La Cour de justice de l’Union européenne a rendu hier deux arrêts de grande ampleur sur le mécanisme de protection de l’Etat de droit en Europe.
Face à la dégradation de la protection des libertés publiques en Pologne et en Hongrie, l’Union cherchait depuis longtemps comment réagir. L’article 7 du Traité qui suspend les droits politiques des contrevenants, sorte de bombe politique, a bien été enclenché mais n’a pu aboutir. Il nécessite en effet l’unanimité et chacun des deux Etats voyous couvrait l’autre. Une autre voie a donc été recherchée, en coupant le robinet des fonds européens. Après tout, la conditionnalité est un classique de nos aides à des pays tiers, pourquoi pas au sein de l’Europe ? La Grèce a vu se créer un régime spécial d’aide sous conditions de réformes économiques, pourquoi pas vis-à-vis de l’Etat de droit ? On discute sur le budget européen, et puis survient le plan de relance.
La Pologne et la Hongrie hurlent à la mort et à la contrainte politique, comme de juste, et introduisent un recours devant la Cour avec quelques bons arguments (la compétence pour procéder à un tel contrôle, le double emploi avec la procédure prévue par les traités à l’article 7), et de moins bons (l’Etat de droit, on ne sait pas bien ce que c’est, il y’a une rupture de confiance parce qu’on savait devoir respecter l’Etat de droit en entrant mais personne n’avait dit qu’on devait continuer à le faire quand on est membre, le nombre d’erreurs administratives dans la gestion est en baisse et donc pas besoin de contrôler les détournements de fonds, la subsidiarité permet d’avoir une vision nationale de l' »Etat de droit »). Ces deux recours sont rejetés dans la grande formation d’assemblée de la Cour, ici pour la Hongrie et ici pour la Pologne.
Le cœur de la question réside dans le choix de l’instrument retenu : il s’agit de vérifier la capacité structurelle des pays recevant des fonds européens à en bien contrôler l’usage. La bonne gestion des fonds européens repose sur un processus politique, mais également une infrastructure administrative et légale. Si cette dernière est corrompue, inadéquate, les mesures de vérification interne peuvent-elles être mises en œuvre ? Corruption, le mot est lâché. Si on mesure qu’environ 90% des investissements publics en Hongrie font l’objet d’une participation européenne, on comprend l’ampleur du problème. Mesure-t-on bien aussi ce que représente la PAC dans ces pays, et comment elle est dépensée ? Dès lors, les modifications constitutionnelles altérant l’alternance démocratique, la remise en cause de l’indépendance des juges sont des menaces potentielles pour le bon usage des fonds communs.
Jusqu’à quel point ce lien est-il solide ? Permet-il de légitimer un mécanisme de contrôle budgétaire ? Ou bien s’agit-il en réalité d’un mécanisme de sanction financière déguisé, non prévu par les Traités ? Pour la Cour, le lien est bien solide car le règlement adopté vise juste. Il n’est pas général et indifférencié sur des valeurs abstraites (les droits des lesbiennes à cheveux bleus), mais cible l’indépendance de la justice et des services d’enquête. Le contrôle doit être effectif. Les violations doivent avoir un effet sur la gestion des fonds (l’état des prisons par exemple ne serait pas concerné ?). Le blocage des fonds n’est en outre pas définitif : quand les conditions adéquates sont restaurées, les fonds sont libérés.
Une fois ceci acquis, la Cour se permet une taquinerie : elle réfute l’argument selon lequel l’Etat de droit ne serait qu’une vague référence au fronton de l’article 2 une fois passée la porte de l’adhésion, en faisant remarquer qu’il en va de même du principe de solidarité qui se traduit pourtant par le versement des fonds européens. Puis naturellement elle répond sur le fonds de manière détaillée, et écarte l’idée que la procédure politique prévue à l’article 7 serait le seul mécanisme de protection de l’Etat de droit inscrit dans les traités (coucou la Charte des droits de l’homme ?). Enfin, interrogée sur les spécificité constitutionnelles de l’identité nationale chère au Conseil d’Etat, elle rétorque que les modalités de gestion des fonds européens ne sont pas susceptibles de se distinguer dans une Identité nationale constitutionnelle.
