Le débat historique que vous n’avez pas vu

Vous vous êtes infligé les débats sur les élections européennes, avec un salmigondis d’hommes politiques français qui parlent d’immigration ?  Vous avez manqué le seul débat qui compte.

Hier soir, les deux principaux candidats à la Commission européenne se sont affrontés pour discuter de leur vision et de leurs propositions. Franz Timmermans pour les sociaux-démocrates, contre Manfred Weber pour les conservateurs. En avez-vous entendu parler? Non. En avez-vous lu un compte-rendu ce matin dans la presse ? Non. Pour cela il faut se tourner vers la presse internationale. Pouviez-vous le voir ? Avec beaucoup de chance, il n’a été diffusé que sur France 24 et Rfi.

Le service public français réédite donc son incroyable exploit de l’élection européenne précédente, où le débat entre les candidats à la Présidence de la Commission européenne avait été diffusé sur la Chaîne Parlementaire tandis que France 2 donnait au bon peuple un documentaire sur l’Euro, surement très utile pour savoir quelle liste vous représente le mieux. Un collectif d’associations européennes avait animé la campagne Plus d’Europe à la télé, et manifestement il fa falloir remettre l’ouvrage sur le métier.

Ce débat un peu central tout de même, vous n’en entendrez parler que chez Sauvons l’Europe. Et pour le regarder la vidéo est ci-dessous. Cela fera de vous un citoyen européen privilégié, puisque à l’heure d’écriture de cet article seulement 200 personnes l’ont visionné. Et vous allez voir que c’est d’un autre niveau que les guignolades qu’on nous inflige dans notre bonne campagne franco-française.

 

En exclusivité française, donc, voici les thèmes du débat qui voit s’opposer les deux principaux candidats de la gauche et de la droite :

Weber, qui s’exprimait en anglais, souhaite écouter les européens, qui lui parlent d’immigration (ils veulent une position stricte et forte concernant les frontières) et qui veulent des conditions de vie égales.

Timmermans, parlant en français, veut lutter contre les injustices sociales, économiques, écologiques. Il note que partout en Europe il y a une forte demande d’action sur ces sujets.

L’inégalité hommes-femmes:

Weber proposera une Commission européenne à parité de composition. Les écarts de salaires entre hommes et femmes doivent être éliminés. Timmermans veut attaquer ce sujet en réduisant l’écart de salaire homme-femme entre les pays (16% d’écart dans l’UE, mais 20% en Allemagne), par un programme législatif qui assure une totale transparence salariale. Il s’agit ainsi de pousser prioritairement les Etats en retard.

Le climat:

Weber: les européens sont leaders mondiaux sur ce sujet, et ont rendu possible l’accord de Paris. Cela passe par des réglementations claires par exemple sur les transports automobiles ou l’aérien. Timmermans: la Commission adoptera les 17 objectifs de développement soutenable définis par les Nations Unies, et chaque Commissaire sera responsable de celui qui correspond à ses attributions.

L’Europe sociale: 

Weber est opposé à un salaire minimum européen. Il s’agit d’une responsabilité nationale. Le rôle de l’Europe est d’assumer une solidarité via les fonds régionaux. Timmermans veut un salaire minimal dans tous les pays membres, en relation avec le salaire moyen pour éviter les travailleurs pauvres, en particulier les jeunes.

L’austérité:

Weber: les pays qui ont fait des réformes ont aujourd’hui une économie solide, ceux qui ne l’ont pas fait vont mal. Timmermans note que Weber a attaqué les gouvernements Espagnols et Portugais qui divergeaient de l’austérité, bien que cela se fasse en accord avec la Commission. Et le succès a pourtant été au rendez-vous. Pour Weber, ces succès sont à mettre au crédit des conservateurs qui ont d’abord mené une politique de réformes. En revanche, les gouvernements socialiste de France et d’Italie n’ont pas mené ces réformes, et leurs pays se portent moins bien. Il vante les réformes de Schröder. Timmermans réitère que nous avons fait ce qui était nécessaire en termes d’austérité, que les gens perdent espoir et qu’il faut un développement soutenable.

