Le Conseil européen des 21 et 22 juin est parvenu à un accord, après avoir frôlé l’échec du fait de l’exacerbation de la défense des intérêts nationaux. Après deux jours de négociations difficiles, les Etats membres de l’Union européenne ont réussi à tracer une feuille de route pour l’avenir des institutions européennes : ils ont décidé de réunir une Conférence intergouvernementale (CIG) avec un mandat précis pour rédiger un nouveau traité avant fin 2007. Ce futur nouveau traité, baptisé « Traité modificatif », devra être ratifié par les 27 Etats membres avant les élections européennes de juin 2009. Il pourra ainsi entrer en vigueur avec la nouvelle législature.
Bon nombre des dispositions essentielles que contenait le Traité constitutionnel sont reprises dans le mandat donné à la CIG. Bien qu’en retrait avec ce que pouvait apporter le Traité constitutionnel, ce résultat permet de retrouver l’espoir de voir l’Union européenne repartir sur de nouvelles bases.
Rappel du contexte :
Le 29 octobre 2004, les vingt-cinq Etats membres signent le « Traité établissant une Constitution pour l’Europe ». Aux vingt-cinq, s’ajoutent les deux pays ayant alors encore le statut de candidat (Bulgarie et Roumanie), ainsi que la Turquie.
En 2005, les citoyens français et néerlandais rejettent la Constitution par voie référendaire, entraînant ainsi une crise dans le processus de ratificationla Constitution. Puis, lors du Conseil de juin 2006, les chefs d’Etat et de gouvernement décident de repousser l’échéance à fin 2008. Ils comptent ainsi, sans forcément le dire, sur une nouvelle dynamique du couple franco-allemand, avec une présidence allemande au premier semestre 2007 chargée d’établir des propositions et une présidence française du second semestre 2008, avec un nouveau président de la République, chargée de conclure le processus. Le Conseil européen des 16 et 17 juin 2005 décide d’entamer une « période de réflexion » d’un an, afin de donner plus de temps aux Européens pour débattre et ratifier
Mais c’est finalement la présidence portugaise du second semestre 2007 qui aura la lourde tâche de conduire la CIG, les Slovènes et les Français qui se succèderont en 2008 devront, quant à eux, superviser les ratifications du nouveau texte…
Début 2007, au moment où l’Allemagne prenait la présidence de l’UE, 18 pays représentant la majorité des citoyens de l’Union, avaient ratifié le Traité constitutionnel, alors que d’autres s’étaient retranchés derrière la crise pour demander un Traité a minima. L’issue du Conseil des 21 et 22 juin était donc très incertaine. Le patient travail de préparation mené par Angela Merkel, les talents de négociateur de Nicolas Sarkozy et de Jean-Claude Junker, et la volonté d’aboutir des 18 pays qui ont accepté de revenir sur leur ratification et de concourir à la rédaction d’un nouveau texte, ont permis de surmonter les replis nationaux.
Ce qui change par rapport au projet de Traité constitutionnel :
· Constitution : Abandon du terme de Constitution et de l’idée d’un texte unique de référence révisable selon des procédures spécifiques et différenciées, qui aurait remplacé en les abrogeant les traités antérieurs. On revient à la logique antérieure d’un texte modifiant les traités précédents auxquels on continue à faire référence. On peut convenir que le terme de Constitution était inadapté pour ce qui, en réalité, était un traité entre Etats souverains. Mais, alors que le Traité constitutionnel refondait tous les traités dans un nouveau texte global, on revient à un empilement de textes, les derniers renvoyant aux précédents, et on perd ainsi en lisibilité…
· Les symboles de l’UE (drapeau, hymne, devise et la mention « la monnaie de l’UE est l’euro ») sont éliminés du texte.
· L’idée de remplacer les termes « directive » et « règlement » par « loi » et « loi cadre » n’a pas été retenue.
· Ministre des Affaires étrangères de l’UE : Conformément aux souhaits de la Grande-Bretagne, de la Pologne et de la République tchèque, le terme de ministre a été abandonné pour garder celui de haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. Mais celui-ci gardera les fonctions initialement définies : il coordonnera toute la politique extérieure de l’UE et sera à la tête d’un service diplomatique.
