Globalement, les élections locales qui se sont déroulées le 6 mai dernier au Royaume Uni auront apporté deux principaux enseignements. D’une part, les résultats ont confirmé que le chemin hypothétique vers un retour du Labour au pouvoir sera long et ardu, ce parti ayant subi une nouvelle déroute quinze mois après la débâcle des législatives de 2019. D’autre part, nous avons assisté à une relative prime aux sortants en Ecosse comme au Pays de Galles tandis que les élus conservateurs locaux ont bénéficié en Angleterre de la popularité actuelle du gouvernement de Boris Johnson. Il est vraisemblable d’imaginer que le formidable succès de la campagne de vaccination outre Manche n’est pas étranger à ce résultat d’ensemble.
Compte tenu des enjeux concernant la possible organisation d’un nouveau référendum portant sur l’indépendance, les résultats écossais étaient évidemment très attendus. Les nationalistes du SNP remportent sans surprise une victoire très nette et échouent d’un rien dans la conquête de la majorité absolue qu’ils ratent pour un député seulement. Ce qui suffit à assombrir quelque peu leur triomphe dans la perspective des futurs débats à venir autour de la légitimité éventuelle d’un référendum. Du coté du SNP, les choses sont claires : si l’on tient compte du score des Verts, en net progrès et favorables également au référendum, la majorité parlementaire existe et le référendum doit donc avoir lieu. D’autre part, le total des voix en faveur des partis indépendantistes dépasse les 50% en ce qui concerne le vote à la proportionnelle. Néanmoins les unionistes arguent, également à juste titre, que les partis indépendantistes cumulent moins de 50% sur le premier vote, celui dans les circonscriptions. Le débat sera donc féroce d’autant plus que le SNP exclut un scénario à la catalane et souhaite un référendum autorisé par Westminster. Coté unioniste, les Tories ont légèrement progressé à Holyrood aux dépens d’un Labour victime de la focalisation des débats sur la seule question de l’indépendance. Malgré un leader populaire et ayant accompli de bonnes performances en débat, les Travaillistes enregistrent leur pire score historique.
Le Pays de Galles aura donc été la seule éclaircie dans le ciel travailliste. Le gouvernement de Mark Drakeford a été facilement reconduit, frôlant lui aussi la majorité absolue à un député près. Il est frappant de constater que la perte d’un certain nombre de circonscriptions ouvrières dans le Nord de l’Angleterre ne s’est pas du tout matérialisée au Pays de Galles. On peut supposer qu’au pouvoir à Cardiff, ce sont cette fois les Travaillistes qui ont bénéficié de la prime au sortant. Même si les Tories ont, de leur coté, enregistré des gains significatifs, principalement aux dépens de l’UKIP qui s’est totalement effondré.
Pour aborder le cas de l’Angleterre, il est intéressant de débuter par la seule élection législative partielle qui s’est déroulé le 6 mai. Elle concernait la circonscription de Hartlepool, historiquement travailliste et située dans le fameux mur rouge au Nord de l’Angleterre. Elle fut dans les années 1990s la circonscription de Peter Mandelson, l’un des artisans idéologiques du New Labour. Cette fois, la défaite travailliste aura été dévastatrice. Elle vient s’ajouter à une série de défaites dans ce fameux « Red Wall » qui se retrouve progressivement vidé de sa substance, brique par brique. Lors des élections locales, le Labour aura perdu plus de 300 élus, en grande majorité dans le Nord. Même Londres n’aura pas été le modèle de réussite attendu : Sadiq Khan est réélu mais avec un score moindre que ne lui promettaient les sondages et les Travaillistes perdent même des sièges au Conseil, au profit des Tories. Étrangement, le Labour aura enregistré quelques gains étonnants dans le Sud du pays, territoire qui leur est pourtant historiquement hostile. Si l’on compare parfois la situation du Labour à celle qui était la sienne dans les années 80s et 90s, force est de constater que si à l’époque, la grande affaire était la conquête du Sud et de « Middle England », aujourd’hui les choses sont tout à fait différentes puisque l’objectif numéro un consiste maintenant à retrouver l’électorat populaire du Nord qui a déserté vers les Tories.
