Après la procédure de sauvegarde de l’État de droit engagée par la Commission européenne en janvier 2016, suite à la réforme du Tribunal constitutionnel de Varsovie, la Commission européenne, au regard de la poursuite des atteintes aux libertés engagées par le Gouvernement polonais, a menacé, le 27 juillet dernier, d’engager la procédure complexe de mise en œuvre de article 7 du Traité, ainsi libellé:
1. Sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure. Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables.
2. Le Conseil européen, statuant à l’unanimité sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission et après approbation du Parlement européen, peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière.
3. Lorsque la constatation visée au paragraphe 2 a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil. Ce faisant, le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales. Les obligations qui incombent à l’État membre en question au titre du présent traité restent en tout état de cause contraignante pour cet État.
4. Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider par la suite de modifier les mesures qu’il a prises au titre du paragraphe 3 ou d’y mettre fin pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures.
5. Les modalités de vote qui, aux fins du présent article, s’appliquent au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sont fixées à l’article 354 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. »
Andrzej Adamczyk, Directeur du département International/Europe de Solidarnosc, Membre du Comité Economique et Social Européen – CESE – a bien voulu répondre à Jean-Pierre Bobichon – Membre fondateur de Sauvons l’Europe -pour quelques questions, à titre plus personnel, compte-tenu du contexte polonais.
Quels jugements portes-tu sur la situation en Pologne?
Tout d’abord, la description, que tu as présentée, des enjeux par rapport à la mise en œuvre de l’article 7 du Traité est correcte, sauf que la majorité des citoyens ne se sent pas tellement concernée, parce que les conséquences, voir la suspension du droit de vote au Conseil européen paraît tout à fait improbable Ce qu’on peut déjà ressentir, c’est une sorte de cordon sanitaire en Europe autour des politiciens polonais provenant du parti au pouvoir, ce qui à long terme peut représenter un vrai problème pour la position de la Pologne dans l’Union Européenne et son poids dans le processus de la prise de décision. La nouvelle perspective financière, les fonds structurels et beaucoup d’autres aspects seront à l’ordre du jour très prochainement.
Comment en est-on arrivé là, après toutes ces années passées de combats pour les libertés?
Les dernières élections législatives et présidentielles n’ont pas été tellement gagnées par PIS mais certainement elles ont été perdues par la Plate-forme Citoyenne, le parti du mainstream européen, membre du Parti Populaire Européen – PPE – parti libéral conservateur pratiquant la politique d’austérité. Il n’est pas alors surprenant que la force politique avec un large programme social gagne les élections. Les indemnités familiales, la baisse de l’âge de la retraite, le programme de construction des logements sociaux, les médicaments gratuits pour les personnes âgées, l’augmentation du salaire minimum décrété par le gouvernement au-dessus du niveau négocié par les partenaires sociaux, que demander de plus ? La population fatiguée par la politique d’austérité a décidé de choisir l’option sociale. Avec toutes les erreurs de communication possibles commises par les prédécesseurs et une campagne électorale intelligente, PIS (parti droits et justice) a remporté les dernières élections. En plus, la propagande officielle fonctionne avec une certaine efficacité et persuade le grand public qu’il est nécessaire de contrôler tous les pouvoirs et toutes les Institutions d’Etat pour éviter le blocage des programmes sociaux par l’opposition politique.
Comment penses-tu que la situation devrait évoluer?
Avec le chômage le plus bas depuis 1991 4.8% (d’après Eurostat – références statistiques officielles des Institutions européennes), la croissance économique tourne autour de 4%, celle des salaires réels de 4.2% en 2016 (estimation de 5% en 2017), l’agenda social améliore la qualité de vie de millions de citoyens et surtout ceux qui se sont trouvés dans les conditions les plus défavorables, il est bien probable que le gouvernement va encore bénéficier de soutien pendant un certain temps. En plus, l’opposition politique reste très faible, choquée toujours par sa défaite électorale, sans plans d’actions, divisée et pas capable de représenter une vraie alternative. Dans la situation économique et sociale avantageuse dans laquelle on se trouve, les grands débats politiques, guerre des tribunaux, article 7 du Traité, tout cela paraît moins important pour le grand public. En outre, les gens ont peur, et cette angoisse est alimentée par la propagande, avançant que tous les bénéfices sociaux seraient perdus si le parti du gouvernement était écarté du pouvoir.
Ce qui peut faire exploser, quand même, le bloc gouvernemental, ce sont les divisions internes. Les clivages commencent déjà, surtout entre le Président et certains Ministres. Je comprends que cela soit une opinion assez pessimiste et très triste et qu’il faut attendre une erreur du gouvernement pour que le camp démocratique puisse se consolider, mais la réalité est telle.
