Une jeunesse Européenne

La lecture à laquelle nous convie Guillaume Klossa nous mène en dehors des sentiers battus. Il ne s’agit ni d’un retour sur 5.000 – ou cent ans – d’histoire européenne, ni de la recette des institutions parfaites avec les doses des ingrédients et le temps de cuisson au four.

Ecrit d’un trait de plume, ce récit nous plonge dans les interrogations et les souvenirs d’un européen de son temps, c’est à dire du nôtre. Un enfant né dans l’Europe en train de se faire, parvenant à l’âge de citoyen quand s’effondre le mur de Berlin, un jeune père inquiet de ses responsabilités dans la tourmente actuelle. Ces émotions, ces amertumes, nous les connaissons parce que ce sont les nôtres. C’est celles de notre génération, née dans les années 70 et qui a compris que notre monde, celui dans lequel nous allions vivre, naissait avec la réunification de l’Europe de l’Est.

Ce court écrit, très personnel, est paradoxalement celui de notre génération européenne. Il dit nos attentes. Il dit les occasions manquées. Il dit notre volonté que les problèmes soient reconnus et affrontés ensemble, car l’Europe n’est pas autre chose. C’est un livre où la génération qui vient se reconnaîtra, et où les autres apprendront à la connaître et retrouveront un autre point de vue sur ces événements partagés.

 

On sent à lire votre récit de la colère contre les générations précédentes, qui se sont laissé vivre à crédit et sans adapter notre pays aux chocs que notre génération allait affronter…un peu à la manière dont Stefan Zweig exprimait dans « le Monde d’hier » la sienne à l’égard des générations qui ont laissé arriver la guerre de 1914 ?

KlossaMon livre revient plus généralement sur les temps forts qui ont marqué les quarante dernières années et qui font partie du vécu et de la mémoire de toutes les générations. Ils sont au cœur de notre identité d’Européens sans que nous en ayons toujours pleinement conscience : la crise des années 1970, la généralisation du petit écran via le service public audiovisuel, l’arrivée du Sida, la chute du mur de Berlin…j’évoque aussi la série « Il était une fois l’homme » qi a marqué des générations d’Européens ou encore des musiques et des œuvres partagées par tous.

Mais il y a en effet un passage de mon récit où je raconte, à travers un dialogue avec Maria Joao Rodrigues qui a organisé le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement de 2000 sur la stratégie de Lisbonne, comment nos dirigeants savaient au moins depuis le début du millénaire que la décennie 2010-2020 serait une période de vaches maigres avec un fort risque de crise. Dès 2000, ils savaient que les perspectives de croissance seraient à partir de 2010 très faibles en raison d’un vieillissement accéléré et d’un essoufflement de notre capacité d’innovation et cela indépendamment de la crise financière qui a commencé en 2007 et nous vient des Etats-Unis. Les dirigeants nordiques et allemands ont dès le début du siècle préparé leurs pays à cette nouvelle donne, les nôtres n’ont pas fait grand chose. C’est moins de la colère que de la déception que j’exprime à l’égard de cette génération de dirigeants qui est toujours aux responsabilités en France. On peut lire mon livre comme un appel au réveil des consciences individuelles et collectives et au sursaut intergénérationnel. Je refuse le fatalisme du déclin européen et la fin du progrès et de l’esprit européen que beaucoup de commentateurs annoncent. J’engage par ailleurs la génération à laquelle j’appartiens et qui commence à arrive au pouvoir politique, économique et intellectuel à s’engager résolument pour inventer un avenir à ce continent. Le fait que de plus en plus de jeunes français mais aussi allemands ou anglais migrent en dehors d’Europe est un signal d’urgence qu’on ne peut négliger.

 

Vous présentez Erasmus comme le successeur du « grand tour ». Plus accessible que son grand aîné, il en garde néanmoins une forte dimension élitiste. Croyez-vous possible, à terme, d’en faire un programme ouvert à tout jeune européen?

