L’Europe régule, les USA font réatterrir leurs lanceurs de fusées ! Nous voilà à la traîne, dans la poussière des américains et des chinois, réduits à réguler l’activité des autres. Du moins c’est ce que je lis ici ou là. On pointera ici avec raison que le budget de la NASA, dont Space X n’est en fait qu’une subdivision financière, est quatre fois supérieur à celui de l’Agence spatiale européenne. Mais d’autres semblent aller plus loin, et dire que le surcroît de régulation est la cause du retard de l’Europe.
Les normes que nous nous imposons, en termes de sécurité alimentaire, de stabilité financière, de protection des consommateurs et de sauvegarde de la nature creuseraient notre tombeau économique. C’est la charge que mènent aujourd’hui les conservateurs européens et dont le pacte vert constitue la première cible. Il peut toujours y avoir du vrai à ce type de raisonnement, notamment secteur par secteur, mais la prudence intellectuelle est de mise pour qualifier l’ensemble du système économique européen.
Il se trouve, pour être chauvins un instant, que l’existence de l’Absurdistan bureaucratique français vient de recevoir une démonstration scientifique, en soi assez simple. Bruno Pellegrino et Geoffery Zheng ont croisé en 2023 un sondage de l’Institut Bruegel sur le ressenti de près de 15.000 entreprises européennes sur les obstacles administratifs qu’elles rencontrent, avec le Business Regulations Index de la Banque mondiale qui mesure le niveau de régulation d’un pays (avec par exemple le nombre de jours et de démarches nécessaires à la création d’une nouvelle entreprise). Le résultat est celui-ci, qui assure nettement à la France sa place de leader européen de la bureaucratie.
On notera ici que l’échelle est logarithmique pour le sondage, ce qui signifie que si un quart des entreprises italiennes estiment rencontrer des obstacles, la moitié des entreprises françaises sont concernées ! La corrélation parfaite entre les deux études montre qu’il ne s’agit pas d’un ressenti désincarné, mais d’une réalité tangible. Notre beau pays est d’ailleurs connu pour ajouter sa touche nationale aux directives européennes. Quiconque en France s’est essayé à développer une forme d’activité un tout petit peu originale se trouve confronté à un cadre administratif non prévu, ce qui se traduit par des délais, de l’incertitude et au final un arbitraire – parfois favorable – de l’administration. Et donc, quelle en est la conséquence ?
Selon les auteurs de cette étude, si on modélise l’impact de la bureaucratie comme une taxe sur le capital, le Royaume-Uni perd 0,1% de croissance par an, l’Allemagne 0,17%, l’Espagne 0,33% et l’Italie un incroyable 0,82% par an ! Quant à la France ? 3,94% par an. N’est-ce pas une folle confirmation que la France est un pays de lions tirés par des ânes, que si l’on libère les forces de ses entrepreneurs et fluidifie le marché du travail en réduisant les charges sociales, ces derniers créeront aisément un million d’emploi ? Peut être ce résultat est-il au contraire une leçon de prudence dans les effets que l’on peut attendre d’une débureaucratisation.
Car en l’état, la croissance du Royaume-Uni est de 0,1%, pour -0,3% en Allemagne, 2,5% en Espagne qui est encore en rebond du Covid, 0,9% en Italie et 0,7% en France. On mesure mal pourquoi, si la France ramenait sa bureaucratie au niveau anglais, elle bénéficierait d’une croissance de 5% comme pendant les trente glorieuses ? Quels sont les ressorts internes, au-delà du génie propre de ses entrepreneurs, qui permettraient d’atteindre une telle performance et dont ne dispose apparemment aucun autre pays européen ?
