Le moins que l’on puisse dire, c’est que tous les pro Européens, à Chisinau comme à Bruxelles ou à Paris, auront passé une nuit angoissante dans la foulée du référendum moldave du 20 octobre portant sur la constitutionalisation de l’objectif d’adhésion du pays à l’Union européenne. Pendant de longues heures, ils auront cru revivre l’épisode cauchemardesque du Brexit en subissant en première partie de soirée une série de résultats extrêmement négatifs, avant que la région de Chisinau et la diaspora ne viennent finalement faire basculer in extremis la dramaturgie vers un dénouement heureux. Mais on est loin du plébiscite annoncé par des sondages euphoriques qui allaient jusqu’à prédire près de vingt points d’avance au « oui ».
C’est d’autant plus surprenant qu’en appelant au boycott du scrutin, une partie de l’opposition à la Présidente Sandu semblait avoir condamné toute chance de victoire du « non », misant davantage sur une invalidation du référendum faute de quorum. Or, avec une participation nettement supérieure à ce qui avait été imaginé – bien que ne dépassant que tout juste les 50% – ce référendum est soudainement devenu compétitif.
Soupçon de corruption à 15 millions $ pour voter « non »
Bien sûr, la cause majeure du score élevé réalisé par le camp du « non » aura été cette invraisemblable affaire de corruption et d’achat de voix orchestrée par l’oligarque pro Kremlin Ilan Shor. Il est difficile d’évaluer exactement quel aura été l’impact de cette sombre histoire mais il est question d’une somme de 15 millions de dollars qui aurait été distribuée à plus de 120 000 personnes, donc l’opération semble avoir été conséquente et de nature à modifier les résultats de manière significative. Elle démontre la capacité de nuisance du régime de Moscou sur le déroulement du processus démocratique dans les pays voisins de la Russie, la Géorgie dont les élections ont eu lieu le 27 octobre ayant été également visée.
Il semble évident que, à l’instar de ce qui s’est passé avec l’Ukraine, l’impérialisme poutinien ne laissera pas sans réagir ces pays se rapprocher de l’UE et il nous faut dès maintenant intégrer cette donnée afin de ne pas faire preuve de frilosité dans le soutien que nous avons le devoir d’apporter aux forces démocratiques dans ces pays.
Des communautés divisées selon l’origine et la langue
Au delà de la question de l’ingérence russe, la disparité des votes selon l’origine et la langue n’en est pas moins flagrante. Les minorités ont voté en très grande majorité en faveur du « non ». Au premier plan, la Gaugauzia peuplée en majorité de Turcophones qui ont choisi le non à près de 95% ou encore la Taraclia, premier district bulgarophone, où le score fut presque aussi écrasant. On constate donc un phénomène inquiétant qui voit les minorités, même non russes, se montrer réceptives à la propagande du Kremlin. A contrario, la majorité roumanophone s’est prononcée en majorité pour le « oui », le district le plus favorable au « oui » – Ialoveni – étant peuplée à 95% par des Moldaves parlant le roumain.
Néanmoins, ce sont essentiellement les votes de la capitale et de la diaspora qui auront emporté la victoire. A Chisinau – encore une ville à forte majorité roumanophone et de très loin la principale agglomération du pays – le « oui » totalise près de 56% des suffrages, ce qui est bon sans être pour autant massif. En revanche, les Moldaves vivant à l’étranger ont été plus de 75% à plébisciter l’entrée dans l’Union européenne et ils constituaient à eux seuls plus de 15% de l’ensemble de l’électorat. Or, si leur vote est bien évidemment parfaitement légitime, on peut imaginer l’utilisation que fera la propagande pro Kremlin d’un résultat acquis par l’appui massif d’électeurs vivant à l’étranger. Par conséquent et même si c’est le soulagement qui domine à cette heure, les fractures du pays restent très marquées et seront exploitées par les ennemis de l’intégration européenne.
