Les parlementaires français viennent de ratifier le traité de Lisbonne ; ils ont eu raison. Cela se fait en catimini, comme si l’enjeu était de tourner la page du referendum ; c’est une erreur.
Ce traité de Lisbonne va permettre à l’Europe de mieux fonctionner. Le rôle du Parlement européen est renforcé ; les questions nécessitant l’unanimité demeurent, mais leur nombre est réduit ; la présidence du Conseil européen gagnera en stabilité. Bref, la plupart des dispositions institutionnelles du projet de Constitution sont reprises, et cela est mieux que le calamiteux traité de Nice mis au point sous la précédente présidence française. Il fallait donc ratifier ce nouveau traité.
Mais le traité de Lisbonne est en recul politique grave par rapport au projet de Constitution : les symboles (drapeau, hymne, devise, journée de l’Europe ) ne sont plus mentionnés et l’Euro voit son statut diminué. Il en est de même pour les affaires étrangères où le titre de « ministre » est refusé à son principal acteur qui devra se contenter de celui de « haut représentant ». La charte des droits fondamentaux n’est plus intégrée ; elle est seulement mentionnée et son caractère contraignant n’est pas totalement établi. La primauté du droit européen n’apparaît plus aussi clairement. Tout cela va limiter l’efficacité de l’effort commun. Plus grave, l’abandon du terme même de Constitution fait disparaître la plus claire manifestation du caractère démocratique de l’Union.
En France, lors du débat référendaire, peu d’opposants au projet de Constitution avaient osé formuler des objections sur ces points politiques. Le mouvement syndical européen avait bien mesuré les avancées du projet de Constitution et – à une très forte majorité – il s’était prononcé en sa faveur. De même, une majorité des Etats, représentant la grande majorité des citoyens, l’avaient ratifié. La frilosité des gouvernements, traumatisés par les refus français et néerlandais, les a conduits à méconnaître la voix de la majorité et à préparer ce nouveau traité limité et peu ambitieux.
Ce traité de Lisbonne n’est ni simplifié, ni mini. Il reste aussi compliqué que le traité de Nice, et bien moins clair que le projet de Constitution. Evidemment, la troisième partie du projet de Constitution (la reprise des anciens traités) demeure, avec les accents libéraux dénoncés à juste titre par beaucoup.
L’Europe, ce n’est pas la France agrandie. L’union dans la diversité est difficile à comprendre pour le jacobinisme français. Le moteur de l’Europe ne peut être le plus petit dénominateur commun des égoïsmes nationaux !
Maintenant, il ne s’agit pas de tourner la page. Si nous voulons une Europe plus sociale, une Europe qui contribue à la paix et au développement, qui joue son rôle essentiel pour maîtriser la mondialisation nous avons besoin d’une Europe plus efficace et plus forte. Or le progrès sera certes favorisé par la taille du marché européen, par la qualité du système social, par le niveau du P.I.B., par la compétitivité des entreprises, etc. Mais la crédibilité de l’Union est tout autant indispensable. Pour cela, nous avons besoin des symboles significatifs de notre identité européenne, et d’un engagement de tous pour bâtir une Union plus démocratique, plus proche des citoyens. Il serait irréaliste de croire que nous pourrons surmonter les difficultés que nous connaissons (depuis les inquiétudes générées par le taux de change de l’Euro jusqu’à celles d’Airbus) sans politiques économiques et sociales plus cohérentes et sans budget européen plus ambitieux, ce qui suppose une crédibilité politique renforcée.
L’Europe le peut, si elle en a la volonté politique. Maintenant, dans un monde globalisé, l’Europe n’est pas le problème, elle est la solution. Puissent les responsables politiques voir plus loin que les prochaines élections et assumer leurs responsabilités ; puissent les citoyens européens prendre leur place dans une démocratie plus vivante qui permette de surmonter les barrières nationales. L’Europe a besoin d’une identité politique plus affirmée. Nous avons besoin d’une Constitution pour l’Europe.
Michel Rousselot,
ancien président du Conseil des cadres européens – EUROCADRES