Les négociations sur les perspectives financières devant fixer le cadre du budget de l’Union Européenne pour les années 2014-2020 s’annoncent périlleuses. Quoiqu’indépendantes de celles couvrant la rectification du budget 2012 et le projet de budget 2013, qui n’ont toujours pas trouvé d’issue, les positions tranchées et incompatibles affichées par les protagonistes, relatives aux propositions qu’elles émanent de la Commission, du Président de l’Union ou de la présidence Chypriote, constituent un très mauvais présage. Cependant, les différences en valeur absolue représentent des montants relativement limités et certainement dérisoires par rapport à la somme totale des dépenses publiques des 27 pays Membres, d’autant plus qu’ils comptabilisent tous leurs contributions en « dépenses » mais omettent d’inscrire les « retours » en recettes.
Le vrai problème n’est pas de trouver un compromis à l’intérieur des paramètres avancés qui permettrait à tel Chef d’Etat ou de Gouvernement de clamer « victoire » et de recueillir l’approbation de son opinion publique nationale ou à tel autre de se vanter d’avoir préservé l’unité des Pays Membres.
Le drame est le manque total d’ambition et de vision des négociateurs ! En effet, il est dores et déjà clair que même si le projet le plus ambitieux (celui de la Commission, déjà en retrait des propositions du Parlement Européen) devait être adopté, le cadre budgétaire pour les 7 années à venir serait privé des ressources élémentaires nécessaires pour financer toute avancée significative en matière de politiques communautaires devant servir à relancer la croissance et favoriser l’emploi.
Prendre en otage le budget européen au motif que la crise impose l’austérité à tous les Pays Membres est hypocrite car cela empêche de mettre en œuvre progressivement la solidarité que tous réclament mais qu’aucun ne veut financer ! In fine, peu me chaut que ce soit l’exigence des Britanniques de geler le budget au niveau de 2011 ou la proposition de la Commission marginalement plus ambitieuse qui l’emporte ; dans tous les cas le résultat sera totalement en deçà des besoins.
S’engager en pleine crise dans un exercice qui fixe un carcan budgétaire rigide jusqu’en 2020 risque d’asphyxier le processus d’intégration et ôter tout espoir au citoyen de trouver dans l’Union une réponse crédible, ne fusse que partielle, aux défis politiques, économiques et sociaux posés par un monde en mutation profonde. Le résultat inévitable sera de renforcer le nationalisme et le protectionnisme, annonciateurs de la fin inexorable de cette magnifique aventure qui a si bien servi l’Europe depuis 1945.
Même si cela paraît utopique, le Conseil Européen devrait, plutôt que de perdre son temps à la recherche d’un mauvais compromis, se limiter pour l’instant à l’adoption de budgets annuels (et d’abord celui de 2013) et réfléchir à complètement redéfinir le cadre budgétaire de l’Union sur le long terme, lequel devrait être intégré dans un nouveau Traité. Ceci implique de doter l’Union de suffisamment de « ressources propres » pouvant servir de socle à une importante capacité d’emprunt autonome, encore largement sous utilisée.
Poursuivant l’utopie, l’Union pourrait se fixer comme objectif d’atteindre en 20 ans un budget égal à 20% du PNB en l’augmentant chaque année de 1% de celui-ci. Le financement pourrait être réparti entre, d’une part, des nouveaux prélèvements « européens », par exemple 0,01% sur les factures d’électricité et de communications (facile à collecter étant le nombre limité des pourvoyeurs) et d’autre part, des contributions des Pays Membres dans la mesure où le budget européen se substituerait à des dépenses nationales (défense – affaires étrangères – recherche et développement – éducation, etc.).
Une telle perspective sur le moyen et long terme dégagerait des marges d’intervention très considérables ; elle redonnerait vigueur et donc de espoir au projet européen tout en donnant le temps au temps pour une mise en œuvre progressive. Cette initiative pourrait se fondre dans les propositions faites en septembre dernier par l’Institut Thomas More (Le fédéralisme … c’est maintenant !) prévoyant une Union à deux vitesses où les Membres de la Fédération souscriraient à l’ensemble de l’acquis alors que les Membres de l’Union seule rapatrieraient les compétences budgétaires et perdraient leur voix au chapitre, tout en pouvant participer « à la carte » aux politiques communautaires.