La Cour rejette donc les recours des deux pays visés au premier chef, et publie un communiqué qui insiste un peu sur les parties moins centrales, mais plus salées du raisonnement : « La Cour précise sur ce point, d’une part, que le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion. D’autre part, elle souligne que le budget de l’Union est l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et actions de l’Union, le principe fondamental de solidarité entre États membres et que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance mutuelle qu’ils ont dans l’utilisation responsable des ressources communes inscrites audit budget. »
Et maintenant ? Un accord politique dénoncé par le Parlement européen repoussait l’entrée en vigueur du règlement à la décision de la Cour, désormais intervenue. Il est vrai que la Commission avait commencé à retarder des versements dans le cadre spécifique du plan de relance, pour des sommes pas tout à fait négligeables. Désormais au pied du mur, elle se donne quelques semaines (mois ?) pour lire attentivement et analyser les deux arrêts qui lui donnent raison sur tous les points et ne soulèvent pas de réserve particulière. Après quoi il faudra passer à l’action.
La Pologne et la Hongrie sont éruptifs naturellement, et dénoncent une mise sous tutelle visant dans l’ombre à les forcer à promouvoir le lesbianisme à cheveux bleus. Il faut dire que la Hongrie est en période électorale, ce qui est rarement un facteur de calme. De manière plus préoccupante, la menace plane d’une politique d’obstruction générale dépassant la chaise vide pour poser des vétos à tous les sujets abordés par l’Union (un premier vote négatif sur la coopération africaine est déjà tombé). Il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps…
Bon article. Merci
Commencerait-on à mesurer les effets néfastes d’une politique d’élargissement de l’Union à la va vite ? Et dire qu’il n’y a pas si longtemps, il fallait à tout prix faire entrer la Turquie !
Bonjour.
Dans de précédents commentaires, comme Mr HERAULT, j’ai dénoncé cette politique d’élargissement de l’Union à la va vite.
La cupidité semble avoir été la raison essentielle à cette extension, beaucoup se sont enrichis sur le dos de la bête grâce aux délocalisations (cout salarial très faible en Europe de l’est), on parlait très peu à l’époque d’état de droit pour ces pays alors que la corruption et les manipulations électorales étaient courantes.
Je vais régulièrement et depuis longtemps dans un pays de l’Europe de l’Est, je pense savoir de quoi je parle.
Avant d’intégrer un état, il faut vérifier qu’ils remplissent et respectent bien nos valeurs pour le bon fonctionnement d’un état démocratique, il faut avant terminer la construction européenne, cette dernière est en panne, les évènements passés et actuels ne cessent de nous le rappeler.
Le problème avec les règles du « je »…. c’est que tout le Monde cherche à les imposer, puisque « je », c’est souvent l’autre…Ce « je » demande une part de sacrifice, de lâcher prise… Fermer les yeux, avoir confiance et donner son sort à l’aveugle dans les mains d’un autre… c’est ça l’Europe et la façon dont elle se construit. L’Europe l’écrit, l’Europe le dit… La Turquie aurait très bien pu être membre de l’état Européen qui n’est qu’un état de valeurs… Mais ces valeurs encore faut il les poser sur la table, autour de la table…et les tenir… elles sont partagées ou pas… on les rejoint ou on s’en écarte… La règle est simple… La confiance, ça se mérite.
Qu’avons-nous besoin de faire entrer ces pays d’un seul coup, et si vite, juste après la chute de mur de Berlin??? Quant à faire entrer encore les pays de l’ex-Yougoslavie, il ‘y a qu’un pas…mais alors ce sera pire… il faudrait leur exiger des contrats de bonne conduite démocratique sur 10 , puis 15, puis 20 ans…
La liberté de la presse, le droit à l’existence de partis d’opposition etc… ne devraient poser aucune objection.
Vous avez raison Arthur, il faut punir Pologne et Hongrie par là où ça fait mal, les fonds européens ! Eux aussi peuvent quitter le bateau comme nos chers cousins britanniques! Ils ont l’air daller si bien…
Entre Chine et Russie dans quelles mains seraient actuellement les pays dits de l’est s’ils n’étaient pas entrés dans l’UE (cf ceux qui n’y sont pas Monténégro, Serbie, Géorgie, Ukraine, Moldavie etc …)?
Quels serait à notre égard l’attitude des autres états membres si nous avions à la tête de la France une Marine Le Pen ou un Eric Zemmour.
Restons modestes et ne donnons pas de leçon qu’on pourrait un jour regretter.
