Lettre à nos amis socialistes

Un nouvel ADN social-progressiste

« Porter l’avenir comme une transformation de notre présent », voilà le minimum auquel doivent prétendre les sociaux progressistes, la feuille de route de la force politique qu’il leur faudra construire.

S’interroger sur l’organisation même d’une force politique à l’heure où Internet fragilise durablement nos systèmes démocratiques en imposant un choc de défiance permanent entre gouvernants et gouvernés, voilà la tâche qu’il leur faudra accomplir.

Retrouver une identité collective plus dense qui dépasse la conquête et l’exercice quinquennal du pouvoir. Rechercher légitimité et efficacité en animant un écosystème d’émancipations individuelles et collectives concourant à la dignité de tous. Voilà l’exigence première qui doit animer le travail du Parti socialiste pour les prochaines années. C’est cet ADN qui a manqué au quinquennat de François Hollande, au-delà de sa gestion technique de l’entreprise France dont il fut un honnête et sérieux syndic de faillite de l’expérience chiraco-sarkozyste.

A l’heure de cet exercice majeur de réappropriation et de reconstruction des sociaux-progressistes, alternative indispensable aux projets libéraux-progressistes et sociaux-nationalistes du temps présent, partageons ensemble deux convictions simples qui réunissent notre communauté europrogressiste depuis plus de 10 ans.

La confiance aveugle dans les premiers de cordée est socialement toxique

Non, les succès des premiers de cordée ne portent en rien une ardeur prométhéenne à modifier l’ordre des choses. L’idée d’un ruissellement naturel des élites vers la masse est socialement toxique et mère de bien des populismes. L’expérience de la troisième voie nous a laissé en héritage le Brexit pour Tony Blair et l’arrivée d’une centaine de députés d’extrême-droite au Parlement allemand pour Gerhard Schröder.

Au ruissellement des élites espéré par les libéraux-progressistes, c’est à dire in fine à l’expertise « forcément » pertinente et incontestable du petit nombre, il revient aux sociaux-progressistes de répondre par une confiance renouvelée en l’intelligence collective de citoyens capables d’assumer ensemble leur destin. L’histoire nous enseigne que l’expertise des happy few finit toujours par s’exercer au profit d’un entre-soi en haut du panier.

Que ce soit dans le cadre national, européen, ou même mondial, la tension entre la reconstruction de nouvelles classes moyennes et l’émergence d’une élite mondialisée et majoritairement urbaine doit retenir toute notre attention. Nos projets de vie ne se jouent pas à l’Euromillions !

En priorité, les sociaux-progressistes doivent faire le pari de l’intelligence collective pour libérer les créativités et organiser le partage des progrès du nouveau siècle. Il est impératif de faire émerger des outils de régulation non inféodés aux contingences du climat économique.

Aujourd’hui, deux modèles de gouvernement, tous deux rendus possibles par la révolution numérique, sont envisageables. D’une part, un modèle solidaire et participatif qui fait le pari d’intégrer la dimension de l’horizontalité. De l’autre, l’émergence d’une gestion de la relation-client choisie par les « meilleurs d’entre nous » et propulsée vers nos smartphones.

Porter un projet politique français et une ambition européenne

Au cœur de l’ADN social-progressiste se trouve le choix cardinal d’une construction politique et économique du continent européen sur la base d’un partage démocratique de souveraineté. Quelles autres questions nous posent aujourd’hui les grandes crises que traversent l’Europe sinon celles de l’existence et de la définition de nos valeurs partagées ou non, susceptibles d’appuyer le réenchantement d’un projet vieux de 70 ans et de transcender tout un continent ? Qu’en est-il au jour présent ? Combien des 500 millions d’Européens se satisfont d’un projet européen qui ne serait qu’un supermarché avec contrôle au faciès à l’entrée ? Qu’avons-nous perdu en chemin ?

L’Europe subit de plein fouet un triple choc. Un choc géopolitique avec l’accélération sans précédent d’une mondialisation industrielle et financière, qui modifie considérablement la perception des valeurs du travail et de la solidarité. Un choc technologique avec la révolution numérique, succédant à la révolution de l’imprimerie en son temps, en reproduit l’impact et questionne durablement nos systèmes démocratiques jusqu’à l’idée même de création de richesse. Un choc démographique, enfin, avec le vieillissement de la population européenne et l’émergence d’une question générationnelle ouvrant une faille entre une partie de baby-boomers rentiers et de nouvelles générations de millennials, souvent exclus de nos accommodements de l’après-guerre, sans oublier la jeunesse du Sud qui rêve d’Europe et de son mode de vie.

Retrouver la confiance des électeurs, ou plus prosaïquement retrouver des électeurs, demande aujourd’hui d’articuler une ambition française avec un projet européen auquel de nouvelles générations puissent adhérer. Voilà le défi qui se pose à tous les socialistes.

Ecrire enfin le projet français qui manque à la Nation depuis 30 ans, soit l’époque où s’est installée parmi nos dirigeants l’idée que le projet européen pouvait se substituer à l’existence d’un projet français. Il est urgent de mettre fin à ce principe que les élites françaises visent à faire de la France une Europe en petit, quand le partenaire allemand tend à penser l’Europe comme une Allemagne en grand.

