L’échec du référendum en Irlande, après celui organisé en France et aux Pays-bas en 2005, n’est pas une condamnation du projet européen en tant que tel, ni de son organisation institutionnelle forcément compliquée, mais il est clairement une critique de son mauvais fonctionnement vis à vis des citoyens et de l’incapacité des dirigeants européens à apporter une réponse à la hauteur des enjeux vis à vis des maux de notre société au début du XXI ème siécle.
En un mot comme en cent, nous ne répondons pas à l’objectif fixé dans l’article 3 du Traité, à savoir l’ objectif « d’assurer le bien-être des peuples », indépendamment des modalités et procédures pour y parvenir.
Il y a donc le texte et le contexte que nous devons prendre en compte: même si la croissance européenne reste positive, même si le chomage recule globalement dans l’ensemble de l’UE, il y a un sentiment de perte de confiance dans l’avenir, accentué par les déséquilibres de plus ne plus grand sur un marché largement mondialisé mais où les décisions prises à Washington, New-York, Pékin, Moscou, Genève, Londres, Francfort ….. affectent clairement le niveau de vie des citoyens au niveau local.
Comment mobiliser les citoyens sur des sujets « institutionnels » lorsque les prix des services de base tels que ceux du logement, de l’énergie et des denrées alimentaires flambent jours après jours sans que personne ne puisse dire quand cela va s’arréter, et comment y faire face ?
Il y a donc un décalage flagrant entre les attentes des populations et les propositions des dirigeants, avec d’un côté des préoccupations de court terme et de l’autre des propositions à l’horizon de 2020, même si les deux ne sont pas totalement incompatibles !
Le contexte politique et économique (et ce depuis presque 15 ans, c’est à dire depuis l’époque Delors et la mobilisation pour la mise en place du marché intérieur), ne se prête plus à des grandes manoeuvres institutionnelles qui sont perçues par les citoyens , à tort ou à raison d’ailleurs , comme des « astuces » de la classe dirigeante à Bruxelles, mais aussi dans les capitales européennes, pour imposer un modèle de société dont les européens ne veulent pas dans leur très grande majorité. La dynamique de la construction européenne s’est inversée !
En effet, de nombreux choix politiques, économiques sont opérés au niveau communautaire, avec l’assentiment bien sûr des Etats-membres, souvent sur de bonnes bases, mais aussi pour contourner les oppositions nationales. Dans ce cas le « déficit démocratique » ne vient pas des modalités de décision au niveau communautaire, mais du fait que les Etats membres se dispensent dans le meilleur des cas d’expliquer leurs choix, et dans le pire se défaussent sur Bruxelles quand les choses sont mal perçues par leur opinion publique. Il serait nettement préférable que lors de leur choix initial avant toute décision à Bruxelles, les autorités nationales travaillent en amont sur la meilleure façon d’accompagner, grâce à des mesures d’ajustement au niveau national, les conséquences des choix faits au niveau communautaire .
C’est ainsi que des choix fondamentaux tels que les derniers élargissements, la mise en place de l’euro et de la Banque centrale européenne, la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne …… auraient mérité la mise en place de mesures d’accompagnement plus explicites au niveau régional et national.
La « lisbonisation » des Fonds structurels, de la PAC, du 7ème programme cadre de recherche vont dans ce sens au niveau communautaire et ce depuis la programmation 2007/2013, via notamment une plus grande coordination entre les différentes Directions générales en charge de la mise en oeuvre de ces politiques. Mais cela n’est pas encore le cas au niveau des Etats-membres; ces derniers devraient explicitement intégrés les budgets européens dans leur stratégies et politiques régionales et nationales, avec une information et une communication systématiques vis à vis de leurs populations.
L’adhésion des citoyens à des politiques publiques quelles qu’elles soient, ne va jamais de soi; elle nécessite la rencontre de la volonté populaire et de l’expertise des classes dirigeantes, la conjonction d’une approche « top-down et bottom-up » comme l’on dit à Bruxelles. C’est ce que nous avons connu en France et dans d’autres pays européens lors des « 30 glorieuses » qui ont permis une croissance soutenue au bénéfice du plus grand nombre accompagnée d’évolutions sociétales majeures.
Cette dynamique prévalait lors de l’achèvement du marché intérieur dans les années 1985-1995; désormais il convient de regagner la confiance d’une majorité de nos concitoyens sur une problématique similaire mais qui intègre les niveaux régionaux, nationaux et européens, tout simplement parce que on ne fonctionne pas de la même façon dans une Union Européenne à 27 et dans une Communauté à 12. L’élargissement rapide et nécessaire de l’UE, mais sans moyens budgétaires supplémentaires a laissé accroire l’idée que l’on passait d’une « harmonisation par le haut » à un « nivellement par le bas »; il est désormais difficile de remonter la pente !
Aujourd’hui il y a au néanmoins une bonne nouvelle, c’est que le calendrier politique est favorable à des initiatives pour fixer une nouvelle stratégie d’intégration des 3 niveaux décisionnels – régionaux, nationaux et européens – à la veille du renouvellement du Parlement Européen, de la Commission européenne et de la désignation des nouvelles personnalités telles que prévues par le nouveau Traité ( présidence du Conseil et Haut Représentant pour les Affaires étrangères), pour autant que les partis politiques d’un côté, et les citoyens de l’autre, se mobilisent pour ce faire.
Pour sortir de la crise actuelle il conviendrait en effet de définir une stratégie européenne avec une dimension marché intérieur et une dimension internationale, (certains parlent déjà d’une nouvelle stratégie « Lisbonne plus ») pour les 5 ans à venir (2009/2014), fondée sur des choix politiques clairs et avec une imbrication plus forte des différents niveaux décisionnels sur base d’un partenariat renouvelé, avec comme point de départ institutionnel la mise en oeuvre du traité de Lisbonne (dont nous savons tous qu’il ne sera pas renégocié en profondeur).
Les principales formations politiques représentées au parlement Européen pour les élections européennes de 2009 auront la lourde responsabilité de faire des offres politiques à la hauteur des enjeux compte tenu du contexte international actuel et des défis qui sont devant nous, tant sur le plan démographique, qu’économique et climatique, afin que les citoyens puissent se prononcer sur ce qu’ils veulent faire de leur « maison commune européenne ».
Cela nécessite bien sûr que ces mêmes citoyens puissent se prononcer d’une part sur le contenu des politiques à mettre en oeuvre pendant cette mandature, mais aussi sur les moyens budgétaires appropriés pour y parvenir; il est clair que sur ce dernier point il existe peu de marges de manœuvre, puisque les budgets sont bouclés dans le cadre de la programmation budgétaire 2007-2013. A tout le moins une parfaite transparence des budgets alloués aux différents niveaux -régionaux, nationaux et européens- apparaît indispensable.
Cela n’empêche pas de préparer l’avenir; il serait souhaitable à terme de considérer les économies d’échelle budgétaires à dégager grâce à une « mutualisation » des principales politiques européennes, une plus grande coordination et efficacité dans leur mise en oeuvre, sur base en particulier d’un partenariat plus affirmé en amont avec les Etats membres et les régions.
J’ai la faiblesse de considérer que si tout ceci était mis en oeuvre, le problème des échecs à tel ou tel référendum ne serait plus qu’un lointain souvenir.
Vive l’Europe et vive les Européens,