Entretien avec André Gattolin, vice-président de la Commission des Affaires européennes du Sénat et tête de liste « La République en Marche » aux élections sénatoriales du 24 septembre prochain dans les Hauts-de-Seine, membre de Sauvons l’Europe.
L’Europe est au cœur de votre engagement politique, pourquoi est-ce une priorité pour vous ?
Dès le début des années 1980, époque de mes premiers engagements dans la vie publique, j’ai toujours considéré que l’Europe était notre horizon commun, la seule véritable perspective politique et démocratique pour notre pays dont l’influence et le rayonnement aussi bien culturel qu’économique étaient soumis à l’émergence de nouvelles puissances régionales qui n’ont pas toujours le même respect que nous des principes de l’Etat de droit et du progrès social.
Depuis, la mondialisation s’est accélérée et l’absence de régulation démocratique et économique à l’échelle mondiale rend plus que jamais indispensable l’approfondissement et le renforcement de la construction européenne pour préserver notre rang dans le concert international et procéder aussi à une modernisation de nos institutions démocratiques.
Militant européen de longue date, j’ai eu la chance de rencontrer et de travailler parfois étroitement avec de grandes figures de la construction européenne comme Altiero Spinelli, Stéphane Hessel, Jacques Delors, Simone Veil, Emma Bonino, Daniel Cohn-Bendit et bien d’autres. Chacun à leur manière, ils m’ont montré combien l’Europe était intimement liée à notre histoire et qu’elle transparaissait dans presque toutes les problématiques que nous rencontrons aujourd’hui au quotidien tant à l’échelle locale que nationale.
Si le chemin de la construction d’une Europe fédérale est nécessairement long et difficile, j’ai la conviction profonde que c’est le seul qui permette d’être à la fois Français et européen, de préserver la richesse de notre exceptionnelle culture et d’affronter les défis de demain.
Quand on est sénateur, l’Europe n’est-elle pas éloignée de ses préoccupations quotidiennes ?
Elle l’est en effet encore trop souvent dans l’esprit de certains de mes collègues même si la conscience de l’enjeu européen s’est considérablement accrue au cours de la décennie écoulée. Longtemps, institutions européennes et parlements nationaux ont semblé vivre comme des espaces institutionnels séparés, échangeant peu et travaillant en ignorance, voire en concurrence, les uns des autres.
Le Traité de Lisbonne ratifié fin 2007 a notamment renforcé la place et les prérogatives des parlements nationaux dans le processus législatif européen. Loin d’être symbolique, la réforme constitutionnelle de 2008 a transformé les anciennes délégations aux affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Sénat en commissions parlementaires disposant de compétences accrues en matière de contrôle de subsidiarité des textes européens et de transposition de ceux-ci dans le droit national.
Rappelons que, bon an mal an, ce sont plus d’un millier de directives ou de règlements européens qui sont soumis au contrôle des commissions des affaires européennes de nos deux chambres nationales. C’est une réalité pour tout parlementaires de notre pays et que les commentateurs politiques ignorent souvent : près de 40 % de la production législative annuelle de la France est le fruit de la transposition de textes européens !
La commission des affaires européennes du Sénat figure depuis plusieurs années sur le podium des commissions les plus actives de l’ensemble des parlements nationaux de l’Union européenne en termes de contrôle de subsidiarité. A plusieurs reprises, c’est notre commission qui a initié la procédure de « carton jaune » permettant à un nombre significatif de chambres nationales de demander le réexamen voire l’abandon d’un projet de directive européenne jugé non conforme à l’intérêt de nos concitoyens. Les rapports produits par notre commission sénatoriale sont par ailleurs reconnus pour leur grande qualité et sont lus avec beaucoup attention, tant par la Commission européenne que par nos homologues des autres parlements nationaux.
Mais ces satisfecit ne doivent pas masquer nos faiblesses et l’importante marge d’influence qu’il nous reste à conquérir.