Le second défi est de réussir un reboot européen afin de faire du projet humaniste la clé de voûte des pactes sociaux européens de l’après-guerre, de bouclier régulateur et d’aiguillon des secteurs clés de notre avenir.

Le troisième défi est d’articuler projet français et projet européen dans le cadre politique cohérent des sociaux-progressistes. Ces trois défis tournent autour d’une même nécessité. Ni défaire la France pour faire l’Europe. Ni défaire l’Europe pour sauver la France.

 

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10 Commentaires

  1. Je suis fasciné par votre recherche désespérée d’une nouvelle idéologie, que vous appelez ADN.

    je ne commente pas le reste, amalgame et foi du charbonnier.

    l’Europe est trop précieuse pour vous être confiée!

  2. Je me permets d’ajouter que, contrairement à la situation qui prévalait dans les années 70 et au début des années 80, des apparatchiks de la rue de Solferino ont purement et simplement supprimé une « Fédération Europe » regroupant au départ les expatriés à Bruxelles, Luxembourg et La Haye… pour la noyer dans une l »Fédération des Français de l’Etranger » surdimensionnée. On ne doit donc guère s’étonner si ce qu’il reste du PS peine à se positionner de manière dynamique sur le terrain européen.

  3. Marc Domec aux lecteurs de « Sauvons l’Europe » : bonjour et merci des échanges, toujours utiles.

    Il faut « sauver l’Europe » et aussi savoir être à l’offensive. Les responsables politiques qui fréquentent ces jours-ci le Salon de l’agriculture sont souvent attristants, sinon consternants : discours sans efforts, appui à toutes les revendications, à toutes les demandes…..et il en est ainsi dans beaucoup de domaines : souvent du « toujours plus », rarement du « faisons mieux,pourquoi et comment, pour aujourd’hui et pour demain ».
    Je trouve le président Macron au moins courageux…..car même si je me revendique social-démocrate et suis extrêmement prudent en ce qui concerne ses orientations économiques, il ne crains pas de défendre « mordicus » ses choix. Et c’est bien ce qui manque à la social-démocratie: des « porteurs d’idéaux », capables de redonner confiance à un peuple découragé, à la merci des démagogues qui jouent sur des idées simplistes , qui ne traduisent que mépris pour ceux qui les écoutent. L’appel à l’intelligence, l’utilisation d’arguments bien construits, la modestie qui consiste à reconnaître des erreurs passées dans nos comportements et nos actes finiraient par trouver le chemin de l’esprit et du coeur de nos concitoyens.

    Il faut hiérarchiser nos propositions dans le cadre d’une Europe au sein de laquelle nous avons à convaincre de nos idéaux socio-démocrates de justice sociale, d’écologie, de préservation de notre planète….et donc d’une nouvelle conception de nos modes de consommation : c’est l’urgence…..et les élections européennes ont lieu en 2019….et au delà des élections , retrouver la dynamique du contact « horizontal », comme vous le dites justement dans l’éditorial. Il y a une vraie misère des individus trop isolés , dans une société de « réseaux » appauvrissants, alors qu’ils devraient permettre de véhiculer de la beauté , de l’ouverture aux autres et être des outils d’information et de formation au lieu de mener à l’enfermement……et c’est à ce prix, me semble t-il, que la Politique et les formations politiques, retrouverons le contact mutuel avec les citoyens.
    Les grands problèmes sont connus, ils sont immenses mais encore maîtrisables….la plupart d’entre nous, dans ce monde un peu fou , souhaite la Paix et une vie décente…..pour lui-même et pour les autres : .alors, c’est pour cela que nos idéaux et l’Europe constituent pour moi les éléments de mon engagement déjà ancien……mais dont je suis persuadé qu’ils ont de l’avenir, à condition de vouloir en être les porteurs loyaux.

    Bon courage à toutes et tous ….et encore merci de vos éclairages.

    Marc Domec

  4. Sérieusement, il faut oser ce genre d’affirmation : « À
    l’heure où Internet fragilise durablement nos systèmes démocratiques en
    imposant un choc de défiance permanent entre gouvernants et gouvernés. »

    Vous vous fichez de qui ?…

    Heureusement qu’il y a de la défiance, elle est justifiée !

    Heureusement qu’il y a Internet, sinon, nous n’aurions que la « voix de son
    maître », c’est à dire le discours unanime, lénifiant et incessant de nos
    « grands » médias tout confondu (presse, radio, télévision) passés
    maîtres dans la désinformation, la manipulation et la propagande.

    D’ailleurs, à qui appartiennent-ils, ces fameux « grands » médias ?

    Dont le journal de « référence », le Monde, qui s’autorise à créer un
    « Décodex » comme jadis l’église avait son Index. Lequel Décodex
    fourmille, au passage, d’interprétations et de partialité à faire rougir un
    évêque (ou impressionner un membre du KGB, au choix).