Plus ou moins d’Europe:

Timmermans: Dans certains domaines, il faut plus d’Europe. Il faut une fiscalité européenne sur les grands groupes, par exemple. Weber: il faut une meilleure Europe. Oui dans le domaine fiscal face aux géants de l’Internet, dans d’autres domaines il faut moins de bureaucratie et renvoyer au niveau national et même régional. Il faudra sans doute plus d’Europe dans la défense et les affaires étrangères.

Macron, progressistes et populistes:

Timmermans: les progressistes pour Macron, c’est son parti ou les sociaux-démocrates ? Il y’a une gauche et une droite en Europe et il faut un peu de clarté: quand on se déclare progressiste, il faut faire des politiques progressistes. Weber se félicite d’avoir un pro-européen à l’Elysée, mais pense que la clé du scrutin est de savoir si l’on veut une Europe de solidarité et de compromis ou une Europe de nationalistes d’extrême-droite et d’extrême-gauche.

Eurosceptiques:

Timmermans n’a pas de problèmes avec les sceptiques mais exclut tout pacte avec l’extrême-droite tels que la Ligue Italienne, comme les conservateurs ont pu le faire. Weber exclut également tout accord avec les extrémistes,  mais estime que les communistes sont aussi infréquentables. Timmermans confirme qu’on peut travailler avec Tsipras mais pas Mélenchon. Weber rappelle que Tsipras travaille avec l’extrême-droite dans son pays. Sur ce point, Timmermans indique que Tsipras ne fait pas partie de sa famille politique et dans le même temps confirme que ce dernier ne partage pas les valeurs de l’extrême-droite. NB: personne n’aborde la question du régime Orban, bizarrement.

Le Parlement de Strasbourg

Weber aime beaucoup la ville de Strasbourg. Le Parlement doit par ailleurs avoir le droit de décider comment il s’organise. Timmermans aime beaucoup la ville de Strasbourg. Le Parlement doit par ailleurs avoir le droit de décider comment il s’organise. Et comme c’est écrit dans les traités et que la France ne va pas bouger, le Parlement restera à Strasbourg et donc c’est un faux débat.

International:

Weber: L’exemple du Brexit montre que remettre l’Europe en question est une mauvaise option. Il faut l’améliorer. Pour lutter contre la criminalité il faut faire d’Europol un FBI Européen. Il faut une meilleure coopération avec l’OTAN, mais surtout un pilier européen de la défense fort. Timmermans estime que le Brexit est un choc, et qu’il démontre qu’il y a une forte déception. Il faut sauver l’Europe. NB: On aurait vraiment vraiment du mettre un copyright là-dessus

Les migrants:

Timmermans: en 2015-2016, l’ensemble des partis pro-européens ont réussi collectivement à surmonter la crise en réduisant les entrées de 85%. Mais le système n’est pas tenable si on ne réforme pas Dublin en créant une politique d’asile à l’échelle de l’Union qui accueille réellement les vrais réfugiés, une protection commune de nos frontières extérieures et une aide au développement des pays tiers. Le Weber: le Conseil a décidé de créer 10.000 postes de garde-frontière d’ici 2027 alors qu’on en a besoin dès aujourd’hui. Il faut le faire avant 2022. Il propose la création d’un Commissaire pour l’Afrique qui crée un nouvelle relation avec ce continent.

Conclusion:

Weber: on a prouvé qu’on savait faire les réformes (NB: l’austérité) et être fermes sur l’immigration. Il faut une Europe démocratique. Timmermans: il faut bâtir au Parlement européen et dans les Etats membres une majorité progressiste pour réformer l’Europe.