En réalité, les croissances des pays développés du monde sont très proches, en particulier par habitant et de manière plus frappante encore par population en âge de travailler. Seuls les Etats-Unis, et encore peut être grâce à un effet dollar, constituent une exception de ce point de vue. Si sortir de la pauvreté n’est pas insurmontable, devenir un pays développé requiert de rejoindre la frontière technologique, c’est-à-dire de rassembler l’ensemble du capital public et privé, de l’intelligence collective et des savoir-faire qui permettent de produire de la manière la plus intensive. A ce stade, on ne progresse que par la découverte de nouvelles méthodes et de nouveaux procédés, et par leur diffusion efficace dans l’économie. Des taux de croissance remarquables sont probablement hors de portée. Or les pays développés à forte bureaucratie et à forts prélèvement sociaux croissent manifestement comme les autres.
S’il est toujours nécessaire de prendre garde aux conséquences sectorielles des réglementations, la capacité de l’Europe à réguler pour orienter vers une transition énergétique, pour protéger les consommateurs et assurer une stabilité économique suffisante ne doit donc pas être remise en cause par des craintes de principe. Nous sommes aujourd’hui plus guettés par le sous-investissement que par la surrèglementation, si absurde soit-elle parfois. Et peut-être la France pourrait-elle prendre une cure spécifique.
La réglementation est bien sur indispensable mais dans des limites que notre pays a dépassées ! elle est souvent décidée d’en haut ce qui est sans doute nécessaire mais dans des limites que nous avons dépassées la aussi, et nous ne laissons pas assez de capacité d’adaptation à nos territoires . Enfin n’opposons pas notre sous investissement lié à notre surendettement à notre surrèglementation : les deux pénalisent notre croissance !
Deux commentaires : 1) la croissance n’est pas un indicateur de bien-être. Tout dépend de savoir comment est répartie, sur l’ensemble de la population , l’auglentation des richesses produites. Ce sont les inégalités qui constituent le terreau de l’extrême droite.
2) Pourquoi associer bureaucratie et prélèvements sociaux ? Les cotisations sociales versées par les entreprises ne sont pas une charge empêchant le système économique de fonctionner, mais un salaire indirect versé aux travailleurs en échange de leur travail productif. C’est notamment grâce à eux, que le richesses produites augmentent.
Au lieu d’écrire que la régulation est un obstacle à la croissance, pensons qu’elle est un frein à l’augmentation déraisonnable des profits de certaines entreprises
C’est le vieux débat entre production et répartition !! Pour repartir de la richesse il faut en produire !
N’ayant pas les connaissances économiques de Dominique Gambier et d’Yves Herlemont, je ne m’avancerai pas imprudemment sur ce terrain.
Cela étant précisé, j’apprécie la manière dont Arthur a souhaité remettre certaines pendules à l’heure… ce qui est parfaitement cohérent avec l’air du temps – c’est-à-dire l’adaptation à un nouveau module horaire opérée dans la nuit de samedi à dimanche.
Il y aurait, certes, beaucoup à commenter à propos de la régulation (un anglicisme ?) européenne. A ce stade, je m’en tiendrai à une considération d’inspiration juridique qui me paraît essentielle: à savoir l’importance de relativiser le poids de la réglementation « communautaire ».
Il convient en effet de faire justice de la vieille incrimination selon laquelle celle-ci occuperait une place excessive par rapport aux législations nationales, auxquelles elle se substitue même dans certains cas. Or, il s’agit d’une illusion d’optique dans la mesure où:
– d’une part, l’article 5 du traité sur l’UE précise sans ambigüité qu’en vertu d’un principe dit d’ « attribution », l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs de ces derniers. Le même article martèle, au demeurant, que toute compétence non attribuée ainsi à l’Union dans appartient aux États membres
– d’autre part, les études les plus sérieuses montrent que, contrairement à une idée très anciennement reçue, la proportion de législation « bruxelloise » ne représenterait qu’un pourcentage de 20 à 25 % en moyenne dans l’ensemble des législations nationales.
Il conviendrait, en outre, de souligner que, depuis bien des années – et notamment avec la réalisation du « grand marché intérieur » – le stade de la réglementation tatillonne de divers secteurs est dépassé. Il en va ainsi, par exemple, de l’ « encadrement » de la courbure des bananes, conçu à l’origine pour protéger les Départements d’outre-mer de la concurrence de la « banane dollar ». Dans ma panoplie personnelle de consommateur, je reste très attentif à ces normes de commercialisation.