Naturellement, un certain nombre de turbulences ont agité le Labour aussitôt après la défaite. Keir Starmer a tenté de prendre les devants en modifiant profondément le Shadow Cabinet mais, suite à un certain nombre de fuites suivies par des réactions plutôt hostiles, il s’est contenté d’un remaniement beaucoup plus modeste. Très critiqué en interne à cause de sa campagne morose et de son manque d’audace, Starmer fait aujourd’hui l’objet d’une double menace, venue des Blairistes sur sa droite comme des Corbynistes sur sa gauche. Il est clair que le leader actuel n’est pas exempt de reproches mais les alternatives ne sont finalement guère nombreuses. Les corbynistes ont amené le parti à sa pire défaite depuis 1935 ; quand aux blairistes, ils semblent ne pas avoir compris que la situation n’a que peu de points communs avec celle des années 90 puisque ce n’est pas le même électorat qu’il faut reconquérir. Un duel New Labour/Old Labour serait donc mortifère, d’autant plus que les deux ailes partagent paradoxalement la même appétence pour un certain libéralisme culturel qui ne constitue pas exactement la caractéristique première de l’électorat populaire du Nord de l’Angleterre. En revanche, la politique sociale du corbynisme et le discours dur contre le crime des débuts du blairisme serait une association susceptible de mieux fonctionner. Au-delà de la question du leadership, c’est donc bien sur la ligne politique et sur la vision à moyen terme que le Labour est attendu.
Dans le Guardian du 13 mai, un chroniqueur a fait à juste titre remarqué que, contrairement à 2016, UKIP n’était pas présent, pas plus que le Brexit Party, et qu’en faisant le décompte, les Tories étaient loin d’avoir recueilli le total des voix qu’ils auraient dû. Il évaluait même ce recul , par une projection des élections locales sur celles nationales, à 80 sièges à Westminster.
J’ajouterai que le fameux « Red Wall » n’existe plus depuis au moins 20 ans. La désindustrialisation a entraîné tout un changement de population, particulièrement dans le Northumberland, les East et South Yorkshire. Le tourisme a remplacé les mines et les usines, et le néo-rural citadin y a pris la place du mineur des villages ouvriers. Hartlepool a ainsi perdu près de 25% de ses jeunes, partis vers les grandes villes à la recherche d’emplois précaires. C’est cette érosion, qui s’est accélérée ces dernières années, qui explique les progrès d’un parti conservateur, particulièrement là où le discours des Blairistes fut d’accuser Bruxelles pour cacher leurs propres décisions et où, du coup, le Brexit ne pouvait que l’emporter. À Hartlepool, les travaillistes avaient présenté un candidat issu du blairisme, dont l’unique obsession avait été de trouver des drapeaux anglais avec la croix de St George pour montrer le patriotisme du Labour…
Dès que l’on se déplace vers l’ouest, là où il reste encore de l’activité industrielle, le Labour l’a emporté, car la question sociale y a davantage marqué les esprits.
Une remarque : Corbyn a peut-être été celui qui s’est ramassé un gros recul par rapport à 2017, mais en 2017, sur le même programme, il avait obtenu 40 % des voix, soit autant que Tony Blair en 2001. En 2019, les travaillistes ont obtenu 32 % soit trois points de moins que Blair en 2005, mais deux de plus qu’en 2015 et trois de plus qu’en 2010. Donc, le recul a été tout à fait relatif. Et son explication n’a pas marqué, comme cela a beaucoup été dit, un divorce avec la classe ouvrière britannique, mais un changement sociologique de comtés traditionnellement travaillistes amplifié par l’incapacité de la direction travailliste à se prononcer pour ou contre la poursuite du Brexit, à l’époque enjeu devenu central.
Maintenant que le Brexit est passé, la question sociale va redevenir brûlante et je ne crois pas que les partisans du New Labour vont pouvoir y répondre. Les propositions de s’unir autour d’un pôle centre-gauche avec les Lib-Dem et les Verts qu’ils avancent se heurtent déjà sur la question du programme d’une telle alliance à l’hostilité de la gauche travailliste, majoritaire à la base et la méfiance de la direction de la principale confédération syndicale soutien du Labour, Unite.
Les luttes internes risquent donc bien de s’aiguiser. Mais pourquoi pas ? Même si celles-ci devaient aboutir à des départs et des scissions, cela vaudra peut-être mieux plutôt qu’une unité de façade ne menant qu’à la paralysie et la calomnie.