De nombreuses manifestations se sont déroulées dans lesquelles le drapeau européen était bien présent. Est-ce un signe encourageant affirmant l’attachement, malgré tout à l’Union européenne?
Le soutien à l’Union Européenne et l’adhésion de la Pologne reste exceptionnellement haut et est de 88%. Cette vision positive de l’UE est déclarée par pratiquement tous les acteurs politiques. A mon avis les partis d’oppositions commettent une erreur en reprochant au gouvernement l’euroscepticisme, parce que cela provoque un débat qui n’est désiré par personne et qui peut tourner mal, car de vrais ennemis de l’Union Européenne peuvent en profiter pour mettre la question de la présence de la Pologne dans l’Union Européenne sur la table, tandis que cette question n’existe pas dans l’espace public. En plus, les minuscules groupes nationalistes qui n’existent même pas dans les sondages de popularité et dont l’existence dans l’opinion publique était, jusqu’à présent ignorée, ont trouvé une plate-forme d’expression et profitent d’occasions pour déclarer leur soutien pour PIS. Tout cela est assez embarrassant pour le gouvernement qui, malgré les problèmes qu’il rencontre avec la Commission Européenne, manifeste son attachement à l’UE. Ce que le gouvernement souhaiterait c’est plus de tolérance de la part de la Commission européenne pour les extravagances et privilèges que PIS usurpe suite à sa victoire électorale qui lui donne la majorité absolue dans les deux chambres du Parlement.
Comment se situe Solidarnosc, 37 ans après les grandes grèves prémices de l’existence du premier syndicat libre en Europe dit « de l’Est » à l’époque?
Le mouvement syndical polonais, non seulement « Solidarnosc » s’est trouvé dans une situation délicate. Finalement, depuis les décennies nous avons à faire avec le premier gouvernement qui a un agenda social qui marche. Il est fort probable que les sympathies politique des adhérents de « Solidarnosc », d’ailleurs d’autres confédérations aussi, ne se distinguent pas tellement de l’ensemble de la population, en tout cas quand ils votent à l’occasion d’élections démocratiques. Il serait quand même naïf d’attendre un soutien syndical ouvert pour les partis d’opposition, dont les deux plus importants PO (Plate-forme Citoyenne) et Nowoczesna (Moderne) ont un agenda agressivement antisyndical. Pendant leurs campagnes électorales, et encore aujourd’hui, ils visent les libertés syndicales, par exemple : ils veulent limiter la présence des syndicats dans les entreprises par la liquidation des locaux des organisations, et aussi en supprimant le co-financement des postes de certains(es) militants(es) (il s’agit de 1100 postes au niveau du pays).
Quelles sont les perspectives à court, moyen et long terme?
On est confronté avec une situation inédite, il est alors un peu aventureux de faire des prévisions. Mais, bien sûr, je ne vais pas résister à la tentation. Je pense que le scénario suivant est le plus probable : La faillite des partis d’oppositions est imminente étant donné leur manque de projets, de dynamisme et de charisme. Ce n’est alors que les manifestations qui peuvent forcer le gouvernement de changer le cap. En conséquence, la pression de la société civile, les tensions internes et les divisions dans le parti au pouvoir mènent à une restructuration du gouvernement (et au sommet du parti) et la fraction des démocrates peuvent prendre le pouvoir… En tout cas le nouveau gouvernement devra se mettre d’accord avec les partis d’opposition en ce qui concerne la voie qu’il faut prendre pour restaurer l’Etat de droit en préservant tous les acquis sociaux.
Qu’attends-tu de la société civile organisée du reste de l’Europe et des mouvements syndicaux en particulier?
Signes d’amitié et solidarité sont toujours appréciés.
Travailleurs détachés : Bref commentaire
Tout d’abord, une petite précision: Le Président Macron a « oublié » la rencontre avec les gouvernements de Pologne et de Hongrie pendant sa visite-campagne pour la révision de la directive de 1996. Il a commenté cette décision en disant que la Pologne s’isolait de plus en plus de l’UE en faisant allusion au conflit entre le gouvernement polonais et la Commission Européenne. En ce qui concerne la directive sur les travailleurs détachés, la situation est un peu particulière en Pologne. Pratiquement toute la classe politique est contre la révision de la directive avec l’argument que ce serait une mesure protectionniste pour éliminer les travailleurs de l’Europe de l’Est.
Seulement un petit parti de gauche Razem (Ensemble) non représenté au Parlement polonais soutient la révision. Bien sûr, « Solidarnosc » a fait une campagne contre la position du gouvernement et soutient vigoureusement la révision de la directive aussi bien que la règle: » Même salaire pour un même travail au même endroit. »
28/08/17
Propos recueillis par Jean-Pierre Bobichon – Membre fondateur de Sauvons l’Europe
Qu’est-ce que le « mainstream européen », en politique ?