En prenant un peu de recul, il n’est sans doute pas inutile de rappeler que les deux pays aujourd’hui montrés du doigt – la Pologne et la Hongrie – ont été, en 1989, soit 15 ans avant leur adhésion à l’UE, les premiers bénéficiaires de l’instrument de préadhésion connu sous la dénomination de « programme PHARE » (= Pologne Hongrie aide à la reconstruction économique): ce dernier poursuivait notamment les objectifs de renforcement des administrations publiques et des institutions nationales ainsi que de convergence avec la législation de l’Union (l’ « acquis communautaire ») dans le but de réduire les périodes de transition nécessaires à la pleine intégration des nouveaux adhérents. Dès 1990, ces deux pays ont bénéficié d’une allocation équivalant à 475 millions d’euros d’aide sur les ressources du programme PHARE. Le programme a été par la suite étendu à l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientale (les PECO) au titre de la préadhésion – et, avec quelques variantes, aux pays des Balkans occidentaux.
Cela étant précisé, on peut considérer comme légitime le doute exprimé par certains commentateurs au sujet de la précipitation avec laquelle s’est opéré l’élargissement vers les nouveaux adhérents. Certes, en songeant aux antécédents mis en oeuvre au profit, successivement, de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal , l’objectif de tendre la main à des pays appelés à consolider leurs aspirations démocratiques au sortir de périodes de dictature s’est affiché comme primordial – en plus de l’idée , exprimée par Jacques Delors et selon laquelle on assistait, en 2004, à une véritable reconstruction du continent européen. Mais, d’un autre côté, peut-être ne serait-il pas excessif de parodier Lénine en considérant que certains Etats membres « illibéraux » souffrent – temporairement, souhaitons-le – d’une sorte de « maladie infantile de la démocratie ».
En tout état de cause, la menace demeure de freiner encore davantage le processus d’approfondissement de l’Union en bâclant un nouvel élargissement. D’autres formules peuvent être imaginées, comme, par exemple, celle de bonifier les politiques d’ « association » (et non d’ « adhésion »). Sinon – désolé de me répéter aux yeux de lecteurs de longue date de « Sauvons l’Europe » – le risque est grand d’imputer à l’UE le défaut que Baudelaire attribuait à l’albatros: « ses ailes de géant l’empêchent de marcher » (« marcher »… dans tous les sens du terme ! )
Merci Gérard, en tant qu’ancien « expert » du programme PHARE de 1997 à 2005 j’apprécie ta contribution. Je dirais cependant que dans le domaine de la transposition de l’Acquis, les Etats membres ont exigé beaucoup plus des anciennes républiques socialistes que de l’Espagne ou de la Grèce que de l’Autriche de la Finlande ou de la Suède autant d’adhésions auxquelles j’ai participé.
Merci Jean-Louis, pour ces précisions, qui méritent en effet d’être mentionnées au titre d’une bonne connaissance du terrain..J’en profite pour « rebondir » sur la dernière phrase de ton commentaire initial: à savoir qu’a priori un pays qui a pratiqué la politique dite de « la chaise vide » au sein des instances communautaires au cours du second semestre de 1965 pourrait être invité à afficher une certaine modestie en tant que donneur de leçons. Cela dit, depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts tant de la Seine que du Danube ou de la Vistule. Et, certes, c’était un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître…
Merci Arthur pour cette bonne contribution, à propos d’arrêts de la Cour de Justice de l’UE de grande importance, dont la portée devra être bien comprise – centrée sur les violations de l’Etat de droit affectant la gestion des Fonds européens. Je ne confonds par ailleurs pas la politique du PIS polonais et de Orban avec les peuples hongrois et polonais. Merci Gérard pour le rappel concernant les quinze années de préparation de l’élargissement qui ont précédé l’entrée de la Pologne et de la Hongrie dans l’UE… et souhaitons à ces deux pays des « temps meilleurs » dans l’intérêt de leurs peuples en premier lieu, aussi du projet européen dans son ensemble – en évitant des stigmatisations inutiles, chaque Etat membre a de quoi balayer devant sa porte
Bonsoir.
A la lecture de tous vos commentaires, la grande absente est la nécessité de terminer rapidement la construction européenne ?
Il me semble que c’est la seule voie pour sortir du bourbier dans lequel on est ?
Vu comment le patronat de France à ruiné la valeur travail, en bouffant le gâteau sur le dos du salariat tout en lui muselant la parole, sans rien projeter pour l’avenir de ses enfants tant en termes écologiques qu’économiques, l’Europe n’a pas fini de passer à la caisse pour tout reconstruire. Bonne route…