Petite parenthèse pour débuter: imaginons en France un parlement nouvellement élu, aux majorités incertaines, débattant dans les coulisses de la possibilité d’imposer un premier ministre de son choix, des alliances envisageables, des rapports de force à décrypter. Voici qui ferait pendant plusieurs semaines l’ouverture des journaux télévisés et les premières pages des quotidiens (avec rab d’analyse dans les hebdos).
Mais comme il s’agit de luttes politiques au Parlement européen, qui d’évidence ne concerne pas les français (80% seulement de la législation après tout), soyez heureux si ce sujet vous tombe par hasard sous les yeux.
Sauvons l’Europe se dévoue donc pour vous servir une enquête sur place de notre reporter (enfin, presque sur place, Paris c’est pas très loin).
La recomposition des Groupes au Parlement
Europe-Ecologie est très renforcé par ses succès en France. Daniel Cohn-Bendit est légitimement reconduit à la tête du groupe, et cherche à répliquer cette implantation dans un maximum de pays possibles. Le groupe cherche également à grossir en attirant dans ses rangs des individualités comme le Suédois Christian Engström du « parti des pirates ».
Le suspense venait également du duel entre le PSE et l’ALDE autour du PD italien. A sa création, celui-ci réunissait en effet des élus européens des deux groupes et avait maintenu la répartition, situation délicate à prolonger. Après un soupçon de marchandage (un gros soupçon) l’heureux élu est le PSE, qui sacrifie son nom pour rendre possible le rapprochement. Exit le terme « Parti », trop intégrateur, exit la rose, une précaution de langage pour bien acter qu’on ne parle que du Parlement européen, et les anciens de la Margherita ont consenti. Bienvenue donc au groupe de « l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement Européen » (APSDPE, mais l’acronyme APSD s’est déjà imposé, que l’on raccourcit en SD), qui regroupe statutairement le PD italien (un vice-président sur les sept) et le PSE. Martin Schultz était seul candidat à reprendre la direction du PSE +.
L’ALDE centriste, qui comprend le Modem, est donc à la fois le grand perdant de la recomposition et conserve cependant son rôle de pivot capable de démarquer les deux blocs de droite et de gauche au Parlement. Le PDE, quitté par le PD italien est désormais quasi entièrement constitué des troupes rétrécies du Modem, ce qui signifie que dans l’équilibre interne du groupe ALDE, les libéraux ont nettement pris le pas sur les centristes. Cet élément ne doit pas être négligé dans le jeu de balances du Parlement européen. En remplacement de Graham Watson, c’est Guy Verhofstadt qui a été élu président du groupe à l’unanimité.
Finissons par le grand vainqueur: le groupe PPE qui sort renforcé des urnes renouvelle son président le frenchie Joseph Daul, bien connu des foules. Il enregistre par contre la défection des conservateurs britanniques, partis fonder…
ECR est le petit nouveau, qui essaie d’amalgamer tous ceux qui sont, en gros « anti-bruxelles ». Le processus de gestation est difficile car tout ce petit monde ne peut pas se piffer. Au point qu’on s’est demandé si le groupe parviendrait à réunir (ou plus précisément à conserver) les 54 députés nécessaires. Au final donc, un nouveau né à la santé préoccupante. Le résultat est assez surprenant. Ainsi, David Cameron, chef des tories anglais, tente de recentrer son parti pour lui donner une image moderne, à mille lieux du caractère sectaire de Maggie Tatcher. Mais pour faire tenir le groupe, il a fallu distribuer des postes et notamment celui de président de groupe qui ne va pas à un anglais mais à un polonais. Michal Kaminski est une caricature de ce qui constitue le reste du groupe ECR. Il a démarré sa carrière politique en entrant à « Renaissance nationale de la Pologne », dont le manifeste précise que « les juifs seront expulsés de Pologne et que leurs possessions seront confisquées », aujourd’hui guère plus qu’un rassemblement d’un millier de skinhead neo-nazis membre du front national européen. Il est ensuite membre fondateur de l’Union nationale chrétienne. Désormais assagi, il fait partie du parti polonais « droit et justice », dont un des parlementaires déclarait lors de l’élection d’Obama qu’il s’agissait d’un « désastre » et de « la fin de la civilisation de l’homme blanc ». Les élus britanniques ont déjà commencé à exercer toute l’étendue de leur capacité de flegme.
Qui à quel endroit?
Mais maintenant il faut se répartir les postes! En ligne de mire, une question centrale: le Président de la commission européenne. Se dirige-t-on vers une acceptation de la décision des Etats de reconduire Barroso et de la situation issue des urnes, ou bien vers un affrontement droite-gauche? Car de là découle tout le reste.
Le Parlement européen est depuis le départ un organe d’amendement des textes européens, mais guère plus. Il travaille à la marge des politiques européennes, et fonctionne le plus possible selon la règle du consensus. D’où la fameuse cogestion et un partage des postes. Mais si il devient le lieu de la désignation de la Commission et de la définition de son programme de travail, quid?
Très tôt, Rassmussen se retire de la course à la Commission. Dès lors, la question devient moins nette: un centriste, Barroso, ou un autre conservateur? Et sur quelle ligne? Les centristes de l’ALDE font monter la pression en désignant Guy Verhofstadt à l’unanimité. Il est évident qu’il s’agit d’un prélude à une candidature à la Commission.
Dans un premier temps, les socialistes et les conservateurs reconduisent leur partenariat, avec un accord sur une présidence tournante du parlement: En juillet, c’est Jerzy Buzek, polonais plutôt de centre droit, qui a été élu avec plus de 80% des voix. Il devrait céder sa place à Martin Schultz pour SD en février 2012. Mais pour contrer les ambitions de Verhofstadt, Barroso a laissé entendre que les conservateurs du PPE pourraient soutenir une candidature de Graham Watson pour les centristes. Ensuite Buzek lui-même a fait savoir que si SD s’opposait à la reconduction de Barroso, il ne quitterait pas son siège à l’échéance. Tout ceci explique que Shultz ne s’est pas montré précisément à la tête du combat anti-Barroso…
La désignation des responsabilités au sein des commissions (à la proportionnelle des groupes) va fidèlement refléter ce climat et virer à l’hécatombe pour les socialistes: Martin Schultz veut à la fois sauver sa présidence tournante et a fait de l’obtention de la commission écologie par un allemand (Joe Leinen) une question de principe. Symétriquement, les conservateurs sont lancés dans une furieuse entreprises de drague des centristes.
C’est ainsi que les socialistes perdent en particulier la commission des affaires économiques et monétaires, Pervenche Bérès se retrouvant aux affaires sociales. Elle est remplacée par Sharon Bowles, une libérale démocrate anglaise. Les affaires monétaires et financières sont donc confiées, en pleine crise, à une ultralibérale issue d’un pays non membre de l’Euro afin de déterminer la future réglementation des marchés financiers !!! L’ALDE obtient également le contrôle budgétaire, et les socialistes le commerce extérieur, l’agriculture , le transport et la justice. Les verts obtiennent le développement (Eva Joly) et les droits de l’homme. Les conservateurs disposent du budget (Lamassoure) et de nombreuses commissions. ECR enfin, est doté de la très importante commission du marché intérieur, mais c’est un britannique (Malcolm Harbour) qui en prend la tête et il la dirigera bien évidement en harmonie avec le PPE.