La fondation Jean-Jaurès vient de publier un exercice de dialogue franco-allemand entre deux spécialistes parlementaires des finances publiques en France et en Allemagne, Jérôme Cahuzac et Joachim Poss. Nous nous attacherons un instant à l’intervention de ce dernier, qui semble très emblématique de l’état de la réflexion chez nos voisins germains.
Souhaitant dédramatiser la situation, il rappelle que l’Euro n’est pas l’Europe, et que la disparition de l’un ne tuerait pas l’autre. Il indique que les divergences d’approche entre les Etats membres sont la norme plutôt que l’exception et donc que, si l’atmosphère est un peu lourde, en somme les institutions fonctionnent normalement. Il réduit ensuite la crise à un problème de dette publique de « quelques pays membres » qui ne peuvent plus aller sur les marchés financiers, trop indépendants depuis leur libéralisation. Mais l’accroissement des interdépendances conduit à un risque de contagion, il faudrait donc limiter les risques locaux. Le placement de ses emprunts sur les marchés ne serait plus acquis pour aucun Etat, y compris les USA et nous entrons dans une ère de relations nouvelles.
Il n’y a pas en Allemagne d’unité de vue sur le sujet, ni chez les conservateurs, ni chez les libéraux, ni d’ailleurs chez les socialistes, mais la majorité de la population est très hostile à un accroissement de l’aide aux pays sous pression, qui devra pourtant intervenir.
Enfin, en deux pages il présente les mesures communes PS / SPD: réduire des deux côtés les différences structurelles qui alimentent un déséquilibre de la balance des paiements, coordonner les politiques économiques et s’attaquer aux abus des marchés financiers.
Ceci appelle plusieurs remarques. La première est qu’il est difficile de se satisfaire d’un « c’est comme d’habitude » pour décrire la paralysie des institutions européennes. L’habitude n’est pas nécessairement une situation normale, et en situation de crise elle devient une anomalie. L’incapacité de l’Europe à agir est une des causes majeures de la nervosité des marchés. Indépendamment de la pression mise par des spéculateurs, la montée des taux d’intérêts s’explique largement par le fait que les marchés considèrent que la crise est évitable, qu’ils ont longtemps cru que l’Europe prendrait les mesures permettant de l’éviter, et que devant le spectacle difficile offert par nos gouvernants ils commencent à être pris de doute. La question du saut fédéral se pose bien, et il faut craindre qu’un consensus entre néolibéraux ne lui apporte qu’une réponse technocratique et non pas démocratique.
Cette crise n’est pas une crise de la dette publique. Hors la Grèce, qui est un cas pathologique et un minuscule bout d’Europe, les Etats en difficulté avaient des finances publiques saines avant la crise, parmi les plus saines d’Europe et bien d’avantage que l’Allemagne. Mais une dette privée importante s’est constituée, et quand une crise frappe l’Etat finit toujours par assumer collectivement les dettes que le privé ne peut plus assumer, sous peine de paralyser totalement la machine économique. Ce n’est pas seulement « les abus de la finance » qu’il faut réguler, mais bien repérer les causes et les mécanismes de la dette privée.
Cette crise n’est pas celle « d’un coin de l’Europe » qui s’étendrait au reste à cause des interdépendances. L’Europe est moins ouverte sur le monde que sur elle-même, et le gonflement de l’endettement d’une partie provient largement d’une relation économique – commerciale – déficitaire avec une autre partie. La question de la politique symétrique de l’Allemagne, par exemple, est au coeur de la gestion de la zone Euro et pas un élément qui arrive en fin d’analyse. C’est notamment la baisse des coûts salariaux relatifs allemands qui est une des cause des dettes publiques des PIIGS, grâce à l’émigration de 10% de la population active d’Allemagne de l’Est vers l’Allemagne de l’Ouest. Que pensent de cette situation tous les jeunes Allemands à « 1 euro job »?
Une chose reste vraie: faire payer par les enfants et petits enfants le train de vie d’une nation a pu paraitre quasi inoffensif quand la dette touchait essentiellement les Etats Unis, mais la perception n’est plus du tout la même quand elle se généralise et augmente partout. Bien sûr, celle de la Grèce pose essentiellement un problème de principe, puisqu’il était acquis que les sommes en jeu ne mettent pas en péril l’économie européenne. Cependant, on demande à la Grèce de réformer tout le système d’organisation de son économie, de sa société, de son administration, en particulier celle fiscale, car sans cela elle stagnera dans ses problèmes et ne retrouvera pas une santé économique à la hauteur des espoirs de ses habitants et des autres européens. C’est un exercice très difficile qu’il faut qu’elle fasse, qui ne peut se résoudre avec seulement des injections d’argent, c’est un exercice que nous devons faire nous aussi, même si notre situation est moins périlleuse pour l’instant.
Bien sûr, la baisse du coût du travail en Allemagne a pu changer la donne générale, mais prétendre que c’est la raison de toutes les difficultés semble exagéré. L’Irlande et l’Espagne se sont lancées dans des investissements non raisonnables car la perpective de gains financiers rapides a obscurci la perception de la réalité de la demande.
Merci pour cet article. Mais, à mes yeux, cette crise ne touche ni « un minuscule bout d’Europe » ni « un coin de l’Europe » : elle exprime le manque de conscience européenne, l’absence d’identité commune, plus exactement l’indifférence au projet politique, voire à la liberté, qui gagnent de proche en proche les citoyens européens.
Or, si elle est atteinte en son berceau qu’est la Grèce, l’Europe doit se rétablir sur son principe même : sur un symbole moteur, fondateur et novateur, inscrit dans son nom grec depuis trois millénaires et dans la figure d’Europe. Car celle-ci fut certes enlevée par une force mythique à sa terre orientale, à sa désignation crépusculaire; mais elle fit lever réellement sur le premier rivage grec toute la civilisation occidentale, sous la force de deux moyens de communication révolutionnaires venus comme elle de Phénicie (les techniques nautiques ainsi que l’art alphabétique) et de son appellation perçue à partir de la Crète comme Vaste-Vue. L’énergie fédératrice et créatrice de l’Europe qui fit naître la démocratie, qui demeure à l’oeuvre en elle depuis des siècles, à travers guerres, tempêtes et crises, est donc toujours plus disposée à se révéler aux citoyens européens et à les réveiller d’urgence, tous et chacun !