Ranimer et démocratiser l’utopie européenne

L’élection du Parlement européen repose tous les cinq ans la question de l’attachement de ses citoyen·ne·s à l’Union européenne (UE). Les arguments de ceux qui veulent convaincre les électeurs de ce qu’elle contribue à leur prospérité restent peu audibles. D’une part, l’élection ne porte guère que sur des enjeux nationaux. D’autre part, les citoyens constatent la faiblesse et les carences démocratiques des institutions européennes. Les peuples de l’Europe ne veulent plus s’entredéchirer, mais ils sont tentés de se recroqueviller sur leurs États nations, alors qu’ils ne savent manifestement plus garantir seuls la prospérité et la sécurité de leurs citoyens. Les débats en cours en France n’évoquent pas un seul instant la dimension européenne des décisions à venir. Les peuples de l’Europe devraient admettre leur communauté de destin.

Un cheminement entravé

Établies depuis 1951 par des traités internationaux, les institutions de l’UE ne reflètent pas l’espoir des mouvements de Résistance de plusieurs pays européens, secrètement réunis à Genève en 1944, d’une Europe démocratique unie dans sa diversité par des institutions fédérales. La vision de 1944 a été contrecarrée dès 1946 par les États nationaux renaissants. « L’Europe des nations » avait été expérimentée pendant des siècles, dans toutes ses dimensions et ses détails. Mais pas plus qu’aujourd’hui, les leçons n’en avaient été entendues. Le nationalisme n’a pas été universellement condamné. Le Congrès de l’Europe de La Haye en mai 1948 fut le théâtre de déclarations contradictoires et de malentendus. Il n’en résulta qu’une institution intergouvernementale (le Conseil de l’Europe) et un Mouvement européen, pétris tous deux de bons sentiments.

Trois quarts de siècle après son coup d’envoi le 9 mai 1950, par le discours de Schuman annonçant la Fédération européenne, le processus d’union des peuples européens reste inachevé, instable et fragile, car il a voulu la créer par un traité, ce qui est impossible. Les Américains l’ont montré en 1787, seule une Constitution fédérale peut créer une Fédération. Ce que Schuman a obtenu, en 1951, c’est la Communauté européenne du charbon et de l’acier. M. Pleven a tenté de greffer sur elle une Communauté européenne de défense et M. Spaak a tenté de compléter le projet par une Communauté politique, mais ces deux ajouts ont été abandonnés en 1954. Cela conduisit en 1957 à une Communauté économique européenne d’inspiration ordolibérale (l’Ordnungphilosophie allemande), ainsi que le rappelle Aliénor Ballangé (dans « La démocratie communautaire »), détournant durablement le projet de ses objectifs politiques.

L’UE est l’héritière de cette Europe réduite à l’Union économique et monétaire, dont la gestion mi-supranationale et mi-intergouvernementale ne peut être que défaillante, particulièrement pour gérer les multiples crises auxquelles toute collectivité est nécessairement confrontée. Cela doit changer. Se résigner à l’abandon du projet de Fédération européenne serait irresponsable compte tenu du déclassement de l’Europe depuis un quart de siècle au moins, et des multiples menaces qui pèsent sur les Européens, qu’elles soient géopolitiques, économiques, culturelles, sanitaires, environnementales ou migratoires.

Contrat social et affectio societatis

Au cœur du fonctionnement institutionnel de l’UE, il manque un contrat social, générateur d’affectio societatis. Ces deux concepts relèvent l’un de la philosophie politique, l’autre du droit des sociétés (article 1832 du Code civil) mais peuvent être rapprochés. Dans « Du contrat social ou Principes du droit politique » Jean-Jacques Rousseau affirme que la notion de souveraineté du peuple s’appuie sur les notions de liberté, d’égalité, et de volonté générale.

Afin d’organiser l’état de droit, tout groupe humain a besoin de règles codifiées qui, pour être acceptées par tous, doivent être élaborées démocratiquement. On ne triche pas avec la démocratie : elle ne peut être tronquée ou seulement partielle, elle est ou elle n’est pas. Pour les aimer, les Européens doivent se reconnaître dans leurs institutions. Ils doivent en comprendre les raisons d’être. Leurs règles de leur fonctionnement doivent être limpides et leurs noms doivent correspondre à des concepts familiers. Ce n’est pas le cas au sein des institutions de l’UE. Combien, par exemple, de « Conseils » en tout genre dénombre-t-on aujourd’hui ?

Constitution démocratique vs ballets diplomatiques

Montesquieu a décrit les principes d’un fonctionnement démocratique. Après avoir inspiré la Constitution américaine de 1787, suisse de 1848, allemande de 1949, et dans une mesure variable celles des 86 autres États fédéraux qui existent aujourd’hui, ils doivent inspirer une vraie Constitution européenne qui remplacera les bricolages instaurés dans des traités entre gouvernements nationaux et respectera la souveraineté du peuple. Ce n’est pas un énième traité entre gouvernements nationaux jaloux de prérogatives objectivement dépassées par les événements qui pourra contribuer à nous préserver des menaces évoquées plus haut. Cette constitution, le Parlement européen autoproclamé Assemblée constituante devrait nous la donner et les citoyens devraient se l’approprier. Un fonctionnement démocratique, fondé sur les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire définis par Montesquieu, se substituera aux actuelles relations diplomatiques entre États membres de l’UE. Il deviendra possible qu’un gouvernement fédéral européen établisse enfin une vraie défense européenne, car il sera légitime, étant démocratique.

François MENNERAT et Jean MARSIA
François MENNERAT et Jean MARSIA
François Mennerat, administrateur de Sauvons l’Europe, et Jean Marsia, président de la Société européenne de Défense, sont membres de l'Union des Fédéralistes européens.

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