Pour évaluer sérieusement l’action de Nicolas Sarkozy, il faut oublier les préjugés. Par sa volonté et sa réactivité, il a gagné une stature internationale et ouvert de réelles opportunités. Mais pour ne pas les gâcher, l’esprit critique est nécessaire. La coordination des politiques nationales face à la crise est bienvenue, mais si on reste dans la méthode intergouvernementale, les conflits vont se multiplier. On ne pourra durablement avancer qu’en proposant de nouvelles politiques communautaires. Examinons trois sujets-phares.
Vouloir bâtir un « gouvernement économique » est parfaitement justifié à condition de préciser ce que l’on veut faire. L’absence d’une politique macroéconomique commune est une carence majeure de l’Union, qui a réduit la croissance potentielle et complique singulièrement la réactivité à la crise.
Concrètement, il y a besoin de relancer des investissements d’intérêt général européen et d’accroître ou créer des fonds pour renforcer la solidarité, car les impacts de la crise globale vont frapper de façon dissymétrique les travailleurs, les collectivités et les peuples européens. Faute de quoi, la crise peut menacer l’UEM d’implosion. Chacun sait que des problèmes majeurs de soutenabilité des dettes publiques sont devant nous, déjà les ratings des Etats commencent à être différenciés. Comment allons-nous faire ? Chacun pour soi ?
Dans un tel contexte, il serait surréaliste que la prochaine discussion du budget communautaire ne concerne que l’après- 2013, comme c’est actuellement prévu. Le gouvernement français ne dit rien sur cette question. Certes la France est très mal placée avec ses déficits, alors que d’autres ont des excédents. Mais il est temps de poser le problème et d’engager une négociation. Comme d’autres Etats, nous devons nous astreindre à être plus stricts dans notre gestion intérieure des finances publiques, mais l’Union doit prendre sa part de responsabilité et se doter de ressources propres pour contribuer à la relance et à la cohésion.
Nicolas Sarkozy a raison de vouloir que la zone euro soit dirigée – et pourquoi pas par lui jusqu’en 2010 ? -, mais toute l’Union a besoin aussi d’une capacité de politique conjoncturelle. La Commission et la présidence de l’eurogroupe devraient assumer ces responsabilités, recevant des mandats du Conseil européen après délibération et sous le contrôle du Parlement.
Vouloir transformer le capitalisme est impératif, mais avec quelle vision d’un nouvel équilibre entre l’Etat et le marché ? Beaucoup en France sont souverainistes et veulent une régulation financière mondiale : tout et son contraire. Actuellement, l’Europe reste fractionnée en matière de régulation et de supervision bancaires et financières. Pour acquérir un poids politique global, il faut confier ces deux fonctions à la Communauté. M. Sarkozy devrait le proposer.
Par ailleurs, il plaide pour des fonds souverains nationaux qui se coordonneraient. Tollé en Allemagne : si les entreprises françaises sont sous-capitalisées et si nous souffrons d’un manque de compétitivité, l’Allemagne n’est pas du tout dans cette situation. Il aurait mieux valu non pas parler de fonds nationaux ni de protection, mais de fonds européens dédiés aux investissements de long terme qui font cruellement défaut dans toute l’Europe.
Et plutôt qu’un capitalisme d’Etat, ne faut-il pas prôner un capitalisme de partenaires, avec participation sociale et salariale – un modèle rhénan que l’exception française ? Par contre, sur le front du climat et de l’environnement, c’est l’Allemagne qui est en tort. Accepter le moratoire qu’elle demande pour protéger ses industries reviendrait à casser la dynamique européenne et de négociation internationale.
Nicolas Sarkozy vise un leadership européen pour réguler la mondialisation. Il est temps : pendant de nombreuses années, la France et l’Europe ont conduit leurs politiques sans anticiper les impacts de la globalisation ou, pire, en les minorant. Encore faudra-t-il, pour espérer acquérir un poids politique suffisant, que l’Union parle d’une seule voix et au nom de tous ses membres. Il faudra donc faire fusionner les représentations nationales dans les institutions internationales, et simultanément exiger que les pays émergents y prennent toute leur place. La France y est-elle prête ?
Le président de la République ne manque pas de courage, mais en aura-t-il pour appeler les Français à une sorte d’autocritique, en revenant sur le référendum négatif de 2005, et à dire oui à un partage de souverainetés au bénéfice de nouveaux choix collectifs européens ?
Ce faisant, il serait, et nous serions, plus crédible(s) pour porter la volonté d’une refondation de la stratégie et la gouvernance de l’Union. Il y a besoin d’un acte politique communautaire de transformation du modèle économique et social européen : telle est la perspective qui ne peut être que l’affaire de tous, et non pas seulement de sommets intergouvernementaux, quelle que soit leur nécessité.
Nicolas Sarkozy doit inciter la société française à mieux identifier l’intérêt européen en développant le dialogue avec les autres peuples, et réciproquement ; si la société française se mobilise de façon constructive, alors Nicolas Sarkozy sera meilleur. Les auteurs que nous avons réunis pour notre livre collectif A la recherche de l’intérêt européen (Le Manuscrit, 25,90 euros) souhaitent que l’on relance une dynamique communautaire pour faire de l’Union un acteur politique global.
Philippe Herzog est président de Confrontations Europe.
Article paru dans l’édition du Monde du 31.10.08