Un prochain débat aura lieu parait-il, avec cette fois-ci l’ensemble des candidats et pas seulement les deux principaux. Sera t’il diffusé auprès du grand public? Mystère. Michel Barnier sera t’il présent? Mystère

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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4 Commentaires

  1. Merci pour cette information capitale, ne comprends pas que l’on n’oblige pas toutes les chaînes publiques à la diffuser!

  2. Effectivement il faut vous féliciter pour avoir organisé ce débat de très haute tenue.

    Je reste néanmoins toujours aussi déçu quand les protagonistes s’expriment au sujet des réformes de l’UE, nécessaires pour mettre fin à l’austérité: ni l’un ni l’autre osent reconnaître que tant qu’il n’y aura pas une Autorité politique de type fédéral, doté d’un budget, de ressources propres et d’un pouvoir autonome d’emprunt, il ne sera pas possible de mener une politique économique qui s’intègre à la politique monétaire de la BCE. Toutes les avancées introduites dans la foulée de la crise financière : le Semestre Européen, le Traité budgétaire, l’actualisation du Pacte de Stabilité et de Croissance, l’Union bancaire (inachevée), etc.., sont des mécanismes qui marquent certes un progrès, mais dont l’objectif est de préserver à tout prix l’apparence d’une « souveraineté nationale » devenue virtuelle en matière de politique économique et fiscale. Quelque soit la flexibilité de la Commission dans l’interprétation de la règlementation dont elle est chargé de vérifier le respect, cela ne permettra jamais une politique flexible mieux adaptée aux circonstances: l’exemple a été donné par la rapidité de sortie de la crise financière des Etats-Unis où le gouvernement a pu tolérer un déficit du budget fédéral dépassant 10% du PIB (celui des Etats fédérés devant rester à l’équilibre) ramené progressivement à moins de 3%, qui a permis une relance économique puissante et une redistribution par le Gouvernement fédéral d’un soutien aux Etats. En Europe, faute d’une souveraineté partagée de la souveraineté économique (comme celle qui existe pour la politique monétaire), les règles ont limité le pouvoir de relance au niveau « national » ce qui a retardé la sortie de crise qui s’est prolongé par celle des dettes souveraines en 2010-12 et a limité ensuite l’ampleur de la reprise ensuite.

    Tant que ce problème n’est pas adressé de front, la pérennité de la monnaie unique sera en question et la subordination monétaire de l’Euro au Dollar américain restera un élément de la faiblesse de l’Union au plan interne et géopolitique.

    Personnellement, je préfère de très loin une souveraineté « partagée » réelle à une souveraineté « nationale » purement virtuelle! Voilà la vraie valeur ajoutée que l’Union peut apporter à ses citoyens tant sur le plan économique que sur celui de la sécurité et de la défense de nos valeurs.

  3. Donc, si je vous suis bien…
    Vous admettez que ce seul débat télévisé avec les têtes de listes pour les européennes était un pensum.
    Mais vous ne manquez pas de vous étonner de la désaffection de la population pour cet enjeu…

    J’ajoute qu’il s’agit bien d’élire des députés.
    A-t-on eu d’autres informations pour se forger une idée : réponse non.
    Sommes-nous appelés à élire les commissaires ? Réponse non.
    Néanmoins, vous trouveriez plus logique qu’on visionne ce débat ?

    Enfin, j’ai lu avec difficulté l’inventaire des propositions des commissaires.
    Je n’irai certes pas jusqu’à visionner la vidéo.

    Est-ce que ces commissaires sont des dirigeants ? Officiellement, non.
    Est-ce qu’ils peuvent s’écarter des traités ou de la doxa européiste ? Réponse non.
    Et vous voudriez qu’on s’extasie sur leurs états d’âme, sur leur vision personnelle de l’UE ?
    Vous en êtes à croire encore que leurs préférences vont changer quelque chose à la marche de cette institution ?

    Tout ça est cruellement bien incohérent.
    Très concrètement : aucun intérêt.