Au sein du Sénat, la connaissance précise des dossiers européens demeure encore trop souvent confinée aux membres de la commission des affaires européennes et, accessoirement, de certains membres de la commission des finances. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons voir prochainement augmenter significativement le nombre des membres de cette commission qui ne sont actuellement que 36, soit à peine plus de 10 % de l’ensemble de la composition de cette chambre. Car même si chaque parlementaire peut être l’auteur d’une proposition de résolution européenne, il est indispensable d’élargir l’implication de nos collègues dans le processus d’élaboration du droit de l’Union.
Le travail des parlementaires nationaux ne doit en effet pas se limiter, comme cela est trop souvent le cas en France, à une intervention en aval des textes produits par la Commission européenne. Dans une Union à 28 (ou à 27), le France n’a plus le même pouvoir d’infléchir a posteriori les orientations européennes que par le passé lorsque l’Europe fonctionnait à 10 ou 15. Par manque de mobilisation politique, nous négligeons notre capacité – bien réelle – d’influer en amont la production du droit européen et ceci est regrettable.
Nos élus ignorent encore trop souvent que presque chaque projet de texte européen fait l’objet d’une consultation préalable en amont de son élaboration. Celles-ci sont ouvertes au public et facilement accessibles sur le site de la commission européenne.
Ce qui me désole, c’est que je suis le seul parlementaire français à contribuer régulièrement à ces consultations. Est-ce le fait de mon statut de vice-président de la CAE et de ma très forte implication européenne, toujours est-il que plusieurs mes propositions (par exemple sur les instruments de lutte anti-dumping, sur la politique du numérique ou encore sur la feuille de route de l’Union sur l’Arctique européen) ont par ce biais été retenues dans la finalisation des textes préparés par la Commission européenne.
Certains responsables français fustigent l’influence qu’ils jugent parfois excessive de l’Allemagne dans l’élaboration des cadres normatifs de l’Europe et l’expliquent un peu facilement par le poids économique de ce pays au sein de l’Union. C’est à mon sens occulter le travail considérable produit en amont par les élus allemands – et notamment nos collègues du Bundesrat – lors de ces consultations publiques.
Enfin, et en évitant d’être trop long sur un sujet qui sonne comme une évidence : les parlementaires français et en particulier les sénateurs ne se posent pas assez en explicateurs des enjeux réels et concrets pour leur territoire des politiques européennes. Destinataires de plus en plus souvent directs de nombres d’aides européennes, nos régions ou nos villes sont encore trop peu armées en matière de compétences et d’expertise pour bénéficier des fonds communautaires auxquels elles peuvent prétendre.
De mon point de vie c’est aussi le devoir de nos parlementaires nationaux de s’engager pleinement et sans démagogie dans le débat avec nos concitoyens sur les questions et les enjeux européens. Personnellement, je participe en moyenne au moins deux ou trois par mois à des réunions publiques ou à des assemblées associatives sur ce sujet. Même au sein des grandes associations européennes – auxquelles adhèrent pourtant nombre de mes collègues – je me sens souvent très seul dans cette tâche d’animateur du débat public européen. Se dire européen est une bonne chose, mais être européen demande bien autre chose que des déclarations d’adhésion…
Alors, non, pour moi l’Europe n’est pas éloignée de mes préoccupations quotidiennes ; elle est au cœur de mon quotidien, à chaque instant même lorsque je traite de sujets qui paraissent de nature strictement locale ou nationale.
Vous avez travaillé avec Sauvons l’Europe lors de notre campagne « Plus d’Europe à la télé ! ». Comment favoriser le réflexe européen chez les responsables de notre pays et le sentiment d’appartenance à l’Europe pour l’ensemble des citoyens ?
