Présidence polonaise du Conseil de l’UE : des attentes aussi grandes que sa fenêtre de tir est petite ?

La page de la présidence hongroise du Conseil de l’UE au second semestre 2024 a été vite tournée. Sous le slogan « Make Europe Great Again » (MEGA), volontairement provocateur en référence au « Make America Great Again » de Donald Trump, Viktor Orban avait choisi un démarrage tonitruant en rendant successivement visite à Vladimir Poutine, à Xi Jinping et à Donald Trump – et ce sans mandat européen. Émaillée d’autres provocations, dont le dépôt devant la Justice européenne par la Hongrie d’un recours contre la directive sur la protection des journalistes ou l’assouplissement des conditions d’entrée sur son territoire pour les travailleurs de plusieurs pays (dont… la Russie et son alliée la Biélorussie), la présidence hongroise a au final était largement « neutralisée », notamment par un boycott de ses réunions par la Commission européenne.

La présidence hongroise a d’ailleurs eu droit en session plénière du Parlement européen, en octobre 2024, à un procès en règle de la part d’Ursula von der Leyen. Elle a vilipendé l’action internationale de la Hongrie, ses atteintes à l’Etat de droit, mais aussi la gestion du pays, teintée de corruption et de favoritisme. Il est vrai aussi que cette présidence était tombée dans la phase de transition entre deux cycles parlementaires, à un moment où peu de textes se trouvaient dans les tuyaux législatifs. Au final, la présidence hongroise n’a ainsi pu conduire à son terme que neuf trilogues législatifs.

Son bilan est somme toute tellement faible que l’on est en droit de s’interroger si les présidences semestrielles du Conseil de l’Union européenne sont vraiment un outil institutionnel indispensable.

Les grandes attentes vis-à-vis de la présidence polonaise

Quel contraste en tout cas avec les ambitions du programme de la présidence polonaise (bémol : le site de la présidence n’est pas disponible en français). Rien qu’en termes quantitatifs, sont prévues 300 réunions officielles dans 24 villes polonaises plus une centaine de réunions statutaires à Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg. La Pologne vise des avancées significatives dans une soixantaine de dossiers législatifs. Le niveau des attentes est donc très élevé.

Il l’est d’abord du fait du retour de la Pologne dans le camp des démocraties pro-européennes et antipopulistes depuis les dernières élections législatives d’octobre 2023 qui ont conduit au pouvoir une très large coalition sous la conduite de Donald Tusk. Elle regroupe les trois partis piliers des « coalitions de gouvernement » au Parlement européen également : le PPE (représenté par la coalition civique PO de Donald Tusk), les Libéraux de RENEW (le parti dit de la « troisième voie » de Szymon Holownia) et le S&D (partis de « la Nouvelle Gauche »).

Au-delà de son assise large en politique intérieure, la Pologne apparaît aussi naturellement comme un nouveau protagoniste ou même leader européen en tant qu’économie en croissance et rempart à l’impérialisme russe tandis que l’Allemagne est handicapée par les incertitudes planant sur son modèle économique et la France en « no man’s land politique ». Ainsi, le Président du Conseil européen Antonio Costa a déclaré lors de la cérémonie d’ouverture de la présidence polonaise le 3 janvier à Varsovie : « La présidence polonaise de l’Union européenne arrive à point nommé, car la vitalité de la démocratie polonaise et le sentiment d’identité nationale qui l’anime rendent l’Union européenne plus forte. Et car la Pologne est une source de résilience en des temps où l’autoritarisme et le populisme menacent nos valeurs. »

Le niveau d’attentes est aussi lié à la personnalité du Premier ministre Donald Tusk. Déjà une première fois à cette fonction lors de la précédente présidence polonaise en 2011, il est un habitué de la scène politique bruxelloise. En tant que président du Conseil européen de 2014 à 2019 puis président du Parti populaire européen (PPE) entre 2019 et 2022, où il a obtenu l’éjection du Fidesz de Viktor Orban.

La sécurité et la cohésion : du lourd au programme de la présidence

En termes de programme, la Pologne a choisi pour devise « Sécurité, Europe! » qui serait un clin d’œil à « Its the economy, stupid » (« Cest l’économie qui compte, idiot ») de Bill Clinton.

Ainsi, la sécurité est déclinée en sept dimensions : extérieure, économique, énergétique, alimentaire, sanitaire, intérieure et de l’information, telle que la lutte contre la désinformation. Une vision que l’on n’est pas obligée de partager mais certainement un vaste programme susceptible de rallier la très grande majorité des États membres.

