Le moins que l’on puisse dire est que l’Autriche revient de très loin. Il aura fallu près de cinq mois, un record dans ce pays, pour parvenir enfin à la formation d’un gouvernement. Pendant des semaines, la perspective d’un cabinet dirigé par le leader néonazi du FPO Herbert Kickl aura donné des sueurs froides à l’ensemble des démocrates sur tout le continent européen. La faute en revient, certes, à tous ceux qui ont placé l’extrême droite en tête avec 28.8% en septembre dernier, cela malgré la personnalité et les positions très inquiétantes de son leader mais également aux partis traditionnels qui, non contents de se montrer totalement incapables de contrer cette montée du fascisme dans les urnes, auront joué aux irresponsables jusqu’au dernier moment face au danger pourtant imminent. Pire encore, sans la surenchère de Kickl lors des négociations, il est probable que l’OVP aurait bel et bien accepté de gouverner avec le FPO. Le sursaut final, aussi salutaire soit-il, aura tellement tardé à venir qu’il apparait comme fragile et ressemble à une thérapie de la dernière chance sur un patient déjà atteint de métastases très inquiétantes.
Flashback : le 28 septembre 2024, le FPO arrivait en tête d’un scrutin législatif pour la première fois de son histoire. Loin de pratiquer la « dédiabolisation », son leader et candidat à la Chancellerie Herbert Kickl faisait presque passer feu Jorg Haider, la star de l’extrême droite durant les années 1990, pour un modéré. En toute logique, un cordon sanitaire s’établissait quasi immédiatement et le Président de la République, Alexander Van der Bellen, appelait le Chancelier sortant et leader d’une OVP ayant terminé en seconde position, Karl Nehammer, à négocier la formation d’une coalition de gouvernement. Naturellement, le FPO protestait et hurlait à l’injustice, mettant en avant sa pole position lors du scrutin. Mais, à partir du moment où aucun autre parti ne souhaitait se joindre à eux, la position du Président de la République était parfaitement logique et tout à fait dans l’esprit des institutions puisque visant à choisir la personne la mieux à même de parvenir à former un gouvernement. Malheureusement, les choses allaient se compliquer.
Les trois partis négociant un éventuel contrat de gouvernement – les conservateurs de l’OVP, les sociaux-démocrates du SPO et les libéraux de Neos – allaient se montrer fort peu constructifs dans leurs discussions. Naturellement, on pourrait s’essayer à distribuer les bons et les mauvais points mais, compte tenu de la gravité de la situation, aucun des dirigeants ne sortait grandi de ce blocage. Celui-ci s’expliquait par le positionnement politique durant la campagne avec un OVP ayant mené une campagne agressive sur l’immigration afin de tenter, en vain, de contrer le FPO et un SPO, sous l’égide d’Andreas Babler surnommé le Corbyn autrichien, ayant nettement radicalisé sa plateforme par rapport aux positions plus traditionnelles du SPO. Mais, étrangement, c’est du petit parti Neos qu’allait provenir la rupture, les libéraux se retirant des négociations début janvier. Dès cette annonce, la minorité de l’OVP favorable à l’ouverture de négociations avec l’extrême droite allait se montrer de plus en plus bruyante, entrainant la démission du Chancelier Karl Nehammer qui, en dépit de tous ses travers, aura au moins eu la décence de respecter sa promesse de campagne de ne jamais négocier avec Kickl.
Cinq semaines de négociations liées à des désaccords de fond
Une fois l’obstacle Nehammer disparu, l’OVP allait donc immédiatement renier sa parole et accepter l’hypothèse d’un gouvernement Kickl. C’est l’obscur Christian Stocker, devenu leader par intérim du parti, qui allait acter tambour battant le changement de ligne et ouvrir les négociations. Celles-ci allaient durer cinq semaines, laissant augurer les pires craintes, afin de finalement échouer. Force est de constater que si les désaccords de fond ont été importants, notamment en matière d’Europe et de politique étrangère, c’est bien la répartition des postes qui aura entrainé la rupture entre les deux partis, l’extrême droite s’étant montrée beaucoup trop gourmande en réclamant, en supplément du poste de Chancelier, les ministères clés des Finances et de l’Intérieur. Forts de sondages leur accordant 35% des voix en cas de nouveau scrutin, le FPO pensait faire craquer une OVP paralysée par l’idée d’une nouvelle élection. C’était sans compter sur la reprise secrète des discussions avec les sociaux-démocrates et Neos par le biais de canaux non-officiels.
Aussi, dès l’annonce de la rupture des négociations OVP/FPO, le Président Van Der Bellen chargeait une troisième personne, le leader par intérim de l’OVP Christian Stocker, de tenter à nouveau l’hypothèse du gouvernement tripartite OVP-SPO-Neos. Cette fois, les pourparlers aboutissaient en un temps record de cinq jours, démontrant si besoin était que les différends soit disant insurmontables du premier round devenaient dérisoires dans une situation d’urgence. Kickl allait rapidement dénoncer l’accord comme une coalition de perdants et il n’est pas faux de considérer que la peur d’une nouvelle élection aura joué un grand rôle dans l’aboutissement des négociations. Ceci étant dit, il est très probable que la situation ukrainienne sur fond de trahison américaine aura finalement responsabilisé in extremis les partis traditionnels : l’heure n’était définitivement pas aux expérimentations néofascistes et à un Chancelier pro Poutine.
Ce gouvernement tripartite peut-il tenir ?
La question qui importe est la suivante : ce gouvernement peut-il durer et, surtout, peut-il faire refluer la vague populiste ? Un certain nombre d’éléments n’incitent guère à l’optimisme. D’abord parce que le nouveau Chancelier sera Christian Stocker, l’homme qui avait accepté en 24 heures de négocier avec Kickl et qui, même s’il apparait finalement comme plus fin stratège qu’il n’y parait, ne dispose pas du poids politique d’un Nehammer. De son côté, le SPO est très divisé avec une rivalité grandissante entre le leader, Andreas Babler, et certaines fédérations régionales dont celle, puissante, de Vienne. Les deux partis traditionnels ne sont donc pas au mieux de leur forme et ils sont accompagnés d’un parti au comportement erratique et imprévisible, n’ayant de surcroit aucune expérience gouvernementale, et qui doit encore faire valider l’accord par ses délégués.
Il faut également noter qu’un gouvernement tripartite est une première en Autriche et on sait ce qu’il advint en Allemagne, pays à la culture politique assez proche. Néanmoins, les trois partis ont une obligation absolue de résultat, ce qui pourrait les dissuader de se montrer trop égoïstes. A la suite de l’OVP, le SPO comme Neos ont finalement accepté un tour de vis sur l’immigration notamment en suspendant le regroupement familial dans l’espoir de priver de munitions l’extrême droite. On sait que cette tactique a donné des résultats très mitigés lorsqu’elle a été tenté ailleurs en Europe. Sur l’économie, les divergences restent nombreuses. La chance de ce gouvernement est sans doute, paradoxalement, d’être d’emblée confronté à la crise ukrainienne, seul point qui rapproche véritablement les trois partis. Finalement, le seul espoir de cette coalition est de démontrer qu’elle devient le seul rempart pour conserver l’Autriche dans le camp de la liberté, de la démocratie et de l’Europe. In fine, c’est bien là dessus que tout se jouera.
L’UMPS locale…