Cette référence au « grand tour » est née d’un échange à Athènes en juillet dernier avec le romancier Christophe Ono dit Bio. Nous réfléchissions à ce qui faisait de nous des Européens et l’idée du voyage initiatique visant à permettre à un jeune homme et une jeune femme de partir loin de chez lui pour se construire indépendamment du monde qui lui a donné naissance puis revenir avec des idées neuves est au cœur de notre culture. C’est un élément clé de la construction de l’esprit critique et de la capacité d’adaptation des individus. Concernant Erasmus, il est possible d’en faire un programme ouvert à tous, c’est le combat que j’ai initié quand j’étais conseiller de Jean-Pierre Jouyet pendant la présidence française de l’Union européenne. Il faudrait à mon sens développer un Erasmus des écoliers européens. C’est une affaire de quelques milliards d’Euros. Des études ont montré que quelques jours à l’étranger pour un jeune (entre 8 et 12 ans) en dehors de son univers familier avaient un impact durable sur son ouverture au monde et son intérêt pour l’autre. A mon sens, cet Erasmus des écoliers est le seul moyen de faire que la jeunesse européenne se réapproprie émotionnellement l’Europe.

 

Selon vous, nous n’avons pas fait l’effort historique d’accueil des Européens de l’Est. Pensez-vous que cette question reste valide? Au-delà du marché, l’Europe est-elle une force pour les libertés publiques, la lutte contre la corruption?

 

Nous allons bientôt célébrer les vingt cinq ans de la chute du mur. J’étais à Prague au début des années 1990, l’aspiration des jeunes dits « de l’Est » était d’être des Européens comme les autres, c’est d’ailleurs celle aujourd’hui de la jeunesse ukrainienne. Quand, en 2004, la Pologne, les républiques tchèque et slovaque, la Hongrie, les Etats baltes… ont rejoint l’Union, nous ne les avons pas accueilli comme des membres de la famille et proposé d’inventer ensemble la suite de l’Histoire européenne, il est temps de rattraper ce retard. Il est frappant de voir comment la nouvelle génération de dirigeants tchèques, polonais ou lettons par exemple, est déterminée à renforcer l’Union européenne. Mateo Renzi en Italie s’est présenté dans son discours d’investiture comme un représentant de la génération Erasmus. C’est aussi l’émergence de cette génération que raconte « Une jeunesse européenne »

Paradoxalement, avec la chute du mur, c’est la période du tout marché qui a triomphé et nous n’avons pas su valoriser suffisamment les fondamentaux du projet européen qui sont les libertés publiques, la paix, la dignité de la personne humaine. La crise ukrainienne nous rappelle combien celles-ci sont précieuses. Elle constitue une opportunité de nous repenser et de nous projeter dans l’avenir. J’espère que nous Européens serons à la hauteur du défi qu’elle nous pose.

 

 

Fondateur du think tank EuropaNova, Guillaume Klossa est directeur de l’Union européenne de radiotélévision, le service public européen qui fédère les chaines publiques européennes.

« Une jeunesse européenne » fait partie de la sélection du prix du livre européen 2014 et est disponible dans toutes les bonnes librairies, y compris en achat par internet ici ou .

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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2 Commentaires

  1. Encore une recherche pour trouver une solution à la crise de la construction européenne, qui n’arrive pas à se réaliser..
    Quelle est la nature de la crise actuelle, qui empêche toute réalisation sérieuse , Ne serait-elle pas de même nature que la crise de 1929 ? J’ai une étude à vous proposer sur ce sujet. Puis-je l’envoyer à Sauvons l’Europe ? Rien ne laisse voir qu’il s’agit d’une crise de défaut de fonctionnement monétaire, et pourtant ce serait bien cela.

  2. Ce livre est présenté par Guillaume Klossa à la FNAC Bercy le 29 mars à 16 H.
    En même temps, Philippe Perchoc présentera son livre « Correspondances européennes ».
    Vous pourrez parler ou débattre avec les deux auteurs.

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