Même si elle est moins mise en avant, la politique de cohésion de l’UE sera également un élément central de la Présidence polonaise sachant que la Pologne la décline également en mode sécuritaire, en mettant par exemple en avant ses potentialités pour l’utilisation duale civile et militaire des infrastructures. Auparavant, Donald Tusk s’était assuré avec la nomination de Piotr Serafin comme commissaire au budget d’occuper un rôle central dans le débat sur l’avenir de cette politique, dont la Pologne est aujourd’hui le premier bénéficiaire et qui fait d’elle le leader officieux des États dits « amis de la cohésion ».

Ainsi, le « Conseil Affaires générales » pourrait adopter le 28 mars des conclusions sur l’avenir de cette politique et confirmer qu’elle constitue le meilleur outil pour remédier aux disparités de développement entre les régions, lutter contre les inégalités et améliorer la résistance aux chocs et contribuer au bon fonctionnement du marché unique. Avec de telles conclusions, la Pologne vise à mettre un frein à toutes les velléités de détricotage de la politique de cohésion par sa renationalisation et/ou sa recentralisation.

Les contraintes qui réduisent la fenêtre de tir polonaise

Il n’en reste pas moins que les ambitions de la présidence polonaise se heurtent à un certain nombre de contraintes politiques et temporelles qui réduisent autant « sa fenêtre de tir ».

La première contrainte est liée à la politique intérieure et au fait que l’opposition eurosceptique du PiS disposera jusqu’à la fin de la présidence polonaise d’un levier de blocage à travers la personne du président Andrzej Duda. Le premier tour des élections présidentielles qui désigneront son remplaçant ne se tiendront que le 18 mai prochain et le second tour le 1er juin. D’ici là, M. Duda aura tout loisir de mettre tous les bâtons possibles dans les roues de la présidence polonaise. Son absence remarquée à la cérémonie d’ouverture de la présidence polonaise le 3 janvier ou le fait qu’il continue à bloquer des nominations d’ambassadeurs – telles que celle d’Agnieszka Bartol, représentante permanente polonaise auprès de l’UE faisant fonction et chef d’orchestre de fait de la présidence – en sont les premières illustrations. En même temps, la campagne électorale, qui verra s’opposer pour l’essentiel le maire progressiste de Varsovie, Rafal Trzaskowski (PO), et l’ancien président de l’institut de la mémoire nationale Karol Nawrocki, soutenu par le PiS, devrait conduire la Pologne à une certaine retenue sur des thématiques comme la migration ou le changement climatique.

Dans la perspective de la campagne électorale à venir, Varsovie a ainsi fait savoir à la Commission qu’elle ne préférait pas avoir à négocier l’objectif climatique de l’UE pour 2040 alors que justement la Commission a l’intention de présenter cet objectif dans les cent jours, en même temps que « le Pacte industrie propre ».

La deuxième contrainte est liée à l’évolution de la situation politique dans les Etats membres de l’UE dits faucons budgétaires comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. En effet, une question essentielle pour la Pologne sera de savoir comment financer le Bouclier de l’Est [une initiative visant à sécuriser les frontières de l’UE face à la Russie et à la Biélorussie] et aussi (…) l’industrie de la Défense. Le débat s’annonce épineux, car les États membres de l’UE sont toujours divisés sur la question de savoir si la situation actuelle justifie de nouveaux emprunts conjoints, des « euro-obligations » (eurobonds), pour financer des programmes de Défense communs. Par le passé, l’Allemagne s’est particulièrement opposée (sous la conduite du ministre des finances libéral Lindner) à de nouveaux emprunts communs, mais les élections anticipées prévues pour le 23 février prochain pourraient faire évoluer sa position sur la question.

Enfin, « la fenêtre de tir » polonaise est réduite du fait qu’elle sera suivie par les présidences danoise et chypriote qui devraient s’avérer nettement moins pro-intégration européenne. Or, la Commission ne devrait présenter la proposition finale du budget européen post-2027 ou ses propositions sur l’Union des marchés de capitaux seulement pendant la présidence danoise.

Entendre Donald Tusk exhorter les Européens à redécouvrir la foi en leur propre force est une bouffée d’air frais au niveau européen. Comment ne pas apprécier son engagement en faveur de l’intégration européenne : « Faisons tout pour que l’Europe redevienne forte. (…) La Pologne est prête pour cette tâche ? »

En attendant que M. Tusk ne présente une vision « ambitieuse » pour l’Union européenne ainsi que les priorités de son pays pour les six mois à venir, le mardi 21 janvier à Strasbourg dans l’hémicycle du Parlement européen, comment ne pas reprendre à son compte la maxime latine Nec temere, nec timide (ni témérairement, ni timidement) comme un principe qui guidera la présidence polonaise du Conseil ?

Matthias Février
Matthias Février
Fonctionnaire à la Commission européenne

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