Pour célébrer les 100 ans de l’armistice de 1918, le président Macron a fait le choix de payer de sa personne au travers d’une itinérance mémorielle inédite. Il a réalisé son plus long déplacement hexagonal depuis son élection, visitant onze départements et dix-sept villes. Les diverses polémiques autour d’une célébration marathon qui a évité les faits militaires pour se consacrer au destin des poilus et des populations nous interrogent, in fine, sur ce qu’il reste à célébrer du 11 novembre, un siècle après les faits.
Ouvrir la page du premier conflit mondial, c’est d’abord se confronter au vertige des chiffres, prélude aux statistiques de masse qui seront la marque de fabrique du 20ème siècle. Nous voilà face à plus d’un milliard d’obus tirés en quatre ans, et à quelques dix millions de combattants morts ou disparus de par le monde. En France, c’est près de 1,4 million de poilus liquidés, soit 1 000 Français tombés au front par jour de guerre. En sus, il y a un cataclysme générationnel. « Un quart des Français de 18 à 27 ans sont tombés entre les dunes des Flandres et les sommets des Vosges », rappelle l’historien Michel Bernard. Pour la classe d’âge née en 1894, le taux de mortalité atteint 50% au jour de fêter l’armistice. D’ailleurs, la date du 11 novembre, n’est en rien une frontière entre morts et vivants. Entre 1918 et 1929, trois cent mille pères de famille décèdent des suites de leurs blessures, laissant un enfant français sur douze orphelin en 1929. Une telle hécatombe conduira à couvrir la France de monuments aux morts afin de laisser aux vivants une chance de continuer à vivre… Les combattants étaient pour l’essentiel des civils que l’on avait armés, expliquent d’ailleurs les services de l’Élysée…
Au delà d’un bilan chiffré et matériel du désastre, il y a également la question des diverses traditions mémorielles du conflit encore prégnantes en Europe. En Allemagne, la défaite et le traité de Versailles sont perçus comme des étapes et des moments conduisant à la catastrophe du nazisme. La seule trace calendaire d’une Guerre qui s’est déroulée hors de son territoire, est le dimanche suivant le 11 novembre, en l’honneur des victimes de tous les conflits. L’Allemagne démocratique fait en quelque sorte commencer son histoire en 1945… D’ailleurs, la France souhaitait une grande commémoration à Sarajevo, en juin 2014, sur les lieux mêmes de l’acte initial du conflit. Le projet ne fut guère suivi en Europe, et encore moins en Allemagne… Ailleurs en Europe, c’est l’accès à l’indépendance nationale et par conséquent le début, ou la renaissance, d’une histoire nationale qui nourrit les commémorations. A l’échelle de l’Europe, la question de l’héritage du 11 novembre 1918, est aujourd’hui encore celle de récits divergents, mais aussi de points de convergence au delà de nos récits nationaux.
Un de ces points de convergences fut longtemps le rôle du conflit dans l’émancipation des femmes européennes. En effet, dans tous les pays touchés par la guerre et dans tous les secteurs d’activités, les femmes sont impliquées et seront considérées comme l’une des clés de voûte de la victoire. Au Royaume-Uni, les femmes sont plus d’un million à travailler dans les usines d’armement. D’où l’idée que le rôle des femmes dans la Grande Guerre serait la matrice de leur émancipation au vingtième siècle. Par exemple, le type de la femme aux cheveux courts, qui rejette le corset et affirme son indépendance apparaît au lendemain de la guerre. Ou encore la corrélation de date avec le droit de vote pour les Allemandes et les Britanniques après le conflit. Et, pourtant, les historiens sont aujourd’hui plus nuancés sur le sujet. Apparemment, dès la guerre finie, la grande majorité des femmes retournent à leurs activités précédentes et le corps social souhaite surtout de revenir à la situation « d’avant ».
Un siècle après le 11 novembre 1918, voilà sans doute le triste constat que la guerre est, pour les femmes comme pour les hommes, avant tout une épreuve. À tous elle apporte son lot de souffrances. Le premier conflit mondial en est la première illustration à l’échelle industrielle avec ses neuf millions de mort civils en sus des victimes combattantes. Du coup, que restait-il, in fine, au président Macron sinon de s’incliner une dernière et très longue fois, au travers du temps, sur ce cortège de souffrances et de destins broyés, ultime avertissement des européens de 1918 à ceux de notre temps ? Paradoxalement, il était sans doute plus facile ce dimanche 11 novembre de réunir 70 chefs d’Etat, notamment Russes et américains, au sujet de l’astre mort du 11 Novembre que de le faire autour de la date du 9 mai avec son ardente actualité…
Excellent article. Permettez-moi cependent un petit commentaire. Ce qui rend la commémoration de l’armistice nécessaire, c’est que tous les ingrédients pour générer des nouveaux conflicts en Europe et à l’échelle mondiale sont là: les inégalités acrues, entre les pays et à l’intérieur de chacun, qui exaspèrent des nationalismes et reveillent des fantasmes idéologiques qu’on croyait définitivement révolus.
je trouve l’article très bien. Toutefois, je suis plus réservé sur l’attitude de notre président qui a semblé ignorant un tantinet de l’Histoire. Songer à honorer Pétain aux Invalides, oubliant que ce dernier a été frappé d’indignité nationale, me semble plus que surprenant. Heureusement, la raison a prévalu, mais cette annonce a pollué le messatge qu’il voulait faire passer lors de ces commémorations. Ou bien était-ce un petit clin d’oeil destiné à ammadouer l’extrême droite ?
cher Daniel,
…Rendre obligatoire à l’ENA la lecture du livre de l’historien américain Paxton sur la France de Vichy !!!
La boucherie de 14-18 a été faite par des généraux contre le peuple et les soldats des 2 armées (désertions, mutineries durement réprimées), depuis la CEE, l’Europe a été construite pour empêcher ces boucheries franco-allemande et ça marche, au niveau militaire il faut une véritable armée européenne, ce qui empêchera chaque nation d’agir à sa guise. Sarkozy en Libye, la France en Afghanistan, son soutien militaire à l’Arabie saoudite…Vive les états unis d’Europe avec un gouvernement supra national!