L’avenir européen de la Moldavie dépend de l’incertain 2e tour de la Présidentielle… du 3 novembre
L’occasion d’une revanche leur sera d’ailleurs donné dès le 3 novembre prochain. En effet, le même jour que le référendum se déroulait également le premier tour de l’élection présidentielle et si la candidate sortante pro européenne, Maia Sandu, est arrivé nettement en tête avec 42.5% des suffrages, son adversaire communiste et pro russe Alexandr Stoianoglo a encore hélas de vraies chances de l’emporter lors du second tour. Ce dernier n’a obtenu que 26% des voix le 20 octobre, mais il semble être en mesure de bénéficier de reports de voix conséquents puisque le nationaliste Renato Usatii (13.8%) ainsi que les indépendants Irina Vla (5.4%) et Victoria Furtuna (4.5%) sont tous, à des degrés divers, eurosceptiques et favorable au Kremlin. Les premiers sondages portant sur le second tour montrent d’ailleurs une course serrée et donc un résultat incertain. Or, il est capital pour l’avenir du pays que Maia Sandu l’emporte puisqu’une victoire de son adversaire gèlerait les résultats du référendum en le rendant de facto quasi caduque, dans le sens où l’on se doute bien que Alexandr Stoianoglo ne lèverait pas le petit doigt pour rapprocher son pays de l’Union européenne. A contrario, une réélection de Maia Sandu donnerait les coudées franches à la Présidente, d’autant plus que son parti contrôle déjà le Parlement.
On retrouve d’une certaine façon la même carte électorale entre le premier tour de l’élection présidentielle et le référendum avec, néanmoins, une exception importante dans le sens où Maia Sandu a sous performé à Chisinau. Elle arrive en tête, certes, mais ses 48% dans la capitale restent décevants dans le sens où on pouvait imaginer qu’elle serait majoritaire, eu égard aux résultats du référendum. C’est en partie là que pourrait se jouer l’issue du second tour.
D’autre part et si l’on doit soutenir sans réserve Maia Sandu dans la configuration actuelle, le social-démocrate que je suis regrette que la seule vision pro européenne portée dans ce scrutin soit celle d’une Présidente certes courageuse mais authentiquement libérale et de centre-droit. Les Sociaux-Démocrates du PSDE sont devenus hélas une force mineure avec moins de 2% lors des dernières législatives et donc se trouvant dans l’incapacité de présenter un candidat crédible pour la présidentielle. L’émergence d’une gauche pro européenne serait pourtant un atout pour contrer les communistes dont l’argumentaire opposant un discours populiste au libéralisme sert évidemment les intérêts du Kremlin.
La Géorgie gangrenée par des fraudes pro Russes
Ce qui se passe hélas en Géorgie constitue un avertissement supplémentaire pour la Moldavie. Lors des élections du 27 octobre, le parti pro Kremlin actuellement au pouvoir (Le Rêve Georgien) a sorti de son chapeau un résultat de 53% actant sa réélection, cela alors que les sondages sortis des urnes ne lui accordaient que 42% des suffrages et dans un contexte de fraudes massives amplement démontrées.
On ne s’est pas contenté d’achats de voix dans ce pays ; le mini Poutine, Irakli Kobakhidze, a su parfaitement imiter son maitre en matière de bourrage d’urnes. Que l’on ne s’y trompe pas, il s’agit bien d’un combat pour la survie de la démocratie face à Moscou qui est mené dans tout l’espace post soviétique. Au moment où l’opposition géorgienne entre en résistance en refusant de céder au coup de force, les pro européens moldaves doivent rester plus que jamais vigilants.
Excellent article sur la Moldavie . Il est étonnant que les nombreux « observateurs » internationaux (OSCE/UE/…) s’avèrent incapables de documenter les pressions, manipulations, fraudes électorales, etc … et en soient réduits à demander une enquête des services nationaux, eux-mêmes complices de ces irrégularités !
Cet article précis omet cependant un élément de taille : la Moldavie n’est pas souveraine sur l’ensemble de son territoire officiel. La République Moldave du Dniestr autoproclamée (dite Transnistrie) qui compte pour 20% de la population moldave mais pour au moins 70% du PIB national conteste la légitimité de ce referendum.