Barnier, ou la retombée du soufflé

Voici donc Michel Barnier. Cet épuisant relai où les premiers ministres potentiels se passaient le bâton sur des distances de plus en plus courte, jusqu’à ne plus même démarrer leur course, prend fin. L’angoisse qui étreignait le cœur des françaises et des français de ne plus être gouvernés pendant l’été s’évanouit.

Le nom, a priori, devrait sonner aux oreilles de pro-européens. Entre autres nombreuses fonctions de premier plan, Barnier a été secrétaire d’Etat aux affaires européennes, deux fois Commissaire européen (à la politique régionale et à la réforme des institutions, puis au marché intérieur et services financiers), négociateur du Brexit pour l’Europe et enfin candidat à la primaire du PPE face à Juncker pour devenir Président de la Commission. Il sera donc rassurant pour nos partenaires.

Il est cependant difficile d’oublier sa candidature à la primaire de la droite pour les présidentielles de 2021, il y’a un siècle. Barnier avait alors renié tout son parcours en estimant que la question migratoire justifiait qu’on arrête d’appliquer les règles et les principes européens de libertés publiques. Nous avions alors douloureusement constaté qu’au-delà de l’homme, on ne pouvait plus à droite être candidat en défendant le respect des droits de l’homme et les valeurs européennes. Et il est difficile de ne pas voir que le Rassemblement national, la droite et le centre ont fini par converger sur ce sujet. Pour le reste, une pensée sociale et économique dénuée de fantaisie : baisse des charges, baisse des indemnisations chômage, conditions d’activité à mettre au RSA, augmentation de l’âge de la retraite, augmentation du temps de travail… les plus attentifs auront du mal à percevoir une originalité.

Michel Barnier est donc la conclusion de cet exercice démocratique inhabituel pour la Vème République : la recherche d’une majorité parlementaire. A vrai dire c’est une conclusion singulière. La où les français se sont massivement ralliés au front républicain, Barnier n’y a pas appelé et se trouve très compatible avec le RN sur les questions migratoires. Là où la droite arrive bonne dernière du scrutin, elle remporte la direction du Gouvernement. Là où le succès relatif de la gauche montrait une appétence des citoyens pour une réorientation politique vers une meilleure prise en compte des enjeux sociaux, ils ne constituent guère la trame de sa grammaire et ses opinions de fonds correspondent parfaitement à la politique de ces dernières années.

Nous sommes devant un échec du processus démocratique. Il n’était pas écrit : à l’exception de la France, toutes les démocraties européennes fonctionnent avec des partis minoritaires qui doivent trouver un compromis politique majoritaire. Cette dynamique existe au quotidien dans nos intercommunalités et nos métropoles. Elle est la norme au Parlement européen, où insoumis et macronistes français votent ensemble la plupart du temps. Un gouvernement intermédiaire avançant sur les points d’accords et les compromis qui auraient pu se trouver était concevable.

Cet échec résulte largement de l’incertitude politique créée par la dissolution. Comment, pour les partis, engager sereinement un processus de négociation, c’est-à-dire de renonciation partielle à ce qu’ils portent, alors que l’on reverra les électeurs dans deux ans, et peut être un seul ? Emmanuel Macron a, selon ses propres termes, jeté une grenade dégoupillée entre les jambes de ses adversaires. On ne peut s’étonner que notre démocratie soit en charpie. Chacun a donc campé sur ses lignes rouges. Le NFP sur ses lignes rouge vif, en annonçant vouloir gouverner seul et appliquer l’intégralité de son programme sans même l’ébauche d’une majorité pour y parvenir. La droite en rivalisant d’intransigeance avec le NFP, sans députés pour la soutenir. Le Président de la République en refusant tout détricotage de son action, en particulier sur les retraites et l’assurance chômage, et dans le même temps en conduisant le processus de désignation du premier ministre sous couvert institutionnel comme s’il était neutre en la matière, ce qui paralysait la discussion parlementaire entre groupes. Une censure rapide d’un gouvernement NFP aurait pu ouvrir une phase suivante de la discussion, mais ce deuil démocratique n’a pas eu lieu.

Pour sortir de cette situation, il aurait été nécessaire que le camp le mieux représenté, à gauche, prenne l’initiative des discussions politiques. Il n’apparaît pas que cette initiative ait eu lieu. Puis quand l’hypothèse d’une candidature venue de la gauche a été avancée, pour appliquer un programme de compromis en bénéficiant d’une absence de censure du NFP, elle a été vertement repoussée – et sifflée. Dès lors, il n’existe d’autre solution numérique à l’Assemblée qu’un gouvernement, de gauche ou de droite, bénéficiant d’une absence de censure par le RN et plaçant ce dernier en situation d’arbitre surjouant sa respectabilité nouvelle. Le NFP a joué cette hypothèse en appelant à la fibre sociale supposée du RN mais ce dernier a opté dans l’autre sens.

On aimerait faire ici preuve d’optimisme. Michel Barnier est un homme d’expérience rompu à la recherche du consensus. Il a par ailleurs une vraie fibre environnementale, qui ne s’est pas démentie ces dernières années. Des compromis peuvent toujours se dessiner, à la formation du gouvernement ou sur certains textes. Mais l’occasion démocratique semble passée et le soufflé retombé.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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