Je peux donc comprendre l’inconfort engendré par un sentiment d’ « incontinence réglementaire » attribué à « Bruxelles » (ville qu’arrose le Manneken-Pis). Mais porterait-on le même genre d’accusation à l’encontre du code de la route censé discipliner la conduite des véhicules et réduire les risques de fâcheux « dérapages »?
1) Il ne faut pas être grand économiste pour écrire que la croissance d’un pays correspond à l’augmentation du PIB de ce pays, c’est-à-dire à l’ensemble des richesses ( biens et services exprimés en monnaie) produites en un an dans ce pays. Elle n’est facteur de bien-être que si cette croissance est répartie équitablement entre revenus du capital et revenus du travail. Il faut donc réglementer (réguler?) pour ne pas laisser au seul marché le soin d’en décider.
2) Quand la droite parle de réglementation (régulation?) freinant la croissance, elle parle évidemment (non pas de la courbure des bananes) mais des normes sociales, environnementales et fiscales prises dans l’intérêt du plus grand nombre.
Je ne vois pas en quoi nous nous contredisons, même si, plus écologiste qu’économiste, je reste méfiant à l’égard du thermomètre incarné par le PIB, pas assez qualitatif de mon point de vue. Quant à mon exemple relatif à la courbure des bananes, c’est précisément pour montrer que, par rapport à une approche jadis trop technique de « Bruxelles », les temps ont changé avec la prise en compte des normes que vous citez à juste titre… mais sans négliger que le social reste en grande partie une chasse gardée des États membres, qui n’ont confié à la Commission qu’une vague compétence de coordination en ce domaine: nous sommes bien loin de l’implication de la CECA en faveur du bien-être des mineurs et des sidérurgistes !
Je n’en suis pas si sûr, malheureusement, à mon grand désappointement. Je ne suis pas certain que le Green Deal, qui a déjà un coup dans l’aile, suite à la fronde conduite par les organisations syndicales agricoles (inféodées aux multinationales agro-alimentaires) ne va pas se déliter (les prises de position du PPE [le groupe parlementaire d’UVDL] sont déjà claires à ce sujet). De cette fronde, la Commission essaie d’en soigner les symptômes et non les causes profondes, car il s’agirait alors de remettre en cause la nature profonde de la PAC menée depuis plus de quarante ans. Ce combat-là, profondément anticapitaliste, ni la Commission ni les droites (y compris les ordolibéraux qui se prétendent de gauche) au pouvoir dans les États membres n’ont la volonté de le mener. Quant aux clauses miroirs contenues dans le futur Mercosur, j’ai les pires craintes qu’elles ne soient un écran de fumée masquant la véritable fonction de tels traités de libre échange : redonner un coup de fouet aux économies des grands Etats européens (dont l’Allemagne, en première ligne) en revigorant leurs exportations (voir à ce sujet les critiques de Charlotte Emlinger) vers l’Amérique latine, les préoccupations environnementales et sociales devenant plus qu’accessoires, pour ne pas dire décoratives.
Vos craintes sont compréhensibles. Et il est clair qu’il convient de rester vigilant quant à la mise en œuvre des politiques dans le cadre du Mercosur: soit dit en passant, pour reprendre une considération que j’avais évoquée il y a quelque temps (du reste, me semble-t-il, en réponse à l’un de vos commentaires), l’attitude de l’Union à cet égard reflète, une nouvelle fois, davantage les préoccupations des artisans de la politique commerciale de l’UE que celles des promoteurs de la coopération au développement (je me référais alors aux négociations entre l’UE et les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique).
Quant au « Pacte vert », je me demande s’il n’est pas un peu prématuré d’estimer son impact. Cela dit, je partage votre analyse concernant le combat d’arrière-garde mené par certaines organisations du monde agricole. En songeant à la PAC des premiers temps, il serait tentant de reformuler un cri du cœur poussé en mai 1968: « Mansholt, Pisani, réveillez-vous ! Ils sont devenus fous ! »