    • Je n’ai pas eu l’occasion de suivre le débat… tout en me réservant de visionner la vidéo et en comptant sur d’autres canaux d’information – notamment belges, « curieux d’Europe » avec un incontestable dynamisme et qui, d’ici le 26 mai, ne manqueront pas de donner quelque relief aux campagnes européennes… même si, à la même date, des scrutins nationaux et régionaux
      se tiendront dans ce pays.

      Cela dit, je note que, même de manière discrète – et avec l’astucieuse précision: « officiellement non » – vous apportez un peu d’eau à mon moulin quant à la désignation et au rôle des membres de la Commission:

      1. en effet, nous ne sommes pas appelés à « élire » des commissaires, pas plus que nous n’avons vocation à le faire pour la nomination des ministres, leurs interlocuteurs au niveau national. A cet égard, la position de celui (ou celle) que les traités européens désignent comme « haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » (ouf !) s’avère particulièrement emblématique: il revient en effet à cette personnalité d’assumer à la fois l’une des vice-présidences de la Commission et de présider le Conseil lorsque ce dernier réunit les ministres des affaires étrangères des Etats membres. Une sorte de « Janus » institutionnel ? ça se discute… Plus généralement, le fonctionnement pratique du Conseil fait que son règlement intérieur autorise la présence des commissaires concernés dans l’enceinte de ses réunions – une occasion pour ceux-ci d’expliquer ou de défendre les propositions de la Commission

      Mais ceci sans négliger un autre aspect, plus occulte: à savoir que l’orientation politique dominante dans une Commission donnée est en grande partie tributaire de celle des pays d’origine des commissaires, puisque ce sont ces pays qui, avant l’investiture par le Parlement européen, désignent chacun un de leurs ressortissants en vue de ce mandat. Or, si, en regard du « Collège » actuel encore en fonction pour quelques semaines, on peut stigmatiser la prééminence idéologique d’un certain « ordo-libéralisme », il convient de ne pas perdre de vue la chaîne des causalités: un commissaire « conservateur » (je simplifie) a les faveurs d’un gouvernement plutôt classé à droite, qui lui-même, en général par parlement national interposé, procède d’un vote populaire qui, en l’occurrence, ne saurait être classé à gauche.
      On a connu une situation différente à l’époque où la « Communauté européenne », constituée d’un nombre relativement réduit d’Etats membres, permettait que les plus grands d’entre eux puissent nommer deux commissaires: en France, la pratique s’était peu à peu instaurée de désigner un membre de la majorité et un membre de l’opposition.

      2. Les commissaires sont-ils des dirigeants ? J’ai le souvenir que vous ne partagez pas ma « parabole » maritime. Je crois néanmoins utile de la rappeler – notamment à l’intention de nouveaux lecteurs – quitte à poursuivre (sereinement) le débat:

      – l’évolution politique du fonctionnement de l’UE a conduit à ce que la barre du navire soit aujourd’hui fermement tenue par le couple Conseil-Conseil européen;

      – la Commission conserve certes un rôle non-négligeable… mais plutôt à titre de boussole: c’est à cet égard que le concept d’ « orientation » prend tout son sens (y compris pour les « grandes orientations de politique économique », dont nous avons discuté il y a quelque temps).

      Certes, les attributions qui lui reviennent en matière d’ « initiative » législative conservent toute leur importance… mais il s’agit en grande partie d’un monopole en termes de procédure. De plus en plus fréquemment, le Parlement européen, le Conseil européen ou le Conseil l’ « invitent » à présenter telle ou telle proposition ou à produire tel ou tel rapport. Le moins que l’on puisse dire est qu’en amont de l’ « initiative » se situe l’ « impulsion ».

      – quant au Parlement européen, lorsqu’il ne partage pas le gouvernail avec le Conseil, il lui revient souvent de grimper en haut du mât pour s’incarner en vigie, le regard porté vers des horizons qui ne satisfont pas d’un pilotage à vue.

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