C’était une belle opération de communication politique bien lisse, montée par Youtube. Comme cela se pratique avec le Président des Etats-Unis, un entretien a été organisé entre trois youtubeurs – choisis par Youtube – et le Président de l’Europe (Youtube a identifié que c’est Jean-Claude Juncker, désolé M Van Rompuy). L’un de ces producteur de vidéos est Laetitia Birbes, qui prodigue des conseils de vie bio. On avoue ici qu’en croisant par hasard la vidéo où elle annonce cet entretien à venir, « super ouf de la vie« , avec « genre le boss de l’Europe« , on s’était dit que Youtube avait choisi des profils inoffensifs pour cet exercice. Elle demandait à ce qu’on lui adresse des questions pour être pertinente, et pour être honnête nous n’y avons pas cru et n’avons pas participé. Mon Dieu qu’on avait tort !
Cet exercice de crowdsourcing #AskJuncker auprès du public, dégrossi avec d’autres youtubeurs d’Osons Causer a débouché sur un ensemble de questions très pertinentes que nous aurions aimé pouvoir poser nous-même. La réalité est que sur Internet, tout le monde est aussi un citoyen, et peut s’en souvenir à n’importe quel moment. Mais sur place, quand le représentant de Google relit les questions prévues ça se passe de manière un peu tendue. Selon Youtube, interrogé par le Nouvel Obs, Mme Birbes « nous a sollicité pour des conseils sur la manière de les formuler. Notre collègue l’a encouragée à privilégier le respect à la confrontation« . Dans la scène filmée sur place, on peut entendre plus précisément les conseils de ce collaborateur:
Mais ça, bon comme je te le dis, on va en parler à Natasha [Porte-Parole de Jean-Claude Juncker], mais il y a toujours un risque qu’il y ait un red flag, un drapeau rouge, on ne fait pas l’affaire [la fin de la phrase est dure à entendre]… C’est déjà une question hyper difficile à répondre pour M. Juncker, tu parles du lobby des sociétés. A un moment, tu ne vas pas non plus te mettre à dos la Commission européenne et YouTube, et tous les gens croient en toi. Enfin, sauf si tu comptes pas faire long feu sur YouTube.
Le lendemain, et peut être la scène filmée aidant, Mme Birbes se voit proposer par Youtube un poste rémunéré d’ambassadrice qu’elle s’est trouvée contrainte de refuser, ne pouvant évaluer l’authenticité de leur démarche. Disons ici tout le respect que nous avons pour la manière dont elle s’est saisie de cette opportunité, pour son courage et pour son honnêteté!
Venons-en à l’entretien lui-même
Juncker est interrogé dans une cuisine et curieusement commence par signaler que ce décors est faux. Ce n’est pas vraiment une manière classique de débuter un entretien avec une jeune femme venue lui poser des questions sur ce qu’il aime manger et s’il a des animaux, il se trouve donc dans un rapport ambivalent, ayant été prévenu des questions, et cherche d’emblée à introduire un doute sur l’authenticité de son interviouveuse occasionnelle et à la perturber. Une première question (nous les prenons dans le désordre) sur les perturbateurs endocriniens est enroulée par Juncker, qui explique en substance qu’il est très impressionné par le problème ce qui empêche toute action précipitée. Mais la réflexion est furieusement en cours.
Comment peut-il y avoir une garantie de l’intérêt général compte tenu du caractère industriel du lobbying et des sommes en jeu? Juncker admet qu’il y a du vrai et défend la mise en place du registre de transparence, qui permet justement à son interlocutrice de poser sa question de manière précise et chiffrée. Ceci permet de savoir quelles influences s’exercent. Et la Commission finance d’autres cercles d’influence comme les associations de consommateurs.
Une question percutante sur les Luxleaks : « Confier à quelqu’un qui a été ministre des finances pendant 18 ans du plus grand paradis fiscal en Europe la mission de lutter contre l’évasion fiscale, est-ce que ce ne serait pas finalement un petit peu comme désigner chef de police un braqueur de banque? » Et Juncker de faire montre de tout son immense talent politique, en neutralisant d’une blague l’attaque personnelle « On dit souvent que les braqueurs et les braconniers constituent dans les services de police les meilleurs éléments« . Puis il s’en prend gentiment à « la condescendance française » et renverse les rôles. « Chaque pays en Europe est le paradis fiscal de son voisin » et il l’enjoint d’enquêter sur les tax rulings de l’Etat français, en l’avertissant que ce qu’elle va trouver ne lui fera pas plaisir. Il explique ensuite ensuite la politique de la Commission qui est que les profits doivent être taxés là où ils sont générés et prend l’exemple d’Apple.
Enfin sur Barroso, auquel nous nous intéressons fort en ce moment, une question merveilleuse. Ecartant la question personnelle de Barroso malgré ses doutes sur ce que Barros approte à Goldman Sachs, dont Juncker précise que beaucoup de gens les partagent même s’il pense que c’est un « type honnête », Mme Birbes prend appui sur la méthode de communication Juncker qui consiste à ne pas toujours dire les chose mais à les faire entendre pour contenter tout le monde. Ce dernier avait déclaré au Soir qu’il n’avait pas de problème à ce que Barroso rejoigne une banque, mais « pas celle-là ». Pourquoi? Ici Juncker met tout sur la crise de 2008 et les quelques banques qui ont été systémiques, mais il se lance dans une intéressante digression sur le fonctionnement en sens inverse des anciens banquiers rejoignant le monde public, selon lui parfaitement légitime et sur lequel personne ne s’interroge jamais. Il nous semblait au contraire que le cas d’Henry Paulson, président de Goldman Sachs puis Secrétaire d’Etat américain au moment de la crise a fait l’objet de beaucoup de commentaires, de même que celui de M Draghi, désormais très respecté mais dont l’arrivée à la BCE avait fait tousser. On se demande ici si Jean-Claude Juncker est maladroit ou si, dans son insistance sur ce point, il cherche à commencer à poser le problème systémique non pas des recrutements individuels, mais de la pluralité de recrutements et de placement d’ancien responsables par un acteur économique puissant?
« (Youtube a identifié que c’est Jean-Claude Juncker, désolé M Van Rompuy) » cela fait bientôt deux ans que c’est Donald Tusk le président du conseil européen …
C’était du second degré sur Tusk, mais j’admets à la relecture que ce n’est clair que pour moi.
Merci à S l’E de retransmettre cette interview qui, dans son registre, est un modèle du genre. JCJ s’y montre ouvert, naturel et pertinent (et, incidemment, en pleine forme …). Il marque sans doute « un point » sur la question de la transparence de la Commission ainsi que sur la comparaison avec les pratiques en vigueur dans certains États membres dont la France. Sur le fond, chacun appréciera en fonction de ses (pré)convictions. JGG
Bof. J’ai trouvé l’interview très quelconque. Questions vagues, réponses vagues. Quant aux mises en garde, pas de quoi grimper au rideau puisque l’interview « non censurée » a été diffusée au final par YouTube. Du buzz équivalent à une tempête dans un verre d’eau.
Juncker est somme toute décevant. Pas très politique, pas très volontaire.