J’essaie de travailler au plus proche avec les associations pro-européennes, notamment en relayant leurs suggestions qui peuvent faire l’objet d’amendements législatifs. Le rôle des médias pour une meilleure connaissance du fait européen par nos concitoyens est majeur, mais force est de constater que nombre d’entre eux ne traitent guère de ces sujets ou le font de façon parfois caricaturale, ce qui a des incidences majeures sur le sentiment parfois critique ou désabusé de l’opinion à l’égard de l’Europe. Lors des dernières élections européennes, j’ai dénoncé la non-diffusion du débat des candidats à la présidence de la Commission européenne sur les chaînes françaises du service public. Il s’agissait pourtant d’un débat majeur qui a largement été relayé par les télévisions des autres pays européens. J’ai donc pris l’initiative de saisir le CSA sur la question et celui-ci m’a donné raison sur le fond. J’ai également co-signé et fait adopter une résolution parlementaire européenne initiée par mon ex-collègue Pierre Bernard-Reymond en faveur de la création d’une station de radio publique entièrement dédiée à l’Europe et aux européens. Cette résolution n’a malheureusement toujours pas été mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale…
Plus généralement, et si nous voulons renforcer le sentiment d’appartenance à l’Europe chez nos concitoyens, il faut faciliter les échanges et une mobilité intra-européenne, même très temporaire, de nos concitoyens. L’élargissement d’Erasmus est une bonne chose, mais cela n’est pas suffisant. Chaque parlementaire devrait passer au moins trois mois en stage d’observation dans un autre parlement national ou au Parlement européen, afin de saisir concrètement les enjeux européens et aussi s’inspirer de certaines bonnes pratiques ou mesures innovantes prises par nos partenaires. A ce titre, je trouve que nous ne disposons pas encore d’assez d’études comparatives et de travaux de parangonnage en amont de l’élaboration de nos projets et propositions de lois nationales. C’est grâce à ce type d’approche que j’ai élaboré et fait adopter en décembre dernier une loi d’initiative parlementaire interdisant la publicité dans les émissions télé pour enfants sur le service public. Il n’existe pas de directive européenne en la matière, mais ma loi a permis de nous rapprocher sensiblement des réglementations nationales en vigueur dans ce domaine par nos voisins.
Pour remettre la France au cœur de l’Europe, après des années d’euroscepticisme patent, les responsables politiques de notre pays doivent désormais et simultanément agir pour l’Europe et agir sur l’Europe afin de reconstruire le lien démocratique avec nos concitoyens.
Agir pour l’Europe, car comme je l’ai dit précédemment, je ne vois pas comment la France pourrait seule résister à une compétition mondiale dérégulée et continuer de peser politiquement dans le nouvel ordre mondial qui s’instaure. En 2050, aucune des nations européennes, pas même l’Allemagne, ne devrait figurer parmi les 10 pays les plus puissants de la planète. Bien qu’elle demeure aujourd’hui la première puissance commerciale de la planète, l’Union souffre d’un manque de gouvernance économique et politique pour demeurer un acteur majeur dans le monde qui se profile.
Agir sur l’Europe, car si le renforcement de l’Union est le seul horizon réaliste pour la France, cette dernière souffre aujourd’hui d’un manque de projet politique clair. Quel est le bon équilibre entre compétences européennes, nationales et régionales ? Le mot fédéralisme fait souvent peur, mais c’est à travers un modèle fédéral original que nous pouvons, je crois, construire un équilibre juste entre un impératif de cohérence d’ensemble de l’Union et de légitimes aspirations à préserver la richesse de nos différentes cultures.
Mais au-delà du mode institutionnel qui reste encore à rebâtir pour l’Europe, il y a aussi un modèle de société à définir. Il s’agit en urgence de construire une Europe sociale digne de son nom qui protège les citoyens de la dérégulation forcenée qui sévit à l’échelle internationale tout en permettant à notre continent de relever les défis de la révolution numérique, de la transition énergétique et des flux croissants des populations. A ce titre, la manière dont le président Emmanuel Macron a pris à bras le corps la question d’une réforme de la directive sur les travailleurs détachés me semble une très bonne illustration d’une réorientation progressiste des politiques européennes. L’objectif de la mise en place du Grand marché unique qui est devenu l’axe prédominant de la construction européenne depuis 20 ans ne saurait faire figure de projet satisfaisant pour l’Europe.