Voilà un débat de fond qui mérite d’être entamé plutôt que de se laisser enfermer dans les mesquineries d’une négociation de « marchands de tapis » dont l’issue ne peut que décevoir. Le spectacle de désunion qui serait donné par une incapacité d’arriver à un accord sur le budget serait aussi de nature à mettre en doute la capacité de l’UE d’avancer sur les autres dossiers brulants tels que celui de l’Union bancaire ; alors il n’y aura pas lieu de s’étonner si les marchés réagissent avec nervosité à un tel déballage d’incohérences.
Bruxelles, le 21 novembre 2012
Paul N. Goldschmidt
Directeur, Commission Européenne (e.r.) ; Membre du Comité Consultatif de l’Institut Thomas More.
Vous avez entièrement raison. Quand les yeux de ceux qui nous gouvernent se dessilleront-ils ? Il ne s’agit plus aujourd-hui de sauvegarder le dérisoire budget communautaire actuel, mais de mettre en place un budget digne d’une véritable union et permmettant de relancerl’activité économique en Europe et la sortir de la crise. Quel chef d’Etat osera le dire ?
IL SERAIT EFFECTIVEMENT TENTANT POUR LE PE DE REJETER LE COMPROMIS A MINIMA QUI SORTIRA (?) DU CONSEIL EUROPÉEN.
CELA ENTRAINERAIT TOUTEFOIS, AU MOINS POUR LE BUDGET 2013, LA RECONDUCTION DU « CADRE » 2012.
UNE TELLE CRISE SERAIT PEUT-ÊTRE L’OCCASION POUR LE PE DE DEMANDER LA MODIFICATION DES RÈGLES D EXCEPTION (ART. 312 TFUE) QUI GOUVERNENT L’ADOPTION DU CFP : UNANIMITÉ DU CONSEIL ET SIMPLE POUVOIR DE VETO DU PE (PAS DE CO-DÉCISION COMME SUR LE BUDGET ANNUEL) .
IL POURRAIT ÉGALEMENT DEMANDER LA MODIFICATION DES AUTRES RÈGLES D’EXCEPTION (ART. 311 TFUE) GOUVERNANT LES RESSOURCES PROPRES : UNANIMITÉ DU CONSEIL ET SIMPLE CONSULTATION DU PE.
JEAN-GUY GIRAUD
Je suis favorable à une fiscalité propre de l’UE et ou de la zone euro, en fonctions des pays qui en seraient d’accord, mais pas à celles proposées en cet article, qui pèseraient sur les consommateurs d’électricité, dont les prix sont déjà en hausse et de télécommunications.
Par contre je verrais bien que la taxe sur les transactions financières lui soit affectée, ainsi qu’une taxe carbone, qui nous aiderait à aller dans le sens des engagements pris en ce domaine par l’Europe!
Très bon article. Le vrai enjeu n’est autre que « plus d’Europe, ou moins d’Europe ».
Un enjeu que pratiquement s’est transformée en « plus d’Europe ou pas d’Europe du tout ».
Car, en temps de crise économique, politique et sociale, qui frappe certaines sociétés européennes de pleine fouet, ou bien le projet européen montrera sa capacité de parapluie et de moteur de relance, ce qui, malheureusement, n’a pas été jusqu’à présent, ou bien il ecroulera sous le poids des forces centrifuges des nationalismes et des préjugés culturels.
Et, hélàs, force est de constater que, partout en Europe, les nationalismes, qu’il soit économique comme en Alemagne, aux Pays Bas ou en Finland, politique comme en Hongrie et en Grèce ou secéssioniste comme en Italie du Nord et en Catalogne, prend rapidement le dessus.
Face à cette situation il est necéssaire élaborer d’urgence une Déclaration pour une nouvelle Union Européenne, fédérale, démocratique et avant tout sociale. Je ne sais pas si on a des chances à inverser le spiral de la décomposition européenne, mais au bout du compte, les seules batailles perdues sont celles qu’on n’a pas donnés.