A la Cop16, l’urgence est remise à plus tard

La 16e Conférence mondiale sur la biodiversité (COP16) s’est déroulée à Cali, en Colombie, du 21 au 31 octobre 2024. Bien que moins médiatisée que les COP sur le climat, cette rencontre était tout aussi cruciale. En 2022, lors de la COP15, les Etats Parties à la Convention Biodiversité avaient adopté le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal (Global Biodiversity Framework, GBF), ayant pour ambition de stopper la destruction des écosystèmes et des espèces d’ici 2030. Deux ans plus tard, la COP16 devait être celle de la mise en œuvre des engagements pris.

L’état désastreux de la biodiversité mondiale

L’effondrement du Vivant est un défi majeur du XXIe siècle. Année après année, la biodiversité s’érode sous notre (in)action. Une espèce d’arbre sur 3 est menacée d’extinction, les populations de vertébrés sauvages ont décliné de 73% en seulement 50 ans à travers le monde, et un million d’espèces végétales et animales sont menacées d’extinction en raison des activités humaines : agriculture intensive, urbanisation, utilisation massive des pesticides… Pourtant, nous dépendons des « services écosystémiques », ces services rendus par les écosystèmes aux activités humaines – comme la purification de l’air, la fourniture d’eau potable, ou encore la pollinisation des plantes. Nous dépendons de la nature pour nous nourrir, nous soigner, nous loger. Agir sans plus attendre est indispensable pour permettre notre survie.

Quels étaient les principaux enjeux et pour quels résultats obtenus ?

L’objectif premier était de mesurer les progrès réalisés par les Etats depuis l’adoption du cadre mondial. Parmi les 23 cibles fixées en 2022 par le GBF, on retrouve des enjeux cruciaux tels que :

• Protéger 30 % des terres et des mers
• Restaurer 30 % des espaces dégradés
• Garantir les droits des populations autochtones

Malgré les négociations, les décisions concernant le mécanisme de suivi-évaluation des progrès réalisés (création d’indicateurs harmonisés, cadre du reporting…) ont été reportées à la prochaine COP. La dernière séance plénière a duré toute la nuit du 1er au 2 novembre et n’a pas été suffisante pour lever les oppositions entre Etats. Une bonne nouvelle cependant : 44 Etats – contre seulement 31 au début de la COP – ont soumis leur stratégie nationale pour la biodiversité et 119 pays ont présenté des objectifs nationaux pour atteindre les 23 cibles du GBF.

Le second objectif concernait les ressources financières. Le Fonds mondial pour la biodiversité, créé lors de la COP15 pour appuyer la mise en œuvre des stratégies nationales pour la biodiversité dans les pays en développement, a été abondé pour atteindre 396 millions de dollars. Un chiffre qui peut sembler dérisoire face aux 200 milliards annuels à atteindre d’ici 2030 (cible 19 du GBF). Pour y parvenir, les pays en développement demandaient la création d’un nouveau fonds, sous gouvernance de l’ONU, pour remplacer l’actuel qu’ils jugent « inadapté et inéquitable », mais cela était refusé par les pays développés pour des raisons « de coûts et d’efficacité », soulignant les difficultés de dialogue sur ce sujet. La négociation a dû être interrompue, le quorum de représentants des Etats n’étant plus atteint à la date prévue de fin de COP.

Au-delà du montant, les mécanismes de financement soulèvent l’épineuse question des « crédits biodiversité ». Censés mobiliser des fonds privés pour la préservation des écosystèmes (cibles 14, 15 et 19 du GBF), la création de « crédits » est associée à des risques importants en matière de robustesse et d’intégrité, ainsi que le souligne la note de positionnement de l’UICN, rédigée par Carbone 4, le MNHN et le WWF France. Un « crédit » suggère un « débit », donc l’annulation d’une perte par un gain alors que ce devrait être considéré – avant tout et uniquement – comme une contribution positive, c’est-à-dire un soutien financier décorrélé de toute destruction (ou menace de destruction) préalable du vivant ! Par ailleurs, ce type de « crédit » pourrait être utilisé dans le cadre de mécanisme de compensation.

Le partage équitable des ressources génétiques de la nature était également à l’ordre du jour de ce sommet. La COP a abouti à la création d’un fonds mondial, appelé « Fonds Cali », destiné à collecter les ressources économiques provenant de l’utilisation des informations sur les séquences numériques (codes génétiques provenant d’échantillons d’organismes qui sont souvent partagés numériquement) et à les distribuer de manière équitable. Les entreprises concernées, principalement dans les domaines pharmaceutique et cosmétique, contribueront de façon volontaire : il est donc difficile de savoir quel volume financier sera généré.