    À l’heure où les problèmes auxquels fait face l’humanité sont
    préoccupants, on en est encore à chercher des orientations politiques
    susceptibles de séduire l’électorat.

    Affligeant.

    Et que va-t-on faire contre :

    – La pollution endémique ?

    – L’enrichissement et l’appropriation éhontés des très riches ?

    – l’appauvrissement et les spoliations grandissants, la misère, la faim et la
    soif dans le monde ?

    – La privatisation et le contrôle de l’ensemble des médias ?

    – La dégradation de l’agriculture et de la santé (en France) ?

    – La disparition des ressources vivantes et inertes ?

    – L’exploitation de la nature, plantes, animaux et humains ?

    – La multiplication des conflits armés, l’accroissement des dépenses en
    armements ?

    – La prolifération endémique de ce fléau pour la planète qu’est devenue
    l’humanité ?

    Et ne me parlez pas du « réchauffement climatique », l’un sur lequel
    nous ne pouvons rien, à part s’adapter, l’autre, le réchauffement anthropique, une
    chimère, un mythe (comme celui de « l’union » €uropéenne) grâce auquel
    les pays riches peuvent contraindre les pays en voie de développement à des
    sacrifices qu’eux-mêmes n’ont jamais eu à faire.

  5. C’est très positif mettre sur le tapi le fait que les socialistes ont l’obligation de définir un projet politique capable de transformer notre présent. Par contre, j’aurais préféré trouver un appel adressé aux socialistes européens et pas que aux socialistes français. En effet, dans tous les pays de l’UE les partis socialistes ne se portent gère bien. En plus, en prévision des élections pour le renouvellement du Parlement européen de 2019, les socialistes européens ont tout l’intérêt à se retrouver pour présenter, ensemble, un projet politique claire, qui puisse présenter quelle est l’ambition européenne pour les femmes et les hommes qui partagent les valeurs humanistes d’égalité entre les humains, de promotion des droits humains pour toutes et tous, de développement social et économique compatible avec la limitation du réchauffement climatique.

  6. C’est pas  » Sauvons l’Europe » qui a appelé à voter E. M.? Un candidat qui a toujours montré une confiance plus qu’aveugle dans les premiers de cordée… Un peu facile de venir pleurnicher après s’être réfugié dans les jupes du libéralisme non? Sauvons l’Europe, sous de faux airs sociaux démocrates, n’est rien d’autre qu’un nième média au service du libéralisme.

  7. Merci pour cette lettre qui montre combien la tâche est immense car il ne s’agit pas seulement de refonder le parti socialiste français. Nous ne sommes pas en 1958, même si la situation politique actuelle de la France ressemble à beaucoup d’égards à celle de cette époque, ni même en 1969, nous sommes comme en 1830 au début de la première révolution industrielle qui fut une forme de mondialisation, processus constructeur mais aussi effroyablement destructeur dans un premier temps. Le problème étant que les créations ne se faisaient pas – ne se font pas – là ou il y a des destructions. Il fallut – il faut – démocratiser le processus avant même de le « social-démocratiser ».

    C’est donc à une refondation totale que nous sommes appelés. Ce n’est pas seulement le socialisme français qui est concerné, c’est toute la social-démocratie occidentale qui est en crise : la situation actuelle a ceci de bon qu’elle nous rappelle que le socialisme fut un internationalisme. Apprenons à penser « global », déjà avec les autres Européens.
    Il nous faut tout repenser face à l’actuelle mondialisation, non pas pour revenir en arrière, et pas seulement pour en protéger les perdants. Il ne s’agit pas de s’y adapter mais de la transformer, en particulier de réfléchir aux conditions d’une véritable égalité puis les créer.
    Une égalité qui ne doit jamais être incompatible avec la liberté personnelle. La liberté et l’égalité ne s’opposent pas même si elles sont en tension, c’est justement cette tension qui fait avancer les choses. En ce sens, il y aurait beaucoup à dire sur l’évolution du sens du mot libéralisme en moins de quarante ans. Alors, le libéralisme était politique, sociétal, culturel, et non pas exclusivement économique. Même quand il était économique, il était allié à la démocratie, voire à la social-démocratie. En aucun cas, il n’y avait rupture entre le libéralisme et la démocratie comme celle qui existe entre celle-ci et l’ultra-libéralisme actuel (ce qui autorise certains états européens à se glorifier d’être des « démocraties illibérales », comme si il n’y avait pas antinomie entre les deux mots !). Or sans que personne ne s’en émeuve ou presque, le libéralisme, pensée de gauche, a fini par se réduire exclusivement à l’ultra libéralisme. Les socialistes auraient tort de se résigner à cet état de fait.

    Une dernière remarque : nous n’avons pas assez de recul pour juger le rôle de François Hollande et les résultats de son quinquennat. Telle la IVe République, vilipendée au début de la Ve, et dont on s’est aperçu bien après qu’elle avait jeté les bases des Trente Glorieuses et de la Communauté européenne mais avait sombré par sa faiblesse au moment de la guerre d’Algérie, analogue au manque total de pédagogie et d’explication du quinquennat précédent.

    Annie Crépin

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