L’invasion de l’Irak en 2003 par les Etats-Unis, la répression de ses minorités nationales par la Chine en 2008 et l’invasion de la Géorgie par la Russie ont au moins une caractéristique commune. Ces trois pays sont membres du Conseil de sécurité de l’ONU et, pour le dernier, membre du Conseil de l’Europe. Le pays envahi, la Géorgie, également. Et c’est une triste première.
La communauté internationale, concept juridique assez imprécis pour tout suggérer et ne rien dire, ne peut trouver là aucun motif de réconfort si l’on admet que les membres du Conseil de sécurité sont les premiers gardiens du traité des Nations unies. Leur valeur d’exemple est à terre et le pire est venu des Etats-Unis car, à la différence des deux autres, c’est une démocratie accomplie. Quand l’Amérique se parjure, les Etats voyous, grands ou petits, s’emparent de leur butin. Guantanamo est une aubaine pour eux. Et si nous avons tant critiqué les Etats-Unis dans ce bourbier inhumain qu’est l’Irak c’est que lorsqu’ils trébuchent, c’est la démocratie qui tombe. Souhaitons que les prochaines élections redonnent un pas ferme à ce pays.
Les contempteurs du « droit-de-l’hommisme », néologisme venu des soutes de la nouvelle droite, formule qui pour ses utilisateurs englobe des ONG hystériques ou des professeurs chiffonnés, n’ont, en attendant, guère de souci à se faire. Ils peuvent ricaner : le principe de réalité est en pleine forme. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Les ralliements opportunistes aux traités, la cécité ou la pusillanimité des démocraties ont peu à peu transformé des principes de droit puissants et actifs, sortis pour l’essentiel des charniers de la seconde guerre mondiale, en paravent commode pour tyrannies en quête d’honorabilité.
Cassin affirmait que tant que les droits de l’homme seraient maltraités il n’y aurait pas de paix dans un seul coin de la planète. Il liait les droits de l’homme, ceux des peuples, la paix, la guerre. Pour lui c’était un tout. C’est d’ailleurs le sens du préambule de la Déclaration des droits de l’homme des Nations unies de 1948. » Battre sa femme, c’est un autre jour tuer son voisin « , dit le proverbe. Il y a une continuité entre la violence domestique et l’agression des autres. C’est vrai pour les Etats comme pour les personnes.
Il faut reprendre une nouvelle pratique des droits de l’homme, plus exigeante, plus concrète et plus efficace. L’Europe, et d’abord la France et la Grande-Bretagne, membres permanents du Conseil, devaient élever le débat, au nom de l’Union européenne, sur une réforme du statut des membres du Conseil de sécurité de l’ONU à l’aube de l’adhésion de nouveaux membres.
Tout membre du Conseil qui ne soumettrait pas un litige relatif à une question de souveraineté territoriale et le réglerait unilatéralement par l’emploi de moyens militaires serait de jure suspendu du Conseil. La Cour internationale de justice verrait sa compétence accrue et serait seule apte à le trancher.
FOYER MISSIONNAIRE
De nombreux Etats, notamment d’Afrique, y recourent déjà. Mais cette solution arbitrale de la Cour n’est que facultative. Elle doit devenir la règle pour les Etats membres du Conseil. A haut niveau de responsabilité, haut niveau de devoirs. Sinon le droit de veto continuera à être un laissez-passer aux exactions, un viatique d’impunité. Un rêve ? C’est ce que les cyniques opposaient à Briand. On découvrit trop tard qu’ils étaient experts en cauchemar.
Chaque ministre européen en visite dans un pays signalé devrait rituellement poser la question et réclamer des informations sur le sort des prisonniers d’opinion. Pas seulement aux autorités à qui il incombe de répondre en premier mais aussi aux organisations civiles, sociales et professionnelles. Il devrait se constituer, peut-être sous les auspices du commissaire européen aux droits de l’homme, un secrétariat chargé de compiler le bilan de ces visites. Il y a 27 Etats membres qui composent l’Union. Imaginons que chaque ministre de chaque Etat accorde une heure de son temps aux droits de personnes persécutées lors de ses déplacements. Voilà un vrai bouclier pour les démocrates menacés et persécutés et des marges de manoeuvre réduites pour les Etats liberticides.
Le traité de l’OMC conditionne l’entrée de membres à la signature et à la ratification du pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU de 1966. C’est parfait mais que le traité de l’OMC aille plus loin. Qu’il fasse un véritable travail de vérification des engagements pris pour démasquer les signatures opportunistes. Doutons qu’une justice indépendante en matière de commerce voit le jour là ou l’on torture dans des caves. C’est un tout et l’OMC gagnerait en estime.
Enfin, la confection des traités eux-mêmes devrait associer les sociétés à leur processus. La très récente initiative de l’Union pour la Méditerranée fait côtoyer d’authentiques démocrates avec des personnalités qui n’ont rien à voir dans le champ des droits de l’homme, sinon qu’elles y braconnent. M. Kadhafi a eu le bon goût de décliner.
On dira que ce traité ne concerne pas les personnes, que l’on mélange tout et que l’on va tout faire échouer. Ah bon, mais alors il sert à quoi ? Rien n’empêche qu’un sommet régulier des sociétés civiles des Etats signataires se réunisse pour contribuer à faire vivre le traité, l’enrichir et veiller au respect de ses clauses. Les organisations professionnelles, les universités, les ONG, les chambres de commerce, les syndicats auraient leur mot à dire. Les sommets mondiaux sur le sida ou l’Internet en sont des illustrations. On y entendrait des choses désagréables ? Tant mieux. Ce serait le signe d’un véritable échange.
Dernière objection, je la pressens. Pourquoi l’Europe serait-elle le foyer missionnaire de cette entreprise car elle n’est pas parfaite ? Loin de là en effet, nos centres de rétention seront un jour des camps, et j’entends même les catholiques italiens du centre-droit s’inquiéter d’un risque de résurgence du fascisme dans leur pays.
Je dirais d’abord parce que la guerre aux portes de l’Europe rend cette réaffirmation volontaire et sans concession des droits de l’homme comme un objectif géopolitique indispensable. Ensuite, plus prosaïquement, parce que s’intéresser aux droits de l’homme chez les autres, c’est un des plus sûrs moyens de les prendre au sérieux chez nous. A force de s’agenouiller on finit par croire, disait Pascal. Pour les droits de l’homme relevons-nous. Il est plus que temps.
Jean-Pierre Mignard
Avocat à la cour
Secrétaire national de Sauvons l’Europe