Blues européen

De 2020 à décembre dernier j’ai été speechwriter, comme on dit, de Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité. Pendant cinq ans, il m’est arrivé plus d’une fois d’avoir honte de notre impuissance et de notre lenteur à agir malgré le volontarisme personnel de Josep Borrell. Que ce soit lorsque nous nous montrions incapables de soutenir suffisamment vite et fort l’Ukraine ou lorsque nous avons laissé faire sans réagir, au-delà de condamnations purement symboliques, les multiples crimes de guerre et atteintes au droit international perpétrés à Gaza et en Cisjordanie par le gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahu. Sans parler des accords honteux passés par Ursula von der Leyen en dehors de tout débat collectif et de tout contrôle démocratique avec les dictateurs d’Egypte ou de Tunisie pour empêcher la venue de migrants.

Mais aujourd’hui, je suis sidéré, et très inquiet, du silence du nouveau leadership européen face aux agressions quotidiennes de Donald Trump et Elon Musk. Il faut dire que le Président français a choisi d’écarter de la Commission européenne Thierry Breton qui avait, au cours du mandat précédent, mené le combat pour encadrer les plateformes américaines et renforcer l’industrie européenne. Tandis que tant Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, que Kaja Kallas, la successeure de Josep Borrell à la tête de la Diplomatie européenne, ont toujours été de ferventes atlantistes qui ne jurent que par l’alliance avec les États-Unis. Or c’est à elles qu’incomberait aujourd’hui la tâche de riposter fermement en notre nom au président des États-Unis et à Elon Musk. Elles sont donc a priori complètement à contre-emploi.

On dit toujours que c’est dans les crises que l’Europe progresse. On peut cependant légitimement douter cette fois que nous disposions tant au niveau des Etats européens qu’au niveau de l’Union d’un leadership capable de faire face au défi que nous impose le trumpisme. Certes, il n’est pas forcément inadapté de choisir de faire le gros dos en attendant de voir ce que la nouvelle administration fera concrètement après le 20 janvier, notamment sur le dossier ukrainien.

J’espère sincèrement que le silence actuel des dirigeantes et dirigeants européens n’est que cela, prudence tactique provisoire, et que notamment Ursula von der Leyen et Kaja Kallas montreront rapidement leur détermination sans faille à défendre les intérêts et les valeurs européennes face à Donald Trump et Elon Musk. Ainsi que leur capacité à mobiliser les Européennes et les Européens pour construire enfin à marche forcée cette indispensable « autonomie stratégique » de l’Europe qu’elles avaient combattu jusque-là.

Après tout, le contre-emploi est une figure classique, et souvent puissante, du paysage politique. C’est le Général de Gaulle, homme de droite porté au pouvoir par les tenants de l’Algérie française, qui a eu le courage politique de donner son indépendance à ce pays et non la gauche de Guy Mollet et François Mitterrand…

Guillaume Duval
Guillaume Duval
Ancien speechwriter du HR/VP Josep Borrell

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4 Commentaires

  1. J’approuve totalement les positions fermes de l’auteur et ses critiques face à la mollesse de ceux (celles) qui nous représentent. Et partage son pessimisme. Merci à lui de mettre les pieds dans le plat.

  2. D’accord avec cette analyse, mais il faut hélas la compléter avec un élément de fond : pour diverses causes ( mondialisation des marchés et pas des valeurs humanistes, écoanxiété …) , les peuples se droitisent en se recroquevillant sur eux-mêmes. Et les dirigeants suivent plus qu’ils ne précèdent. L’histoire bégaie !

  3. Heureusement la présidence polonaise va relancer les valeurs européennes : russophobie pathologique, soumission yankeeolâtre absolue, haine totale de tout ce qui est social ou solidaire… l’UE telle que rêvée par ses pères fondateurs mandatés par la CIA et réinterpretée par ses meilleurs élèves de la nouvelle Europe. Le paradis nous attend ! Celui d’après la guerre nucléaire, bien sûr. Le seul, le vrai. Y’aura plus de honte ni de lenteur ni de regrets, juste la béatitude d’avoir eu raison des russes (et eux de nous, mais bon).

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