Bardella encore plus dangereux que Meloni

Pour la première fois depuis la Libération, l’extrême-droite est potentiellement aux portes du pouvoir dans notre pays. Cependant, la dernière marche est toujours la plus difficile à franchir et les cadres du Rassemblement national savent très bien que la victoire se joue moins sur la mobilisation de ses partisans les plus convaincus que sur la capacité à induire une certaine tolérance envers l’arrivée en fonction d’un tel gouvernement, cela de manière à éviter la constitution d’un front républicain qui leur serait fatal. Alors, on nous serine depuis des années que le Rassemblement national aurait changé et qu’il serait aujourd’hui parfaitement capable de gouverner, sans danger pour la vie démocratique ni pour les institutions. Ce discours a effectivement contaminé une partie de la société, y compris parmi des gens pas particulièrement favorables au Rassemblement national. Pour illustrer cette idée, l’exemple italien est souvent mis à contribution : il s’agit d’un pays voisin, latin, culturellement proche et l’extrême-droite y gouverne depuis une vingtaine de mois sans apparemment provoquer de catastrophes. « Si cela fonctionne bon gré mal gré là-bas, que risque t-on à essayer ici ? » est effectivement une phrase que l’on entend. Mais qu’en est t-il vraiment ? 

Je tiens à préciser d’emblée que la démonstration qui va suivre ne doit être interprétée en aucune façon comme une tentative de réhabilitation de la politique menée par le gouvernement Meloni de l’autre coté des Alpes. Ni même comme une relativisation de ses méfaits. L’action de Giorgia Meloni et l’idéologie qui la sous-tend sont aux antipodes des valeurs défendues depuis toujours par Sauvons l’Europe et, particulièrement en ce qui la concerne, le diable se cache souvent dans les détails. Mais il n’en est pas moins vrai qu’elle donne le sentiment de gouverner davantage en ultraconservatrice qu’en néofasciste, qu’elle est rentrée dans le rang sur un certain nombre de thématiques jusqu’à être ouvertement considérée comme une alliée potentielle par Ursula Von der Leyen. Et, surtout, qu’elle demeure très populaire dans son pays, comme l’ont montré les dernières élections européennes au cours desquelles elle fut l’une des rares chefs de gouvernements en Europe à voir son parti arriver en tête. 

Meloni « l’expérimentée » versus Bardella « le nouveau venu »

A l’instar du Rassemblement national avec son ancêtre le Front national, les Fratelli de Meloni ont également une origine très controversée qui trace ses racines dans le Mouvement social italien, fondé par des nostalgiques assumés de Benito Mussolini. Son institutionnalisation va néanmoins intervenir dès les années 1990 au cours desquelles, après des années d’isolement, les néofascistes vont rejoindre la coalition de Silvio Berlusconi et, de schisme en schisme, sensiblement édulcorer leur doctrine. Au moment de l’investiture du gouvernement Meloni en 2022, son parti, ainsi d’ailleurs que leurs frères ennemis de la Lega, cumulent une trentaine d’années de présence non seulement dans certains gouvernements du Cavaliere mais également de façon plus constante, dans les divers exécutifs régionaux aux cotés de cette même droite classique.

Giorgia Meloni fut d’ailleurs ministre dans le troisième gouvernement Berlusconi pendant près de trois ans. Il est donc difficile de comparer avec le Rassemblement national qui n’a jamais dirigé de région ni, naturellement, participé à un gouvernement et dont l’expérience du pouvoir se limite à une poignée de villes moyennes, dans lesquelles leur gestion s’est d’ailleurs souvent montrée chaotique. Le Rassemblement national n’a jamais conclu la moindre alliance réelle hormis avec des micro partis quand Giorgia Meloni compte dans son gouvernement des gens comme Antonio Tajani qui, quelque puisse être le jugement négatif que l’on peut porter sur lui, est un homme politique expérimenté, posé et compétent. 

Le RN : un concentré d’illogisme et de dépenses dispendieuses

Côté programme, les différences sont également non négligeables. La politique économique menée par Giorgia Meloni est détestable pour les progressistes que nous sommes mais elle a une certaine cohérence dans son approche néolibérale et conservatrice, et n’est pas spécialement destinée à pousser le pays vers la faillite ou à déclencher les foudres de la Commission en matière de déficit. La plateforme économique du Rassemblement national est un concentré d’illogisme et de dépenses dispendieuses de plus de 100 milliards d’euros, en grande majorité non financées et cela dans un contexte déficitaire déjà très préoccupant. Au niveau de la politique étrangère, les Fratelli ont toujours été atlantiste, pro OTAN et donc pro Ukraine, ce que Giorgia Meloni a confirmé dès ses premiers mois de mandat : le soutien au Président Zelensky constitue d’ailleurs l’unique domaine dans lequel on peut saluer son action. Ce n’est évidemment pas le cas du RN qui se rapproche davantage de la ligne Salvini, à savoir une admiration pour le dictateur du Kremlin qui était d’ailleurs jusqu’à il y a peu la reconnaissance du ventre que l’on doit à son banquier. Enfin, même sur le plan migratoire, le gouvernement italien a ouvert les vannes de l’immigration légale en prévoyant la délivrance de plus de 400 000 titres de séjour en 3 ans : la xénophobie n’ayant pas tenu longtemps face au pragmatisme nécessaire dans un pays avec une population vieillissante et un taux de natalité très faible. Le programme du RN, lui, continue à défendre les vieilles lunes de l’immigration zéro ou à plaider pour une préférence nationale incompatible avec ses engagements européens. 

Bien évidemment, l’extrême-droite, même pragmatique, reste l’extrême-droite et tous ceux qui soulignent les points les moins effrayants devraient néanmoins se pencher sur un certain nombre de points hautement problématiques à l’œuvre en Italie, qu’il s’agisse de la suppression du RSA, des offensives multiples contre le droit à l’avortement et les droits des personnes LGBTQIA+ ou encore des attaques contre la liberté de la presse ainsi que les tentatives de mise au pas des médias. Et nul doute que, notamment sur cette dernière thématique, Jordan Bardella aurait à cœur d’imiter Giorgia Meloni. Mais tout en étant aussi immoral, un gouvernement Bardella serait sans doute bien plus destructeur. Même si la présence du Président Macron à l’Elysée permettrait au moins de limiter les conséquences en politique internationale, la Constitution restant assez flou quant au partage des compétences en la matière.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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