une puissance globale, durable et responsable, capable de porter une vision propre du monde, de s’affirmer géopolitiquement, de reprendre le leadership technologique, scientifique et industriel, de produire des biens communs notamment en matière de Défense, de sécurité, de climat et d’énergie qu’aucun Etat-Membre n’est capable de produire seul et d’être à l’avant-garde de la démocratie.

Cette transformation est essentielle pour permettre aux Européens de mettre au fin au décrochage économique des dernières années et pour construire une croissance forte et durable avec des emplois bien mieux rémunérés, permettant d’offrir des perspectives positives à nos enfants et petits-enfants et de mettre fin au sentiment de déclassement qui nourrit les angoisses et favorise les votes radicaux. Les enjeux sont donc majeurs et la perspective claire.

Le Conseil européen des 27 et 28 juin prochains doit normalement acter d’un programme de travail pour les cinq ans qui viennent, qui va dans le sens d’un agenda de puissance. Les dirigeants des Vingt-Sept doivent également se mettre d’accord sur les personnalités qui vont incarner cet agenda de puissance : Ursula Von der Leyen, Antonio Costa et Kaja Kallas, dont les noms circulent pour les présidences de la Commission et du Conseil européen et le poste de Haut-représentant, ont tous les trois une culture de puissance et sont des personnalités remarquables. Ce sont en outre des personnalités proches de la France.

Les résultats des Législatives peuvent-ils avoir un impact sur cette dynamique de transformation de l’Union ?

La France est le pays fondateur qui porte le mieux cette vision, elle a un rôle essentiel d’impulsion. Elle a joué et continue à jouer aujourd’hui un rôle majeur pour faire converger les Etats-Membres autour d’un agenda de puissance pour l’UE, c’était d’ailleurs l’objet des deux discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron. Nous sommes aujourd’hui à portée de main de l’Europe puissance souhaitée depuis le Général de Gaulle, mais cette vision a besoin de la force motrice de la France pour se réaliser et, pour cela, un gouvernement proeuropéen en France est indispensable.

Tout gouvernement dirigé par un extrême réduirait automatiquement l’influence de la France en Europe : regardez comment l’Italie de Meloni, alors même qu’elle pilote un gouvernement de coalition, rame pour se faire entendre. Pire, dans une Union européenne où beaucoup de décisions se prennent dans la pratique à l’unanimité même quand elle n’est pas requise, le nouveau gouvernement, s’il le souhaite pourrait bloquer la prise de décision européenne et retarder la transformation de l’Union en puissance. La conséquence serait une accélération du déclin du continent européen contre l’intérêt des Français et plus généralement des européens. Cela induirait également un risque de ressentiment à l’égard des Français au sein de l’Union, ce que personne ne peut souhaiter. Quand le ressentiment renaît, la guerre redevient possible.

Le chaos français résulte pour partie d’une polarisation absolue des positions politiques. Comment en est-on arrivé là ?

Dans une époque de bouleversements majeurs avec un rééquilibrage géopolitique rapide et une révolution numérique qui remet en question les repères traditionnels, la polarisation s’observe aujourd’hui partout dans le monde. Elle est plus forte dans les régimes de type présidentiel ou semi-présidentiel n’ayant pas ou ayant une faible culture de coalition. Elle se trouve en outre accrue à l’heure des réseaux sociaux. Un pays comme la France est donc prédisposé à la polarisation des positions politiques. Emmanuel Macron n’est donc pas comme certains l’affirme LA cause de la polarisation française. Force est de constater que l’ensemble des partis politiques français ont des responsabilités dans l’accentuation rapide de la polarisation de l’échiquier politique. Le Rassemblement National comme LFI ont des stratégies affichées de polarisation avec une expertise en matière de réseaux sociaux qu’il faut souligner. Renaissance s’est sans doute trop longtemps positionné comme le rempart progressiste face aux nationalistes tandis que les Républicains, les Socialistes et les Verts n’ont pas réussi à renouveler leur projet politique et se sont trouvés écartelés entre le centre et les extrêmes.

