Il y’a de quoi faire preuve d’amertume. L’un des combats politiques fondamentaux de notre temps est de créer une démocratie au niveau européen, c’est à dire l’idée somme toute assez simple que les citoyens puissent voter à intervalle régulier pour des gens qui proposent un programme politique. Ceci supposait deux choses là aussi assez simple. La première c’est qu’on crée un lien entre ce pour quoi votent les gens à Paris et à Prague. Un conglomérat accidentel au Parlement européen n’est pas rien; il entasse des éclats de démocratie. C’est tout de même une pauvre démocratie. La seconde, c’est que la Commission qui est à l’origine des lois européennes soit issue de cette élection. A défaut, les élus du peuple négocient le bout de gras en marge des sujets centraux.
A défaut d’un tel système démocratique suffisamment clair, les citoyens ont le sentiment de ne pas avoir voix au chapitre et c’est l’ensemble du principe démocratique qui est discrédité comme artificiel. La petite santé d’un certain nombre de nos régimes politiques s’alimente entre autres à ce foyer.
Nous y touchions. Après un petit galop d’essai en 2009, les principaux rassemblements de partis européens avaient chacun en 2014 proposé aux citoyens un candidat à la Présidence à la Commission. Rien de bien révolutionnaire: c’est ce qui se fait dans toutes les démocraties nationales et locales européennes. Les conservateurs l’avaient emporté, et Jean-Claude Juncker était devenu Président de la Commission.
Las! Les couteaux se sont portés de toute part, chacun fouillant sous la toge le défaut d’une cuirasse absente. Au début de l’année, les membres du PPE au Parlement ont curieusement fait obstacle au principe de listes transnationales, c’est à dire d’une lisibilité de l’élection européenne. La crainte de voir Macron faire passer au premier plan un groupe politique centriste l’a emporté sur une volonté démocratique. Immédiatement les chefs d’Etats et de Gouvernements ont manifesté leur opposition au principe de la désignation démocratique de la Commission. Curieusement, Emmanuel Macron, dont la fibre européenne est si bien établie, était aux premiers rangs de cette révolte des exécutifs. Peut-être avions-nous mal estimé qu’un attachement profond à l’idée européenne peut encore aujourd’hui s’accommoder d’un solide doute cartésien sur les vertus de la démocratie.
Aujourd’hui cette dynamique déroule ses effets néfastes. Rendons d’abord un hommage aux socialistes européens qui depuis leur champ de ruines mènent un courageux combat d’arrière-garde en se cherchant des têtes listes transnationales et un candidat à la Commission. Adressons dans un autre style nos félicitations navrées à la gauche de la gauche européenne qui s’est morcelée entre Grecs affrontant le réalisme du pouvoir, Allemands adoptant une optique xénophobe pour coller au climat local et français, espagnols et portugais partis dans une quête de pureté doctrinale résolue les écartant de tout poids politique en dehors de leurs frontières nationales. Reste le PPE, qui semble s’orienter vers le choix de Manfred Weber comme tête de liste dont il suffira de dire qu’il représente le point d’équilibre entre Viktor Orban et la droite des conservateurs allemands.
Et En Marche? Christophe Castaner était parti la semaine dernière rencontrer d’autres mouvements centristes, pour négocier une alliance. La condition était l’absence d’un Spitzenkandidat, présenté comme une « anomalie démocratique » avec une argumentation complètement incohérente: le fait que les candidats soient désignés par les parlements sortants serait contraire à la démocratique puisqu’ils sont au bout de leur mandat. Mais d’une part c’est factuellement faux: ce sont les délégués des partis nationaux qui désignent les candidats dans la plupart des partis européens, et d’autre part c’est un peu le cas pour toute élection municipale par exemple. Castaner est-il entrain de soutenir que le seul mode de désignation démocratique est une primaire ouverte? Nous sommes pour! Mais en réalité il y a là un signe: quand l’argument devient à ce point incohérent, c’est que l’on ne peut pas assumer une position antidémocratique de principe. Guy Verhofstadt, au nom des libéraux, dépose les armes et accepte de sacrifier ce principe démocratique sur l’autel de l’alliance macronienne. En substance, dès lors qu’il n’y a plus de liste transnationale obligatoire (mais rien n’empêchait les centristes de le faire, comme les socialistes) la démocratie est boiteuse et donc faisons sans.
En guise d’élections donc annonçons le match: ce sera Macron contre Orban, rematch de Macron – Le Pen, mais sans premier tour. A vos bulletins!
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