Les pays de l’Union européenne ont affiché leur soulagement à l’annonce du oui irlandais. Certes, il reste encore l’obstacle de l’obstiné Vaclav Klaus, le président de la République tchèque, mais les responsables européens se veulent optimiste quant à l’issue du débat à Prague, et pensent que le traité de Lisbonne pourrait s’appliquer à compter du 1er janvier 2010. Les nouvelles dispositions renforcent le rôle du Parlement européen, et donc le champ de la codécision avec le Conseil des ministres, confèrent des possibilités de recours aux parlements nationaux, permettent un usage plus large à la majorité qualifiée, et offrent de nouvelles possibilités à une coopération européenne dans les domaines de la justice et de la sécurité. Mais – c’est ce dont on parle le plus et ce qui excite nos dirigeants – , de nouvelles règles de gouvernance vont entrer en application avec le président stable du Conseil européen (la réunion des chefs d’État et de gouvernement) et la création du poste de haut représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité. Jusqu’à présent, la présidence de l’Union est assurée par chaque pays pour une période de six mois. Les auteurs du traité ont pensé que l’Union assurerait mieux la continuité de ses travaux ainsi que sa représentation extérieure, avec un président élu pour une période de deux an et demi. Toutefois la présidence tournante demeurera pour assurer la présidence du Conseil des ministres (à l’exception du Conseil de l’Eurogroupe et de celui des affaires étrangères et de sécurité). Je suis, pour ma part, sceptique sur les avantages d’une telle organisation, sauf si le président permanent se conduit comme un chairman, c’est-à-dire s’il s’efforce d’améliorer le processus de décision de l’Union en imposant des priorités au Conseil européen et des options claires à trancher, au besoin par vote, puis en s’assurant de leur correcte et loyale mise en oeuvre. En revanche, s’il s’agit d’une sorte d’executive président, je crains que naissent des tensions d’une part entre ce président et les chefs d’État et de gouvernement et, d’autre part, avec la Commission, qui est une pièce centrale de la méthode dite « communautaire ». Une méthode dont le bon fonctionnement a toujours coïncidé avec des périodes de dynamisme de la construction européenne. Est-ce la fin de cette méthode communautaire qui permet aux trois institutions – le Parlement, le Conseil des ministres et la Commission – de travailler en osmose ? La Commission pense tous les jours à l’Europe, a le monopole du droit d’initiative, prépare les propositions de loi, exécute les décisions du Conseil qui, de plus en plus, sont arrêtés avec l’accord du Parlement européen.
Quant au Conseil européen, il adopte les grandes orientations sur la base de travaux et de la coopération entre le Conseil des affaires générales et la Commission. Je suspecte donc que l’objectif de certains gouvernements soit de reléguer ladite Commission au rôle de secrétaire général bis de l’Union Sans vouloir forcer sur la dérision, je vous invite à imaginer la composition d’une délégation de l’Union allant débattre avec le président Obama : le président stable du Conseil européen, le président « tournant », le président de la Commission, le haut représentant pour les Affaires étrangères, le président du Conseil de l’Eurogroupe, le président de la Banque centrale européenne, sans compter un ou deux ministres de la présidence tournante est en deux commissaires concernés par les sujets à l’ordre du jour. Une jolie colonie de vacances, en vérité, qui laissera dubitatif le président des Etats-Unis.
Mais qu’importe, nos chefs d’Etat et de gouvernement sont excités par ces nominations à venir. Vont jouer, comme dans le jeu traditionnel de la diplomatie, les questions de répartition géographique, le « à toi, à moi » des chancelleries. Et l’adéquation des personnes aux postes dans tout cela ? Bref, c’est le retour à la méthode intergouvernementale dans l’intention, et même dans les pratiques. C’est l’esprit même de la construction européenne qui change. Les grands pays font preuve d’impatience face aux longueurs des discussions dans cette Europe à vingt-sept. Les autres pays ne veulent pas qu’on les traite de haut et usent de la menace du droit de veto. La méthode communautaire pourrait encore jouer son rôle, mais qui la défend encore ? Une autre période s’ouvre, dit-on à Paris et ailleurs. Pour transformer l’Union en une seconde OCDE ? La méthode intergouvernementale peut fonctionner au sein de cette très utile organisation. Mais elle n’a jamais fait progresser d’un pouce la marche vers une Europe unie dans sa diversité. On lui doit même les crises qui ont souvent paralysé l’Europe. En toutes choses, le comment faire est souvent aussi déterminants que le quoi faire.