Il est difficile de lire les résultats électoraux à venir dans la forme des nuages, mais aucune majorité claire ne semble se dessiner. Comment sortir de cette crise ?

Soit un parti et ses alliés obtiennent une majorité relative très forte ou absolue. En l’état actuel, le RN semble le seul parti en mesure d’y parvenir. Soit, il faudra qu’une coalition émerge. Mon souhait, c’est que les pro-européens de tous les partis s’unissent depuis les Républicains en passant par l’actuelle majorité présidentielle jusqu’aux Socialistes et aux Verts. Je regrette qu’ils ne l’aient pas fait en amont du début de la campagne.

Dans ce moment de péril pour toutes nos valeurs communes, on entend peu les grandes voix européennes. Pourquoi, alors que vous prenez la parole, un tel silence ?

Je le regrette d’autant que si les élections européennes en France ont essentiellement porté sur des questions nationales et qu’elles n’ont eu que peu d’impact sur les équilibres au Parlement européen, la coalition PPE (dont sont membres les LR) – S&D (PS) et Renew (Renaissance) devrait être reconduite avec une majorité absolue confortable. Ces élections législatives peuvent avoir un impact majeur et très négatif sur la dynamique européenne et l’influence de la France en Europe. Un engagement clair et courageux des grandes voix européennes est donc essentiel.

Comment jugez-vous le bilan de la Commission notamment sur la dimension numérique et industrielle, eu égard au rapport sur la souveraineté numérique européenne que vous aviez remis au président Juncker et au vice-président Ansip en 2019 alors que vous étiez conseiller spécial de la présidence de la Commission ?

Le bilan de la Commission est globalement bon, elle a eu à gérer une accumulation de crises majeures sans précédent avec la mise en œuvre du Brexit, la pandémie et la guerre. Elle a su faire preuve de créativité, d’innovation et de souplesse. Le plan de relance, le programme de vaccination, la lutte contre le développement d’un chômage structurel ou encore le soutien à l’Ukraine sont des résultats remarquables qu’on lui doit en grande partie avec une France qui a joué sur ces sujets un rôle d’impulsion majeur. Elle a également fait progresser la stratégie d’autonomie stratégique de l’Union dans la droite ligne de la déclaration de Versailles adoptée sous présidence française du Conseil de l’UE. Je me réjouis notamment de la régulation des plateformes numériques avec le DSA et le DMA dans la lignée du rapport que j’ai remis à la Commission et qui s’inscrit dans une perspective de souveraineté européenne.

Je regrette en revanche qu’il n’y ait pas eu de stratégie industrielle en matière d’intelligence artificielle, ni la mise en place des quatorze écosystèmes industriels sectoriels qu’avait pourtant annoncée le commissaire Breton et pour lesquels je me suis beaucoup mobilisé. Ils devaient favoriser une meilleure coopération entre la recherche et le monde industriel, condition d’une re-industrialisation à forte valeur ajoutée économique et créatrice d’emplois bien rémunérés et nombreux. Le symposium « dernier appel pour ré-industrialiser l’Europe » qu’EuropaNova et l’institut Polytechnique ont organisé le 14 juin avec les acteurs clés de la Recherche et de l’innovation du continent a confirmé la nécessité et l’urgence de cette approche écosytémique. Dernier regret, le Green Deal n’a pas à mon sens suffisamment associé les parties prenantes, mais la tâche était difficile. La nouvelle Commission pourra y remédier.

Retrouvez le rapport d’EuropaNova intitulé Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd’hui – co-construire une puissance globale, durable et responsable.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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5 Commentaires

  1. L’Europe en tant que puissance mondiale face aux Etats-Unis et au bloc sino-russe n’est pas une fin en soi si cette Europe n’est pas progressiste et écologique telle qu’elle est définie par les fondamentaux de SLE.