En quoi l’élection de sénateurs europrogressistes est-elle importante ?
Je crois avoir déjà largement expliqué pourquoi le Sénat et ses membres doivent, en tant que parlementaires nationaux, devenir des acteurs dynamiques de l’espace politique européen. Mais au même titre que cet espace politique est à préciser voire à redéfinir, la notion d’euro-progressisme mérite aussi d’être précisée, voire réinitialisée au regard des défis nouveaux que nos sociétés doivent affronter en ce début du 21ème siècle. La définition même du progrès est fortement questionnée depuis quelques décennies. La notion de croissance, fondée sur ces critères économiques quantitatifs tels que le PIB, est de plus en plus critiquée, notamment au regard de la menace d’épuisement des ressources naturelles, d’extinction des espèces et de certains écosystèmes et des effets toujours plus prégnants du changement climatique résultant de l’activité humaine. Les menaces qui pèsent sur les générations futures tant en termes de protection sociale, de qualité de vie que de dette à rembourser nous oblige à repenser la nature du progrès que nous voulons et pouvons construire. A l’ère d’une montée de l’individualisme et d’un affaiblissement de certaines solidarités, il convient de s’interroger sérieusement sur notre manière de créer aujourd’hui de la cohésion sociale et de nouvelles solidarités entre les générations et entre les territoires. En France notamment, le questionnement sociétal s’est souvent satisfait d’un objectif à mon sens réduit et réducteur : celui du « vivre ensemble ». L’expression, développée par Ernest Renan dès la fin du XIXe siècle, a été, dès le début du XXe siècle, intelligemment questionnée par Léon Blum dans ses écrits de jeunesse. Il notait que l’on pouvait « vivre ensemble » sans véritablement s’aimer ; qu’on pouvait cohabiter mais vivre ensemble à couteaux tirés. Alors certes, le vivre-ensemble constitue une indispensable paix des braves qui permet d’éviter la guerre des uns contre les autres, mais il constitue un projet à mon sens plus que minimal.
La véritable question que nous devons affronter en tant que progressistes, c’est celui du « faire société », chère à l’historien et sociologue Jacques Donzelot. Comment pouvons-nous recréer des espaces de coopération et de co-élaboration actives qui nous permettraient de répondre aux menaces d’implosion du corps social ? En la matière, il n’existe pas de recette miracle et systématisable pour « faire société » aujourd’hui. En revanche, de nombreuses expérimentations sont aujourd’hui développées dans nos territoires et dans le reste de l’Europe. Une des fonctions que devraient s’assigner les sénateurs euro-progressistes, c’est précisément de mettre à profit leur ancrage et leur connaissance des territoires pour faire remonter à l’échelle nationale ces acquis de l’expérience en même temps que de faire redescendre en les disséminant auprès des acteurs locaux et nationaux le meilleur des expérimentations mises en œuvre chez certains de nos partenaires européens.
En résumé, nous devons mettre nos territoires au cœur de l’Europe et de l’innovation tant sociale, technologique, écologique que politique !
Propos recueillis le 4 septembre 2017 par Fabien Chevalier, Président de Sauvons l’Europe
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L’article aborde plusieurs questions essentielles pour l’avenir de la démocratie européenne. En particulier, les moyens des parlements nationaux pour contribuer à l’élaboration des politiques européennes et leur volonté d’agir: en amont, quand la Commission propose, mais aussi au fil, quand les gouvernements nationaux expriment leurs préférences/leur vote? le sujet est mal connu et c’est grave.
J’espère que les « grand électeurs » des Hauts de Seine, qui favorisent les partis en place,
sauront voter efficace et européen, pour un sénateur qui travaille.
André Gattolin est pro-européen et son seul mandat est celui su Sénat, alors que tous les autres cumulent, dont la scandaleuse « liste des maires ».
Pourvu que rien ne bouge; pourvu que nous continuions entre nous!
Il est temps de choisir un sénateur digne de son mandat!