Enfin, un organe permanent dédié à la participation des peuples autochtones et des communautés locales au sein de la Convention sur la Diversité Biologique a été créé. Cette décision, à forte portée symbolique, a été unanimement saluée : elle reconnaît l’importance du rôle de ces populations dans la protection de la biodiversité, et la manière dont elles sont affectées par son effondrement.

Quel bilan tirer de cette COP ?

Bien que certaines avancées aient eu lieu, notamment sur la reconnaissance de la voix des peuples autochtones, la COP16 se termine avec un goût d’inachevé. L’échec des négociations, que ce soit sur le mécanisme de suivi-évaluation ou les financements des actions de préservation de la biodiversité, reporte de deux ans des décisions qui doivent pourtant être prises en urgence afin que les Etats, et les entreprises, s’engagent davantage – et maintenant – pour protéger le Vivant.

Nous agissons comme si la planète recelait des ressources inépuisables, capables de nous nourrir à l’infini, d’absorber nos émissions de gaz à effet de serre, comme si la biodiversité n’était pas menacée. Nous détruisons chaque jour le Vivant, marin comme terrestre, donc notre futur. La réponse à cette extinction de masse, provoquée par les humains, ne peut pas être la répression toujours croissante des militant.e.s écologistes, mais bien une reconnaissance et un soutien de leur combat ! L’arrestation ni juste ni justifiée de Paul Watson cet été au Groenland en est une parfaite illustration. Non, on ne peut pas mourir en prison pour avoir sauvé des baleines. Non, on ne peut pas rester sans rien faire. Ensemble, nous devons tous nous mobiliser pour sauver notre avenir.

Solen Menguy
Solen Menguy
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2 Commentaires

  1. Cet intéressant article illustre, à sa manière, la pertinence de l’adage « Tout est urgent, rien n’est pressé », souvent de mise dans les grands messes internationales.

    En limitant délibérément ma réflexion au cadre européen, je souhaiterais mettre en évidence le fait que l’UE, pour sa part, est loin d’être restée inactive en matière d’action en faveur de la biodiversité… même si elle peut mieux faire… comme toujours.

    Comme en d’autres domaines, la prise de conscience s’est manifestée par petites touches progressives avant de donner lieu à une approche plus globale. Permettez-moi de résumer.

    La première manifestation a sans doute été la « directive Oiseaux » adoptée en 1979 pour contribuer à la protection des espèces sauvages concernées. L’étape suivante est connue sous l’appellation de « directive Habitats », conçue pour préserver la faune et la flore dites également « sauvages ». On observera que cette dernière réglementation a été approuvée par l’UE au niveau ministériel en 1992, année où s’est par ailleurs tenu le troisième « sommet de la Terre » à Rio. C’est aussi cette année-là qu’a été instauré le réseau « Natura 2000 » destiné à répertorier des zones de l’UE abritant une faune et une flore dotées d’une importante valeur patrimoniale en termes de nature.

    Mais c’est en 2011 qu’une impulsion déterminante a été donnée à la sensibilisation de l’UE à la problématique de la biodiversité – et ce sous la forme d’une première communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil (niveau ministres), au Comité économique et social européen et au Comité (européen) des régions. [COM(2011) 244 du 3 mai 2011]. Cette initiative, baptisée « La biodiversité, notre assurance-vie et notre capital naturel » avait pour ambition de définir une stratégie à l’horizon 2020.

    Pour la décennie suivante, la Commission s’est adressée aux mêmes institutions dans une nouvelle communication présentée le 20 mai 2020 [COM(2020) 380] sous l’intitulé « Stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 ». Il ne s’agit pas, dans la limite d’un commentaire et non d’une chronique, de détailler ce dernier document. On s’en tiendra à deux considérations:
    – d’une part, avec l’objectif affiché de « ramener la nature dans nos vies », la communication visait à définir comment lutter contre les principales causes d’appauvrissement de la biodiversité, parmi lesquelles on mentionnera les changements dans l’utilisation des terres et de la mer, la surexploitation des ressources biologiques ou l’invasion d’espèces exotiques
    – d’autre part, ce document peut être considéré comme un des piliers du « Pacte vert pour l’Europe » présenté par la Commission en décembre 20219 [COM(2019) 640].

    Cette dernière considération inciterait à évoquer l’image d’un emboîtement de »poupées russes »: biodiversité, environnement, développement durable. A cet égard, on soulignera que, du reste, l’article 11 du traité sur le fonctionnement de l’UE (l’une des deux branches du traité de Lisbonne de 2007) confère au développement durable une vocation en quelque sorte « transversale » en regard de l’ensemble des domaines d’intervention de l’Union: selon cette disposition, en effet, les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable. Comme sur le terrain très général de l’action extérieure de l’UE , un souci de cohérence est censé imprégner les bases juridiques de ces politiques. On peut en reparler…

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