    • Bonjour Monsieur HERLEMONT.
      Je suis en total désaccord quand vous écrivez « L’Europe en tant que puissance mondiale n’est pas une fin en soi même », nous ne sommes rien en ne l’ayant pas finalisé.
      Si les gouvernants actuels et passés s’étaient atteler à cette tache, nous aurions pu l’influencer dans le sens que vous évoquez, quel gâchis ?

  2. On prend les mêmes et on fait passer, comme depuis le début, l’économie avant le social, on continue vers un ultra-libéralisme UE mondialisé et concurrentiel, une volonté de convertir les entreprises nationales en entreprises UE financées en majorité par le bloc occidental dominé par les US. On décrie en public la Chine et on envoie avec elle un satellite dans l’espace…On décrie la Russie et on continue d’acheter son gaz ! Les Mulliez-Auchan toujours en Russie (10% de leur CA, soit 3,2 MDS€ ) dont une partie en taxes finançant l’armement russe. Putine MDR… Méloni, fasciste, copine avec Von der Leyden. L’écolo rétropédale et les peuples n’ont toujours pas le droit à la parole, au pouvoir, kidnappé par une élite « d’experts » pseudo-sachants, à la vérité innée, infuse depuis leur naissance à l’école alsacienne !!!

    L’UE s’est construite sur et pour le couple franco-allemand. Or, le mâle dominant de ce couple, le Mozart ou le Wagnérien de la finance ( ne parlons pas d’Malher!!!) semble avoir été atteint de démence précoce (ah, les génies, les « aspergeurs », les HPI !!!), semble avoir basculé dans sa schizophrénie latente, sa-bi polarité du « en même temps », fasciné « koi-kil-en-coûte » par son suicide narcissique alors qu’on le prenait pour Jupiter ou Vulcain… Plus seul que jamais, lâché lâchement par tous ses bons amis, ses fidèles idiolâtres, peut-il encore oser, prétendre, représenter les français à l’UE, à l’international alors que sa côte d’impopularité est proche de 75%?

    Que ce soit LFI-JLM derrière le masque de clown du Frontpop ou la « normale », la normée, la labellisée républicaine antisémite, Le Pen, que pourra dire Macron sans qu’il ne soit aussitôt critiqué, surtout que Le Pen ou JLM ne semblent pas être des européens convaincus (les traités, la politique énergétique, l’immigration, la Pac, la cotisation française à l’UE, la guerre en Ukraine, Gaza…).

    Malgré cela ou grâce à cela, (on s’attriste pour nous face aux photographes, on s’apitoie sur notre triste sort, et dans le dos, on se croise les doigts pour ce cadeau). Von der Leyden et Sholtz, enfin débarrassés de ce trublion gênant, entendent bien profiter de cet instant de faiblesse, de l’effondrement du couple devenu soudain monoparental ! Au nom des droits du bébé UE, au son émouvant de l’hymne à la joie, ils décident, moins menacés par la dette que la France, d’imposer de nouveau leur politique d’austérité budgétaire des 3% pour que les financiers de la dette (dont des allemands) n’accélèrent pas leur pression en augmentant leurs taux, politique qui, comme cela l’a été pour la Grèce, obligera tout gouvernement français à privatiser davantage les ruines du service public, au grand dam de leurs électeurs à qui l’on avait promis des jours heureux, Noël en été… !

  3. Bonsoir.
    Cet article démontre bien l’inaptitude de nos gouvernants et des soi disant bien pensants.

    On s’aperçoit aujourd’hui, quand on est au bord du gouffre, quand on a fait n’importe quoi, quand on a crée tous les obstacles nécessaire pour empêcher cette finalisation, qu’il nous faut une Europe qui devienne une puissance mondiale ?

    De plus, on fait de l’auto satisfaction sur un bilan qui est en réalité catastrophique, on se voile la face, on cache son incompétence, on glorifie certaines personnes qui sont responsables de cette situation (Ursula Von der Leyen et sa clique, cupidité, mensonges, corruption, etc…) ?

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