Kata Tüttő, présidente du Comité des Régions : « L’Europe doit se conjuguer avec proximité »

Instance européenne connaissant un déficit de notoriété, le Comité des Régions (CdR) représente les collectivités territoriales qui garantissent la mise en œuvre des politiques européennes dans le quotidien des Européens… Sauvons l’Europe a rencontré à Bruxelles sa nouvelle présidente hongroise, Kata Tüttő.

Vous avez été élue en février 2025 présidente du Comité européen des régions (CdR). Quels sont vos principaux objectifs pour cette présidence ?

L’Europe est prise dans une tempête de vents contraires dues à toutes les incertitudes économiques, aux tensions géopolitiques, aux évolutions technologiques et à la polarisation croissante de nos sociétés. Dans cette tempête, la stabilité est tout. Et l’une des forces de stabilité en Europe ce sont nos villes et nos régions.

Au niveau local et régional, les citoyens continuent de faire confiance à leurs élus de proximité. Mon objectif, en tant que présidente du Comité des régions, est de prendre appui sur cette confiance dans le processus décisionnel européen. Veiller à ce que les politiques ne se contentent pas de réagir aux crises, mais préparent la résilience à long terme de leurs collectivités. Rejeter l’idée selon laquelle la centralisation est la réponse en temps de crises. Au contraire, des villes et des régions fortes permettent à l’Europe d’être plus forte et plus adaptable. Et il ne s’agit pas seulement de la gouvernance — il s’agit de faire en sorte que l’Europe se conjugue avec proximité.

Environ 80 % de la législation de l’UE est appliquée au niveau local ou régional. Ne faut-il pas prévoir un rôle accru pour le CdR dans le processus décisionnel de l’UE ?

Ce n’est probablement pas le temps des revendications institutionnelles et le CdR ne va pas faire du nombrilisme. Notre priorité est d’obtenir une meilleure reconnaissance du rôle des collectivités territoriales dans l’intégration européenne et de pérenniser leur rôle dans la politique de cohésion notamment. En même temps, il ne s’agit pas de jouer les uns contre les autres. Tous les niveaux de gouvernance et tous les acteurs du processus décisionnel, y compris les partenaires sociaux, doivent être synchronisés, un peu comme à l’aviron où il s’agit d’ajuster la cadence et la vitesse au courant tout en gardant toujours nos yeux sur l’horizon pour éviter toute dérive.

 

Quelles sont les principales exigences du CdR dans les négociations sur le prochain budget de l’UE ?

L’Europe traverse une phase de fortes pressions — et d’attentes grandissantes. Les citoyens attendent de l’Union qu’elle agisse : en matière de sécurité, de justice sociale, de climat, de résilience économique. Mais agir exige de l’ambition — et l’ambition exige des ressources. Un budget figé, à ressources constantes, n’est tout simplement pas une option.

Nos demandes sont claires, et elles s’ancrent dans une vision de l’Europe comme celle d’un corps vivant. La politique de cohésion n’est pas un simple instrument financier — c’est le flux vital du projet européen. Nous voulons « un cohesion flow », un flux de cohésion, qui irrigue l’ensemble de l’Union : le cœur, le cerveau, les poumons, mais aussi les bras, les jambes —c’est-à-dire les périphéries.

  1. Toutes les politiques et tous les mécanismes de financement de l’UE doivent renforcer la cohésion afin de contrer les forces centrifuges et faire en sorte qu’aucun territoire ne soit laissé pour compte.
  2. Le budget doit être simplifié — dans sa structure, son accès, sa mise en œuvre — afin de véritablement servir ceux qui en ont besoin
  3. Les collectivités locales et régionales doivent être reconnues en tant qu’acteurs à part entière à tous les stades du processus budgétaire, et pas seulement consultées une fois que les décisions sont prises.

Vous êtes une élue socialiste de Budapest. Pensez-vous que la Hongrie restera encore longtemps dans le rôle de paria de l’intégration européenne ?

En tant que présidente d’une institution européenne, j’ai un devoir de réserve sur la politique intérieure de mon pays, en particulier à l’approche des élections de 2026. Cela dit, il est dans l’intérêt de la Hongrie — tout autant que dans celui de l’Union européenne — que la Hongrie reste pleinement ancrée dans le projet européen.

Et cet intérêt commun, c’est aussi de faire en sorte que les villes et les régions hongroises ne décrochent pas, qu’elles restent solidement connectées au tissu européen. Les gouvernements passent, mais les Hongrois restent profondément européens. Nos collectivités locales en témoignent chaque jour, par leur engagement, leur coopération avec leurs homologues européens et leur volonté d’agir dans l’intérêt commun.

Quelles mesures concrètes en termes de communication le CdR doit-il entreprendre pour que les citoyens européens prennent conscience du financement de « l´Europe » dans maintes structures qui les accompagnent au quotidien ?

Aujourd’hui, la communication est omniprésente — mais cela ne veut pas dire qu’elle est efficace. Nous sommes entourés de bruit : une multitude d’acteurs, d’outils, de messages parallèles. Cette abondance crée souvent de la confusion plutôt que de la clarté. Et quand les choses deviennent trop complexes à suivre, cela alimente la méfiance.

