Alexis Tsipras avait fait vœu de ne pas porter de cravate tant qu’il n’aurait pas sorti son pays de l’austérité. Vendredi dernier, il en a arboré une pour célébrer la sortie de la Grèce des plans d’aide, puis l’a retirée pour marquer qu’il s’agissait d’une bataille et non de la fin du chemin.
En 2015, la Grèce avait connu un crash démocratique: Tsipras, nouvellement premier ministre, avait fait valider dans un référendum ses lignes de négociations avec les créanciers européens, et s’était fait renvoyer dans ses buts. Ne restait alors que la rupture, prônée par le ministre des finances Yannis Varoufakis, ou la soumission aux programmes d’austérité. Tsipras a choisi de respecter les programmes, la Grèce ayant de tels déficits que même en répudiant sa dette elle n’avait pas les moyens d’être souveraine. Il s’était soumis à de nouvelles élections pour faire valider ce choix par le peuple, mais la démocratie avait un goût amer. Brocardé en traître par une partie de la Vraie Gauche TM, Tsipras a des passes d’armes régulières avec certains de ses anciens camarades. Le parti de Mélenchon a ainsi demandé en début d’année l’exclusion du Parti de la Gauche Européenne de celui qui fut son candidat à la Commission européenne.
La politique d’austérité imposée par le Etats créanciers, au premier rang desquels l’Allemagne mais largement soutenue, fut d’une violence impressionnante. Elle répondait au sentiment justifié que les gouvernements grecs successifs avaient délibérément menti à leurs partenaires, persuadés que l »Europe » finirait toujours par payer la note. Ceci n’a notamment jamais été le cas de l’Espagne ou du Portugal, par exemple. Le résultat est à la hauteur de cette irrationalité, et l’abus d’austérité a été profondément destructeur: les revenus ont baissé d’un quart, la dette a atteint 170% du PIB et est, à terme, irremboursable. Sans même parler du chômage, un chiffre suffit à tout dire: sur une population d’une grosse dizaine de millions de personnes, un million a quitté la Grèce. Cela représente entre un quart et un tiers des 15-45 ans. Le désastre est tel que plus personne ne parvient à se rappeler que la situation aurait été pire sans le soutien européen.
Pendant cette période, la Grèce a pris de plein fouet la crise des migrants. Au cours de l’année 2015, un million de personnes sont arrivées en Europe dont… plus de 800.000 en Grèce. Elle a fait face avec difficulté mais sans ambiguïté. L’extrême droite d’Aube dorée n’a finalement pas percé et est restée sous la barre des 10%, l’opposition étant représentée par le parti conservateur classique.
Au-delà du symbole de la sortie de la surveillance européenne (la Troika a laissé les caméras en place), qu’en est-il? Le pays va, non pas mieux, mais moins mal. L’austérité ne s’est pas encore relâchée, mais elle a cessé de se renforcer. Le PIB progresse à nouveau et 300.000 emplois se sont créés en 2017 ce qui est une tendance vers un retour à la normale. Les partenaires européens, malgré la très forte réticence de l’Allemagne, ont signé un accord sur l’allègement de la dette. Symboliquement, le montant n’est pas modifié mais son remboursement est repoussé à plus loin et il sera réévalué dans 15 ans. Autant dire qu’on s’apprête à rééditer le sketch et à offrir la Grèce de ne jamais complètement rembourser, sans jamais l’assumer publiquement. Surtout, le Gouvernement Grec redevient libre de sa politique économique, dans la limite de ses engagements budgétaires (2% d’excédent budgétaire en plus du service de la dette).
Tsipras promet ainsi un renforcement de la sécurité sociale, une hausse du SMIC et de nouvelles négociations de conventions collectives. Cela fait suite à la mise en place d’une couverture maladie universelle sous le plan d’austérité, ainsi que la création d’un revenu social type RSA et qu’un ciblage des aides vers les étudiants et les familles. Nous sommes loin du bout du tunnel, mais le Gouvernement Grec est enfin en mesure de faire ses choix.