· La référence à la concurrence libre et non faussée disparaît. Elle figure néanmoins toujours dans les traités antérieurs. Mais elle reste un moyen du marché intérieur et non un objectif de l’UE.
· La Charte des droits fondamentaux ne figurera pas dans le corps du nouveau traité, conformément aux vœux britanniques. Un article du texte lui donnant une valeur juridique contraignante devra cependant figurer dans le nouveau traité, mais ne s’appliquera pas au Royaume Uni.
· La primauté du droit européen sur le droit national ne sera plus explicite, cette question sera renvoyée à la jurisprudence de la Cour européenne.
· Le texte précisera que des compétences déléguées à l’Union pourront lui être retirées par la suite.
· La prise en compte des « critères d’éligibilité » pour de nouveaux élargissements sera explicitement mentionnée.
· Les Pays-Bas et la France ont obtenu l’ajout d’un protocole sur les services publics soulignant l’importance des services d’intérêt général et mentionnant leur « rôle essentiel et la grande marge de manœuvre des autorités nationales, régionales et locales ».
Ce qui sera repris dans le nouveau texte :
· L’Union conserve la personnalité juridique unique. Le terme d’Union remplace partout le terme de communauté. La distinction entre « piliers » communautaires et intergouvernementaux disparaît.
· La présidence de l’UE sera désormais stable. Son président ne devra avoir aucun mandat national, il sera élu par ses pairs pour deux ans et demi, renouvelable une fois. La présidence tournante tous les six mois par un des chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats membres disparaît.
· A partir de 2014, la Commission comptera un nombre de commissaires égal aux 2/3 des Etats membres, et non plus un commissaire par Etat.
· Le renforcement du rôle des Parlements nationaux : la période d’examen d’un texte par les assemblées des Etats membres passe de six à huit semaines. Si elle est contestée à la majorité simple des voix attribuées aux Parlements nationaux, la Commission devra justifier une décision, la revoir ou la retirer.
· La règle de la double majorité (55% des Etats membres représentants au moins 65% de la population) pour les votes au Conseil est maintenue. Pour arracher un accord sur l’ensemble du texte à la Pologne, les Etats membres ont accepté de différer l’entrée en vigueur de cette disposition à 2014. Jusqu’en 2017, un Etat membre pourra demander à ce que s’applique le système de l’ancien Traité de Nice.
· La majorité qualifiée devient la règle pour 51 domaines supplémentaires, dont la coopération judiciaire et policière, l’éducation ou la politique économique. L’unanimité restera la règle pour la politique étrangère, la sécurité sociale, la fiscalité et la culture. La Grande-Bretagne a obtenu une dérogation sur la coopération judiciaire et policière.
· Extension de la procédure de codécision, avec un droit de veto au Parlement européen, à de nouveaux domaines comme la justice et les affaires intérieures.
· Les coopérations renforcées seront facilitées.
· Le droit d’initiative citoyenne sera maintenu.
· Changement climatique, sécurité énergétique : Des références spécifiques seront introduites dans le futur traité sur ces deux sujets.
L’Europe de demain :
La crise qui vient de se dénouer a montré que les tentations de replis nationaux restent très vivaces dans de nombreux pays de l’Union. S’ils n’ont pas réussi à mettre à bas toutes les avancées qui avaient été actées dans le projet de Traité constitutionnel, les limites qu’ils ont réussi à imposer sont dommageables et peuvent être exploitées pour amoindrir l’action de l’UE.
A nous d’utiliser tous les leviers disponibles (et le nouveau traité devrait nous en fournir d’avantage) pour avancer dans la construction de politiques qui favorisent la cohésion sociale et territoriale en Europe, et pour que l’UE mène à l’échelle mondiale le combat pour la paix, la démocratie, et le développement durable.
Yohann Abiven
Secrétaire général de Sauvons l’Europe
(extraits d’une synthèse produite par la CFDT)