C’est pourquoi nous devons concentrer notre énergie et réduire ce bruit. Au Comité européen des régions, nous communiquons avant tout avec nos membres — plus de 700 décideurs locaux et régionaux à travers l’Europe. Notre mission est de rendre compréhensible et accessible la législation et les décisions européennes, mais aussi de traduire leurs expériences locales, leurs préoccupations et leurs idées en langage européen — et de les réinjecter dans le processus législatif. Cette ligne de communication verticale est essentielle pour construire la confiance, du terrain jusqu’au sommet.

Mais ce n’est qu’une partie de l’équation. Nous misons aussi sur la dimension horizontale : le dialogue entre dirigeants, entre villes. Nous soutenons activement les échanges entre nos membres, au-delà des appartenances politiques, car nous croyons que ce tissu relationnel — ce réseau informel mais solide de responsables et régionaux — constitue l’un des ciments les plus puissants de l’Europe dans des temps de divergence.

À travers des initiatives comme la Semaine européenne des régions et des villes, l’Alliance pour la cohésion, qui fédère plus de 12000 élus, représentants de la société civile et de partenaires sociaux, ou encore nos programmes de formation pour les jeunes élus locaux, nous ne faisons pas que partager des bonnes pratiques — nous renforçons le lien social européen. Car une communication efficace ne se limite pas à transmettre des chiffres sur les financements. Elle consiste à raconter une histoire que les citoyens reconnaissent comme la leur, et à leur rappeler que l’Europe n’est pas lointaine mais fait partie de leur quotidien.

Quels sont les principales divergences dans les attentes entre les « territoires » de la Communauté européenne à 15 et celles des pays ayant rejoint l‘UE depuis 2024?

Je ne pense pas que l’on puisse parler des « anciens » et des « nouveaux » États membres comme de blocs homogènes. Chaque pays, et chaque région en son sein, a son propre parcours. Mais il est vrai qu’en 2004, lorsque l’UE a accueilli un grand nombre de nouveaux membres, une promesse commune et très puissante flottait dans l’air — celle de l’espoir, du progrès et de l’appartenance.

En Hongrie, cette promesse se résumait souvent à une phrase simple : rattraper Vienne. Et dans cette idée, chacun projetait ses propres désirs : la prospérité, la liberté, la sécurité. Il s’agissait de rejoindre une communauté plus vaste, garante de paix et de stabilité. De pouvoir voyager, travailler, entreprendre, mieux vivre.

Bien sûr, la réalité est toujours plus nuancée que la promesse. Lorsqu’on évalue le succès de la politique de cohésion — lorsqu’on se demande s’il y a eu convergence — on peut s’appuyer sur des indicateurs économiques : la croissance du PIB, la hausse de l’emploi, les investissements. Mais en politique, la perception compte autant que les faits. Et beaucoup ont aujourd’hui le sentiment que, malgré tous leurs efforts, ils n’avancent pas.

Je pense souvent à la scène dans « Alice au Pays des Merveilles », où Alice rencontre de l’autre côté du miroir la Reine Rouge qui lui dit : « Ici, il faut courir le plus vite possible juste pour rester sur place. » C’est exactement le ressenti de nombreux citoyens européens aujourd’hui. Le changement est constant et rapide — et si certains arrivent à suivre le rythme, d’autres sont épuisés.

La politique de cohésion doit répondre aux besoins des deux : ceux qui peuvent courir vite et ceux qui sont fatigués. Car nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des personnes ou des territoires. En Europe, nous avançons ensemble. Et comme le dit le proverbe : « Si tu veux aller vite, va seul. Si tu veux aller loin, va avec les autres. »

L’Europe veut aller loin. Cela signifie que nos outils et nos politiques doivent soutenir toutes les régions — des capitales aux zones rurales — dans ce grand marathon de la transformation.


Qu’est-ce que le Comité européen des régions (CdR) ?


Au premier plan : Kata Tüttö (PSE), présidente du Comité européen des Régions,
et le vice-président,
Juan Moreno (PPE), président d’Andalousie, lors de la 164e plénière du CdR.

Le CdR est l’organe représentant les collectivités territoriales de l’Union européenne. Créé en 1994 par le Traité de Maastricht, le CdR est leur porte-parole auprès de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil. Il est obligatoirement consulté sur les propositions législatives à impact territorial.

Le CdR dispose également de deux voies de recours devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : s’il estime que des actes européens violent le principe de subsidiarité ou s’il n’est pas consulté sur les actes pour lesquels sa consultation est obligatoire.

Il est composé de 329 membres et 329 membres suppléants issus des 27 pays de l’UE. Les membres du CdR sont des élu.e.s nommés par le Conseil, sur proposition des États membres, pour un mandat de cinq ans. Comme le Parlement européen, le CdR est structuré autour de groupes politiques. Il siège à Bruxelles dans le bâtiment Jacques-Delors.

La délégation française compte 24 membres titulaires et 24 membres suppléants représentant Régions de France (12), l’Assemblée des Départements de France (6) et l’Association des Maires de France (6). Cette délégation est présidée par Isabelle Boudineau, élue de Nouvelle-Aquitaine (PSE).

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