L’Irlande vient donc d’approuver le Traité de Lisbonne par plus de 65% des voix, après l’avoir rejeté une première fois. Deux interprétations de ce scrutin fleurissent, selon la ligne de fracture qui commence à être classique : pour les ouitistes il s’agit d’un retournement de l’opinion publique irlandaise, revenue à ses fondamentaux proeuropéens dans le contexte de la crise et devant l’exemple de l’Islande. En effet, les Irlandais ont toujours fortement voté oui aux référendums européens auparavant. Pour les nonistes, on a mis la tête du peuple irlandais sous l’eau en lui expliquant que son vote non n’était pas accepté, et qu’on le ferait revoter jusqu’à ce qu’il fasse ce qu’on attend de lui, ou gare !
Ces deux interprétations couvrent à peu près le champ des réactions, alors qu’elles sont manifestement inexactes. Les Irlandais ont voté différemment parce que le texte politique proposé n’était plus le même : ils ont obtenu des clauses d’opt out. Quelles sont ces différences ?
Lors du premier référendum, eurobaromètre a réalisé un sondage sortie des urnes sur la motivation du vote.
Il en ressort que les raisons du vote non sont, dans l’ordre, les suivantes : 22%, pas une compréhension suffisante du Traité, 12%, protection de l’identité irlandaise, 6%, protéger la neutralité militaire irlandaise, 6% pas confiance dans les hommes politiques, 6 % perte du commissaire irlandais, 6% pour protéger le système fiscal irlandais, 5% pour voter contre une Europe unifiée, et ensuite dans le désordre protéger les petits Etats contre les grands, empêcher l’Europe d’intervenir d’une seule voix sur les questions mondiales, protéger l’interdiction de l’avortement et du mariage homosexuel en Irlande.
En conséquence, la conférence des chefs d’Etat a adopté une déclaration d’interprétation valant garantie, qui sera annexée à la version écrite du traité, et qui précise comment certains points du traité doivent être interprétés s’agissant de l’Irlande.
Ainsi, est réaffirmé, ce qui est absolument exact, que rien dans le Traité de Lisbonne ne concerne l’avortement ou le mariage homosexuel, que le traité ne modifie pas les compétences de l’Europe sur la fiscalité. Ils indiquent également que la participation à l’Europe de la défense est purement volontaire et ne menace pas la neutralité irlandaise. De façon informelle, la promesse du maintien du commissaire irlandais est donnée par ailleurs.
Les irlandais ont donc obtenu leur plan B.
Ils ont l’assurance de pouvoir continuer à interdire l’avortement et le mariage homosexuel. Leur neutralité exigeante, qui allait jusqu’à voir le premier ministre de Valera et le Président Hyde présenter leurs condoléances au peuple allemand pour la mort d’Adolf Hitler n’est pas remise en cause. De telles traditions méritaient effectivement protection.
Ils conservent également le pouvoir de bloquer toute harmonisation fiscale et donc de conserver la politique de dumping par les impôts qui leur a permis de nourrir leur croissance au dépends du reste des pays membres, ainsi que leur commissaire.
Un vote oui des Irlandais dans ces conditions n’est donc pas surprenant et ne doit ni à un retour à de plus saines idées, ni à un écrasement sous la botte des antidémocrates.
Mais alors pourquoi les français n’ont-ils pas su négocier leur plan B ? Tout simplement parce qu’il est aisé d’exempter les irlandais de la solidarité commune, d’un point de vue pratique. Mais les demandes du peuple français étaient inaccessibles, puisqu’il réclamait au contraire une plus grande cohésion européenne, une Europe sociale qui s’impose à tous, et, notons l’incompatibilité, l’extension à tous du droit à avorter et la fin du dumping fiscal.
Sauf manigances tchéco-britanniques, c’est la fin d’un cycle institutionnel en ce qui concerne l’Europe à 27. Pour aller plus loin, on ne pourra de longtemps reposer sur autre chose qu’un noyau d’Etats volontaires et sur la légitimité croissante du jeu politique au niveau européen.