Constituer une Commission, un exercice politique contraint

La Commission européenne est un être hybride. Elle est constituée par sa Présidente à partir des candidats que veulent bien lui adresser les Etats, et doit recueillir l’accord formel du Parlement européen et informel des Etats membres. Le tout pour exercer un programme politique sur la base duquel Ursula von der Leyen a été reconduite, avec une coalition des conservateurs, des centristes et des sociaux-démocrates de facto élargie aux écologistes au Parlement européen.

Les outils dont dispose Ursula von der Leyen pour trouver quelques marges sont au nombre de trois : le respect de la parité, le jeu de l’attribution des compétences, l’épée de Damoclès du Parlement qui peut écarter des commissaires individuels. Rappelons que cette pratique est récente, et que Jean-Claude Juncker a révélé s’y être livré sans avoir pu l’assumer publiquement.

La parité présente l’intérêt majeur d’être, en apparence, politiquement neutre. Chacun s’accorde à dire qu’il est souhaitable qu’il y ait autant de femmes que d’hommes dans la Commission, et ceci permet de demander à chacun de faire un effort, et peut être à certains de faire un peu plus d’efforts. Cette méthode permet aux Etats concernés de proposer un second nom sans difficulté diplomatique et de donner une apparence de compromis gracieux au retrait de leur candidat initial. Von der Leyen avait demandé que les Etats proposent deux personnes plutôt qu’une afin de faciliter ce processus; les Etats ont ignoré cette demande. La marche est peut être un peu trop haute cette fois pour être totalement franchie : les Etats n’ont proposé que dix femmes sur 27 noms.

Ursula von der Leyen a conduit une innovation constitutionnelle importante sous sa Commission précédente, en créant les vice-présidences. Avant elle, chaque direction générale de la Commission avait un Commissaire (ce qui obligeait plus ou moins à avoir 27 DG). En créant des VP exécutifs et des VP simples, elle a structuré verticalement le travail de la Commission et théoriquement créé un Directoire politique avec trois vice-présidents exécutifs issus des trois partis de la coalition au Parlement. Ceci signifie qu’il est possible de menacer les Etats de ne conférer que des portefeuilles symboliques si leur candidat est inadéquat. En pratique toutefois, nous observions que les compétences se recoupaient à dessein et ne permettaient pas de clarification de l’action des VP exécutifs. De fait, Ursula von der Leyen est régulièrement accusée d’avoir très fortement concentré les pouvoirs de la Commission sur sa personne propre, à rebours de ce que suggérait la création de ces postes. Alors qu’elle dispose cette fois-ci d’une onction électorale après avoir été candidate (Spitzenkandidatin) du PPE aux élections européennes, qui est le premier groupe du Parlement, il est difficile d’imaginer qu’elle ne continue pas sur cette pente.

Enfin, le Parlement européen a la possibilité de censurer individuellement les Commissaires, et se livre toujours à cet exercice pour assurer la coutume constitutionnelle – la française Sylvie Goulard en a été victime. Une pratique que nous pourrions d’ailleurs à profit importer dans notre parlementarisme national si exemplaire. La censure peut intervenir pour des raisons politiques, de corruption ou d’incompétence manifeste sur le poste en question.

Quels sont donc aujourd’hui les points de friction ?

Si Thierry Breton a des relations complexes avec la Présidente, il semble qu’il soit reconduit peu ou prou sur les mêmes thèmes. Mais avec quel degré d’indépendance concrète dans son action ? Nous le verrons.

Le Commissaire hongrois, Oliver Varhelyi serait sur la sellette. Outre le scandale énorme de la décision rapidement contremandée de l’arrêt de l’aide à la Palestine, pour laquelle Sauvons l’Europe avait réclamé sa démission, il est considéré comme le porte-voix du régime de Viktor Orban dans la Commission.

Un autre point chaud est Rafaelle Fitto, ministre italienne de l’économie et du plan de relance qui serait en lice pour les mêmes attributions à la Commission (dans la continuité de Paolo Gentiloni) et … une vice-présidence ! Il s’agirait d’une concession majeure, certes à un pays important, mais surtout à un parti politique d’extrême-droite qui a par ailleurs voté contre la nomination d’Ursula von der Leyen ! La question politique posée est donc d’une part le barrage à l’extrême-droite, réclamé par les centristes, sociaux-démocrates et les verts, auquel la droite ne souscrit que de manière poreuse, et les limites de la coalition, le PPE ayant manifestement envie d’aller baguenauder sur le terrain de l’extrême-droite « présentable ». Les sociaux-démocrates ont déjà fait savoir qu’ils s’y opposeraient, et les centristes également.

Enfin et de manière plus politique, les deux portefeuilles de l’écologie et de l’agriculture sont au cœur des désaccords entre le PPE et les autres membres de la coalition, ce qui demandera à la fois des arbitrages et de la créativité.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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3 Commentaires

  1. « Constituer une Commission, un exercice politique contraint » par les innovations constitutionnelles et aussi par « toutes les pesanteurs du monde » : vanité, jalousie, convoitises, vengeance . . .

  2. Bonjour.

    En ne jetant pas les bases d’une véritable gouvernance Européenne, en intégrant à marche forcé des Etats qui n’ont jamais respectés l’idéal européen, qui le combattent même, on aboutit à ce résultat et il semblerait que ce ne soit que le début.

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